John Byrne est canadien, il a la réputation de pouvoir écrire et/ou dessiner des centaines de pages par trimestre. Il n'a pas son pareil pour incarner le Marvel Style des années 1980 et tout ce qu'il touche finir briller de mille feux (Fantastic Four, Alpha Flight, X-Men...). Mais Namor, ce n'est pas de la tarte ! Le héros se prête facilement au persiflage : nous avons face à nous un souverain soupe au laid aux grandes oreilles, toujours prêt à péter un câble à la moindre contrariété, qui passe le plus clair de son temps à déambuler dans un maillot de bain moulant et qui doit, forcément, dégager une certaine odeur de poissonnerie, ce qui n'est jamais un atout pour les relations sociales. Rendre Namor glamour, mission improbable ? Demandez donc à John Byrne, il vous répondra qu'à l'impossible, nul n'est tenu.
En 1990, il décide de proposer sa version du Sub-Mariner, revue et corrigée pour le public de la fin du siècle. Exit le super-héros incompris et rageur, place à un mutant enfin libéré de ses angoisses, plus posé, qui se lance dans le monde de la haute finance pour protéger efficacement les mers dont il est le gardien écologiste implacable. Scénario et dessins, on n'est jamais aussi bien servi que par soi même, surtout lorsqu'on a du talent. Première mesure, expliquer les sautes d'humeur d'un Namor irritable. Pour ce faire, notre héros rencontre dès les premières pages Cab Alexander, un vieux scientifique amateur, et sa fille, dont il va par la suite tomber amoureux. Cab lui explique avoir deviné la source du problème : un déséquilibre sanguin occasionné par le trop plein, ou la carence en oxygène, consécutive à la dualité terrestre/amphibienne du Prince des mers. Dès lors, Namor décide de profiter de sa nouvelle stabilité caractérielle pour investir la finance, via une compagnie écran, la Oracle Incorporated. C'est en puisant dans les innombrables trésors qui jonchent les reliefs marins qu'il va lever des fonds et lancer sa nouvelle croisade. Qui va lui valoir de perfides nouveaux ennemis, comme les jumeaux Marrs, rivaux à la bourse. Ce qui ne l'empêchera pas de tomber amoureux de la sœurette, à elle seule sorte de gravure de mode ultime du monde de Wall Street d'il y a trente ans. Vous l'avez forcément deviné, notre héros du jour est un chaud lapin. Byrne met ensuite le mutant aux prises avec le Griffon (qu'il dompte aisément) et une créature engendrée par la pollution ambiante, un certain Slug, et lui fait éviter une catastrophe écologique provoquée par des fanatiques de l'environnement. Le Namor de notre omnibus est certes un homme d'affaires, il comprend parfaitement les rouages de Wall Street et il réussit très rapidement à se faire une place parmi les noms qui comptent, parmi les capitaines d'industrie craints et respectés. Mais c'est aussi un écologiste convaincu : il sait le drame de la pollution de notre planète, notamment des océans, dont il est après tout le souverain, et une de ses ambitions évidentes est de ramener un peu d'équité et de propreté dans le débat. Nous pouvons ainsi dans le 6e épisode voir la jeune cousine Namorita prise au piège du cauchemar écologique qu'est Slug, tandis que dans le même temps les jumeaux Marrs acquièrent une importance capitale dans la première partie de l'omnibus, car ils représentent la version diabolique du monde des affaires, des gens sans aucun scrupule et qui ont même d'ailleurs un rapport assez ambigu entre eux. Certes, Phoebe met peu à peu mais de l'eau dans son vin, tandis que le frère, lui, semble être une pourriture que rien ne peut racheter. Namor va aussi croiser la route du Griffon (qu'il va dompter et utiliser comme un coursier ailé) et de Headhunter, la chasseuse de têtes qui permet d'écrire un épisode assez étrange où le lecteur est induit (à tort) à penser que Namor a perdu la sienne ! Un Namor qui perd vraiment ses jolies petites ailes aux pieds, et donc sa faculté de voler, suite à l'exposition à l'agent viral qui a permis de le sortir d'affaire contre la créature composée de déchets, dont nous vous avons déjà parlé. Suivront les créatures végétales de K'un Lun (les H'yltris) et le retour sur scène de Iron Fist, que tout le monde croyait mort. Une visite en Allemagne, à peine réunifiée, pour un mano a mano contre les restes du troisième Reich, guidés par Master Man, le super soldat vert de gris. Le tout avec brio, humour, un sens certain de la narration fluide, et des dessins lumineux et toujours d'une lisibilité appréciable. Byrne restera 25 numéros durant, avant de céder le flambeau à un artiste alors quasi inconnu. Mais qui ne va pas le rester longtemps…
