Après plusieurs mois de lectures, nous revenons aujourd’hui avec un article proposant une sélection non exhaustive de livres permettant de mieux saisir ce qui se joue en Palestine. PARTIE 2 !
J’évoquerai ici mes récentes lectures. Autant de ressources permettant, à mon sens, de mieux saisir ce qui se joue en Palestine mais aussi la réception qui est faites des évènements récents en France. Autant de ressources pour s’informer, ouvrir les yeux sur les évènements qui se joue et se rejouent depuis des décennies, penser le génocide dont nous sommes spectateur.ices en dehors de ce que les médias veulent bien nous en montrer.
Mon objectif était clairement de varier les supports afin que tout le monde puisse y trouver son compte. Vous pouvez d’ors et déjà retrouvée la partie 1 (Ressources pour comprendre la situation en Palestine, partie 1) de ce « dossier » que je tente de réaliser sur le sujet. Aujourd’hui, on reste sur la forme écrite uniquement et on vous parle d’un roman et de deux essais.
Le nettoyage ethnique de la Palestine – Ilan Pappé
Vous avez probablement vu passer celui-ci récemment sur les réseaux sociaux.
De fait, fin décembre 2023, Fayard retire de son catalogue cet ouvrage initialement publié en 2008. Le processus de nettoyage ethnique de la Palestine décrit par l’auteur dans ce livre se répète depuis le 7 octobre et en ce sens, l’arrêt de commercialisation est loin d’être un choix apolitique. Plus récemment, vous aurez peut-être à nouveau entendu parler de cet auteur, arrêté et interrogé par non moins que le FBI dès son arrivé sur le territoire américain en mai 2024. L’objet de cet interrogatoire ? Le rapport de l’historien israélien avec ce qui se déroule actuellement en Palestine, son opinion politique sur le génocide palestinien.
Dès que les éditions La fabrique ont annoncé qu’elles allaient reprendre ce texte dans leur catalogue, on a su qu’on allait le lire. L’acharnement des autorités vis-à-vis de l’historien a encore renforcé notre envie de découvrir son point de vue sur la Nakba de 1948, de comprendre pourquoi il dérange.
Ilan Pappé fait partie des « nouveaux historiens » israéliens. C’est ainsi que l’on nomme les historiens qui après l’ouverture des archives israéliennes et britanniques portant sur les évènements de 1948, ont réexaminé les agissement de l’État d’Israël, alors en train de se créer.
Dans ce texte il combat le révisionnisme qui consiste à dire que les palestinien.nes ont juste quittées leur terres en 1948. Il décrit le processus de nettoyage ethnique rationnel mis en place par Israël après la fin du mandat britannique pour grignoter du territoire palestinien, progressivement. Faisant des parallèles à chaque début de chapitre entre des extraits de textes officiels évoquant le génocide bosniaque et ce qui s’est déroulé en 1948 en Palestine, il souligne les similitudes entre les deux évènements et pourtant la reconnaissance différente dont ils font l’objet. On retrouve pourtant des méthodes similaires d’expulsion, de massacres, de stratégies militaires pour prendre au plus vite une ville, soumettre une partie de la population. Les méthodes employées pour « nettoyer » un territoire, pour « transformer une région mixte en un espace ethniquement pur ».
L’auteur entre également plus en détails dans les évènements militaires qui ont agitées l’année 1948 en Palestine. Au manque d’organisation et au quasi amateurisme de l’Armée de Libération Arabe (ALA) s’opposant à l’armée israélienne, bien plus massive, dont certaines des méthodes viennent directement de l’armée britannique. Pour le résultat qu’on connait : le déplacement massif des populations autochtones (environ 80% de la population d’Arabes palestiniens) et des massacres de celles et ceux qui tentaient de s’opposer aux soldats. Il mets également en évidence la surprise des Palestiniens lors des premières expulsions et premières attaques. Eux qui ont toujours été colonisés ne s’attendaient tout simplement pas à ce que ces nouveaux colons viennent modifier leur quotidien aussi brutalement. Aussi, Pappé nous décrit les Palestiniens comme n’étant pas dans un rapport de résistance face à la colonisation israélienne au tout début de ces évènements.
