Alexandre a douze ans quand il tente d’étrangler l’un de ses camarades, sauvé in-extrémis par un passant. Procès, avis des psychiatres, il est interné et soigné. Dix ans plus tard, les médecins l’estiment libérable au vu de sa bonne volonté à se soigner et des bons résultats scolaires (en distanciel) obtenus, diplômé de Sciences Po. Libéré avec un traitement médicamenteux, le jeune homme beau et intelligent décroche un poste lucratif dans la finance. Il va rencontrer Laëtitia, coup de foudre réciproque, beau couple avec bientôt deux enfants, un modèle pour leurs amis des classes sociales supérieures et leurs collègues. Ca c’est la première partie de la narration romanesque du roman.
En alternance des chapitres, une autre histoire se trame, mystérieuse au début, le temps qu’on comprenne de quoi il s’agit. Là, c’est le Mal qui s’exprime, ce fléau universel et très humain, dont une part est « dans » Alexandre, comme des cellules cancérigènes se développant à son insu. Denis Lafay imagine ces cellules comme une armée menée par le Mal, son stratège, qui pompe tout ce qui est négatif dans notre monde moderne pour le réintroduire dans la personnalité d’Alexandre, le but étant de la rendre mauvais et dangereux. Et ça marche !
Le couple modèle se délite, Alexandre n’est plus le même, il délaisse femme et enfants, même ses collègues ne le reconnaissent plus, son travail s’en ressent. Le jeune démon d’hier devenu ange va retomber en enfer et commettre l’irréparable. Nouveau procès. Mais aujourd’hui la France est dirigée par un président, qu’on peut supposer d’extrême droite ici (mais d’extrême gauche serait pareil), qui s’est arrogé tous les pouvoirs et conditionné les esprits de ses concitoyens, devenus une meute hurlante. La peine de mort est rétablie à la va-vite pour coller avec le résultat du procès dont le verdict semble acquis d’avance : joie du peuple = tranquillité du tyran. Est-ce aussi certain ?
Un bouquin déstabilisant qui en posant la question « Est-on seul coupable de ses crimes ? » sous-entend déjà que ce n’est pas évident. Certes l’enfant Alexandre n’était pas dans un foyer favorable au meilleur épanouissement mais l’environnement social extérieur aurait largement sa part de responsabilités et là Denis Lafay liste des points déjà connus mais qui font toujours mal (!) à lire écrits noir sur blanc : Le capitalisme effréné et ses profits à tout prix (« le mal pernicieux, malveillant »), l’individualisme forcené de l’époque avec la « déshumanisation des relations humaines », le climat politique délétère. Le débat qui n’existe plus, l’intelligence artificielle et le métavers (« un univers virtuel dans lequel chacun s’immerge pour fuir le monde réel ») etc.
L’auteur a le bon sens de ne pas donner de réponse définitive et si l’environnement extérieur est largement pointé du doigt, il ne fait pas d’Alexandre une simple victime du système, l’homme avait le choix, en arrêtant de suivre son traitement médicamenteux il s’est délibérément mis en situation de faiblesse, prêt à accueillir le Mal qui a fait de lui un criminel une fois encore.
Un bouquin très court, facile à lire mais dont certains passages sont très effrayants car ils font écho à la situation politique actuelle. A lire en urgence avant les élections !
« Du mal, il n’existe aucune mesure commune et invariable. L’acte du mal doit être distingué de l’interprétation du mal. Pour ces raisons, le mal ne doute jamais, l’évaluation du mal commande qu’il soit toujours contextualisé, le mal doit donc échapper au jugement moral. Qu’il s’agisse, comme je vais le démontrer dans le cas d’Alexandre, du mal inné – celui de son enfance – ou du mal acquis – lors de son cheminement ultérieur. »