Difficile de faire mieux, en arrivant derrière. On avait atteint un véritable pic de qualité qui faisait craindre le pire pour le successeur. Sauf que ce dernier, à la surprise générale, releva le défi avec brio. Place donc à Jae Lee, un coréen d'origine de dix neuf ans à l'époque, avec à son actif une simple pige chez Marvel, pour la revue anthologique Marvel Comics Presents. Mais quand on a du talent, on peut compenser aisément le manque d'expérience. Le Namor de Jae Lee est radicalement différent de celui de Byrne, il n'essaie pas de singer ou de rendre hommage à son aîné, mais bien d'imposer une nouvelle direction artistique au titre, en le gratifiant de pages ultra expressionnistes, sombres et paroxystiques. Le Prince des mers y apparait massif, doté d'un physique dopé aux anabolisants et noueux, une force sauvage de la nature aux veines saillantes. Les différents personnages n'ont de cesse de se lover dans l'ombre et en sortir brièvement, alors que les cases implosent, saignent, fondent ou se mêlent. Le classicisme de Byrne est foulé aux pieds par un vent de modernité, une déferlante technique impressionnante, qui va redynamiser un comic book plutôt gâté par le sort, avec de tels artistes à sa tête. Pour le scénario, Byrne prolonge quelques mois, le temps de dénouer les fils de l'intrigue précédente : Namor est devenu amnésique, privé de ses souvenirs (il ignore même son identité) par Maître Khan, et il erre dans le midwest américain ou il prête main forte à des activistes écologistes, avant de tomber nez à nez avec Fatalis himself, à bord d'un chalutier de nouvelle génération, qui menace de porter atteinte à la faune marine. C'est ensuite Bob Harras qui prend la relève dans l'écriture, le temps de ramener le Prince des mers à Altantis, où une lourde menace pèse sur son peuple, celle de légendes et de mythes oubliés et craints, qui reviennent à la vie pour détruire le royaume fabuleux. Le Namor de Jae Lee constitue une rupture totale par rapport à ce qui a été fait avant, du point de vue de l'approche graphique et risque d'en étonner certains. Je suis même d'opinion que c'est lorsque ce dessinateur est arrivé sur la série qu'elle a atteint son plein potentiel. Byrne a toujours été un dessinateur très compétent, très régulier, avec une souplesse de trait admirable, mais ce qu'a produit Lee dépasse l'entendement. Il suffit de se replonger dans les souvenirs en temps réel, à la découverte des premières planches, dans les pages de Strange : un véritable choc, non seulement artistique, mais philosophique, avec une question essentielle, est-ce que j'aime ou je n'aime pas ce que je suis en train de voir ? C'était véritablement ça l'interrogation, la première fois, avec ces planches expressionnistes, truffées de personnages dont les veines saillantes parcourent des corps anguleux. La couleur, qui est tout à coup disparaît, avec des cases qui ressemblent à des tableaux du Caravage, exposés par un soir d'orage… Bref, ce sont ces épisodes-là qui sont à mon sens les véritables pépites de l'omnibus et qui méritent d'être conservés à jamais. Omnibus que vous devez lire !
Malheureusement, pour un ouvrage si attendu, de 90 euros, on pouvait s'attendre à une dernière couche plus soignée, pour éviter certaines erreurs étonnantes (la première à la… première page) ou des formulations malheureuses. Panini continue de faire relire et/ou de lettrer en Italie, sauf erreur de ma part. C'est un vrai problème. Exemple flagrant ici :
Notre vidéo sur cet omnibus dispo ici :
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