L’historien relève aussi l’injustice du plan de partage de l’ONU de 1947 au vu de la démographie réelle de ces territoires. Ainsi si les Arabes palestiniens étaient grandement majoritaires, ils n’en ont pas moins obtenu une partie de territoire loin d’être proportionnelle à leurs nombre. Pappé s’applique ainsi à montrer le grand rôle joué par l’Occident dans ce « conflit » (peut-on toujours parler de conflit à ce stade ? Quel mot employer à la place dans le contexte de cette phrase ?), par l’ONU mais aussi par les colons britanniques qui, non contents de quitter le territoire alors que planait clairement une menace d’embrasement (le mot est faible), ont formé en partie l’armée israélienne à leurs méthodes barbares.
Dans sa dernière partie, cet essai évoque également les autres modes de colonisation employés par Israël pour s’imposer sur les territoires palestiniens. L’auteur évoque ainsi la question du mémoricide qui nous semble absolument centrale, « passionnante » mais surtout terriblement angoissante. À l’heure où des images de soldats israélien se photographiant devant des bibliothèques en feu nous parviennent, le sujet est plus que tout d’actualité et devrait nous toucher. Pappé montre les différentes formes que peut prendre un mémoricide. L’exemple des boustans nous a ainsi beaucoup marqué puisqu’il nous a éclairé sur le processus qui a mené au contexte dans lequel se déroule le film Alam dont on vous a parlé dans notre article précédent. Les boustans ce sont les vergers en terrasses que cultivaient les palestiniens. Aujourd’hui transformé en « parcs nationaux » israéliens et visités par des touristes, ces forêts représentent matériellement le mémoricide en cours puisque sous ces plantations se trouvent d’anciens villages palestiniens. Toute commémoration y est d’ailleurs interdite par les autorités israéliennes, vous vous en douterez. Empêcher la création de lieux de mémoire, c’est aussi un mémoricide à la même hauteur que de bruler des archives ou de détruire une partie du patrimoine historique et religieux.
Pour réaliser cet ouvrage, l’auteur s’appuie en partie sur les témoignages de personnes ayant vécue la Nakba (aussi bien Palestinien.nes que soldats israélien.nes (qui semblent visiblement vivre une forme de stress post-traumatique après les horreurs dont leurs collègues et eux-mêmes se sont rendus coupables)) mais aussi et surtout sur des archives militaires et stratégiques ainsi que les correspondances et le journal intime de Ben Gourion, alors à la tête du gouvernement israélien.
Un travail qui m’a, somme toute, semblé très sérieux mais qui, je préfère le dire tout de même, fait l’objet de controverse vis-à-vis de collègues historiens… On comprend un peu pourquoi. Le texte de Pappé donne souvent l’impression d’une forme de manichéisme, de binarité qui peut apparaitre trop simpliste et donc un peu suspect… (avec le niveau de désinformation qu’on atteint aujourd’hui, la peur de se faire berner par un récit séduisant est grande de notre coté). C’est aussi tout simplement que ce qui nous est décrit est inconcevable. Nos esprits ont parfois du mal à digérer de tels niveaux de cruauté. Et finalement, c’est bien là l’objet de cet ouvrage : faire reconnaitre officiellement la Nakba dans toute son horreur.
Personnellement la thèse de Pappé nous parait tristement tenir la route.
Et puis quand on voit que l’un desdits collègues historiens le critiquant a obtenu un poste universitaire après avoir convaincu le président israélien de son « patriotisme sioniste » (on parle de Benny Morris) dans les années 90, on se dit que croire en la thèse de Pappé sur le plan Daleth, c’est vraiment pas déconnant du tout ! Bref, on vous recommande cette lecture, parfois dur mais absolument nécessaire et surtout plutôt accessible !
Le palais des deux collines – Karim Kattan
Premier roman du jeune auteur franco-palestinien Karim Kattan, le Palais des deux collines est une lecture sur laquelle on risque d’avoir du mal à mettre des mots tant elle nous a touchées. On espère ne pas énoncer des banalités.
Faysal, trentenaire issu d’une famille bourgeoise chrétienne palestinienne revient dans son village natal après avoir reçu un courrier lui annonçant le décès d’une tante dont il ne se souvient même pas. Là-bas, à Jabalayn, il retrouve le palais des deux collines, palais construit par son grand-père et dans lequel il a grandit.
Récit teinté de réalisme magique et se déroulant dans un village imaginaire de la vallée du Jourdain, le Palais des deux collines et un roman qui marque par l’alternance que l’auteur opère entre poésie et récit brut des évènements.
« Il y a donc bien un fantôme insistant qui m’attend patiemment de l’autre côté de la porte. L’odeur du café est parvenue à moi. Étrange fantôme, qui prépare le petit déjeuner. » (p.123)
Alors que Faysal redécouvre la maison de son enfance, « palais des esprits » peuplé des wiswiswis des fantômes du passé, l’annexion de la Cisjordanie Sud se poursuit, l’arrivée de colons planant comme une menace imminente pour cet homme, « né pour constater l’extinction de [sa] race. »
« Les colons arriveront bientôt à Jabalayn ; quelques jours, au plus. Ils vont entrer dans la ville fantôme. Ils vont s’installer triomphalement dans les maisons. Ils diront : ils n’étaient pas là. La prise de la ville sera rapide et discrète. » (p.38)
À travers les yeux de Faysal, on redécouvre l’histoire de sa famille. Passé et présent s’entremêlent, le palais est tour à tour vide et peuplé de fantômes puis, par contraste, plein de vie, de couleurs et empli de rires. La mémoire, l’oublie, la construction de soi en tant que Palestinien issu de la diaspora (loin de son peuple sur le point de disparaitre) mais aussi la colonisation et la collaboration sont autant de points abordés par l’auteur.
Le tout se mêle en un récit cohérent, prenant, habité par des personnages terriblement touchants.
« Ce qu’il lui fallait, à Jihad, c’était quitter cette terre. Il était certain que s’il était né dans un autre pays, un pays développé et tech-no-lo-gi-que, il aurait été astronaute. Le premier homme sur la Lune, ça devait être lui. Manque de bol, ici, on parvenait à peine à arriver au bout du village, alors la Lune, tu parles. Il se prit à répéter, et ce jusqu’à la fin de sa vie, demain les abricots qu’on va libérer la Palestine. Demain les abricots, c’est une expression de chez nous, qui fait référence à la très courte saison des abricots pour dire « jamais », pour dire « cela arrivera lors d’une saison qui n’existe pas. » (p.27-28)
Petite et grande histoire ne font plus qu’une pour évoquer l’horreur de la colonisation avec force et poésie. Beaucoup de citations jonchent le court texte que nous dédions à ce livre mais, pour finir, une dernière citation issue de ce roman qui nous a subtilement rappelé le slogan « De la mer au Jourdain ».
« Les gens de mon pays ont le parler maritime. Dans leurs syllabes il y a le fracas des vagues et dans leur rire l’écume et même quand ils toussent, quand ils baillent, quand ils rotent, c’est l’insondable océan qui jaillit de leur gorge. Mon pays que tu n’as jamais connu. Celui que tu as connu, toi, est une presqu’île, un bout de terre sinistre dans une étendue d’eau plate. Le mien, c’était un détroit entre les mers, un bras qui émerge des abîmes, la parole après le tohu-bohu. » (p.203)
Antisémitisme et islamophobie, une histoire croisée – Reza Zia-Ebrahimi
Enfin, « en bonus », je souhaitais vous parler brièvement de cet ouvrage de l’historien Reza Zia-Ebrahimi que j’ai trouvé éclairant. Se proposant de dresser une « généalogie intellectuelle des racismes », Zia-Ebrahimi évoque en alternance l’histoire de l’antisémitisme et l’histoire de l’islamophobie, dressant des ponts entre deux formes de racismes dont les structures sont similaires même si les évènements qui ont jalonné l’histoire des juifs et l’histoire des musulmans sont bien différents (il n’est jamais question d’une mise en concurrence des expériences des uns et des autres).
Ainsi à la racialisation religio-culturelle et biologique, l’historien vient ajouter la racialisation conspiratoire, aujourd’hui omniprésente dans les formes de racismes que nous connaissons avec la multiplication des théories du complot. Dans son dernier chapitre, cet ouvrage évoque un « réagencement des racismes », apparaissant avec la création d’un État d’Israël.
J’ai été surprise par cet ouvrage. Étant donné qu’il est court, je ne m’attendais pas à apprendre tant de choses. C’est vraiment très bien sourcé (sur l’antisémitisme comme sur l’islamophobie) et c’est toujours limpide sans être simpliste. L’auteur y cite de nombreux textes fondateurs de ces deux formes de pensées racistes et les décortique, en extrayant des thèmes, des obsessions qui paraissent tour à tour absurdes puis effrayantes lorsqu’il nous rappelle que des suprémacistes blancs tels que Breivik ou encore Tarrant y croyaient dur comme fer et qu’elles les ont convaincu de commettre des tueries de masse… Bref, c’est d’utilité publique et ça permet de mieux comprendre les rouages du complotisme, de l’antisémitisme et de l’islamophobie tels que nous les vivons ou en sommes témoins aujourd’hui. De quoi mieux comprendre le contexte international dans lequel se déroule le génocide palestinien. De quoi rappeler également à celles et ceux qui l’oublieraient que prendre part à une marche contre l’antisémitisme ne rend pas le Rassemblement national moins raciste (tout est dans le livre, lisez-le)
Les articles appartenant à ce « dossier » c’est un peu notre manière à nous de continuer à faire vivre ce sujet à l’heure où les médias passent à autre chose ou préfèrent ignorer l’horreur qui se joue sous nos yeux. Alors, si vous avez un moyen quelconque de repartager cet article et de partager ces quelques ressources que nous avons glanées, n’hésitez pas à le faire. Que ce soit en l’envoyant directement à un proche en quête de ressources ou via les réseaux sociaux directement, tout compte.
Et puisque le meilleur moyen d’agir reste encore de soutenir financièrement (si vous le pouvez) les associations venant en aide aux réfugiés palestiniens, vous trouverez à la suite de cet article des liens vers des associations où faire des dons et un compte qui repartage les évènements à venir en France autour de cette actualité.
Des associations fiables auxquelles il est possible de faire des dons :
- Faire un don à l’Association France Palestine Solidarité
- Faire un don au Collectif Urgence Palestine
- Faire un don à l’UNWRA (United Nation Relief and Works Agency)
- Medical Aid for Palestinians
Pour faire des dons directement auprès de familles qui tentent de fuir les massacres, vous pouvez vous rendre directement sur ce linktree ou encore sur ce linktree créée plus récemment.
Enfin, les évènements et manifestations sont nombreux en France si vous souhaitez participer à une action, à une rencontre en librairie ou à une manifestation pour continuer à demander un cessez-le-feu immédiat à nos dirigeants.
Chaque semaine les Carnets palestiniens repartage les manifestations prévues sur l’ensemble de la France.
De son côté Urgence Palestine repartage également les manifestations et organise aussi d’autres évènements (conférences, rencontres, actions, etc.) en fonction des différentes branches locales.
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