Les amitiés fantômes (Morgane Stankiewiez)

amitiés fantômes (Morgane Stankiewiez)

Auteur : Morgane Stankiewiez
Éditions : Goater
Parution le : 03 mai 2024
270 pages Thème : Fantastique

disponible sur le site de l'éditeur

à la FNAC et sur Amazon

La meilleure amie de Nora, Ivy, décède subitement. En pleine dépression, Nora est invitée à faire le tri dans les affaires de son amie. Elle y découvre une liste de dix choses à faire avant de mourir et jamais menées à bien. Sur un coup de tête, elle décide de réaliser les défis de cette liste, ce qui fait revenir son amie d'entre les morts, le temps d'une soirée, d'un repas, d'un instant volé à l'éternité. Parviendra-t-elle à faire le deuil de sa sœur de cœur avant que celle-ci ne disparaisse à jamais ? "

Je remercie l'auteure et la maison d'éditions pour ce cadeau. Je ne m'attendais pas à le recevoir, n'ayant même pas vu que Morgane sortait un autre livre. Je suis ravie de l'avoir reçu, de l'avoir lu et par-dessus tout je ne suis pas certaine d'avoir les mots assez forts pour dire à quel point j'ai pu aimer cette histoire. Bien que le sujet soit difficile et douloureux, c'est un sujet qui nous touche tous autant que nous sommes, car la mort fait partie de la vie qu'on le veuille ou non. Parfois elle est un semblant de solution pour X ou Y raisons, parfois elle n'est que déceptions, mais toujours elle est souffrance. Morgane nous délivre de nombreux messages dans son texte : de la tristesse, de la peine, du mutisme, de l'incompréhension, de l'espoir aussi. La mort n'est pas une fin en soi, elle est là, autour de nous et ce qui en dégage n'est pas forcément mauvais ou bon. Les nuances de gris, de ce mélange de noir et de blanc, teinté d'ombres plus ou moins éclairées...


Nora perd sa meilleure amie, sa soeur, son amour, son univers... Une soirée ensemble à imaginer leur girl trip et le lendemain un coup de fil qui vous annonce qu'une voiture en a finit avec sa joie de vivre. Comment réagir ? Comment imaginer que le destin a été aussi cruel ? Chaque personne réagit différemment. Les armes, les cris, le mutisme, toujours est-il que la douleur qu'elle soit ressentie violemment ou non est bien là, ancrée en nous et qu'il faut "faire avec". Une amitié forte, un amour non crié, peu importe celui qui n'est plus. Le manque se fait ressentir, les idées noires aussi. La perte est toujours intense et même avec le temps il est souvent difficile de retrouver le gout à cette vie sans l'autre. Les moments de joie comme de peine sont ancrés en nous. Force ou faiblesse, nous ne sommes que des êtres humains avec nos émotions, nos sensations, nos sentiments qui ne nous laissent pas toujours dormir comme nous le voudrions. Pour un instant de sérénité, pour un bonheur fugace, certains choix se font sans réfléchir : parce que l'envie de ne plus ressentir cette douleur est si forte que tout est bon pour "oublier".
Oublier, un verbe qui veut tout dire et ne rien dire. Nulle ne veut oublier quelqu'un, nulle n'a envie de rayer de la carte celui ou celle qui a été proche de nous si longtemps. Ce temps pour s'en "remettre" n'est pas le même pour tout le monde. Je ne ferais pas de philosophie, ni de psychologie entre ces lignes, j'indique juste que personne ne peut réagir de la même manière que son voisin. Morgane nous fait une approche sombre de cette perte, réaliste et ô combien difficile. Des moments de désespoir qui peuvent laisser le lecteur dans des moments de doutes : Et si Nora devenait folle ? Comment imaginer que Ivy puisse revenir d'entre les morts ? Je n'ai pu que ressentir sa douleur, ayant déjà connu cette souffrance de la perte d'un être cher. L'expression des sentiments de Nora sont mis en avant. Les questionnements que ce personnage se pose sont nombreuses. Le pourquoi pas de larmes ? Pourquoi continuer à aller travailler ? Pourquoi continuer à vivre ? Et bien d'autres questions qui sont implicites au travers de ce récit.


Nous n'avons pas que ces côtés sombres, nous avons également des lueurs d'espoir, des moments où le sourire revient. L'attachement des vivants aux morts est bien présents, mais les vivants pour les vivants encore plus. La peur fait partie intégrante de ceux qui restent, de ceux qui se demandent pourquoi ? Tant d'émotions, tant de thèmes abordés en un si petit récit : l'amitié, la mort, le deuil, la tentative de suicide, l'homosexualité, l'amour, et bien d'autres à découvrir tout au long de ce récit. Ce dernier n'est pas linéaire. Ivy et Nora sont amies depuis toujours, c'est ce que nous comprenons et puis nous comprenons que cela n'a pas été toujours le cas. Nous revenons en arrière, avant le drame, bien des années avant, au début de leur amitié encore flageolante, aux bêtises d'adolescentes qui peuvent abîmer un peu trop les fragiles relations. L'espoir est ce qui maintient en vie et pour Nora, c'est de pouvoir revoir Ivy une fois de plus, une fois où elle sera à ses côtés durant une soirée, ou deux. La liste qu'elle retrouve dans ses affaires lui apporte ce qui lui manquait : ce grain de folie, un but à atteindre pour être plus proche d'elle.


C'est à la fois une bénédiction et une malédiction. Imaginer faire cette liste à l'âge adulte seule et non avec son amie, pour son souvenir, pour se sentir moins mal, moins seule, pour tout un tas de raisons expliquées ou implicites. Vouloir en finir est une chose, faire peur à ceux qui restent peuvent donner l'électrochoc, revenir des années en arrière et se souvenir de tout ce qui n'a pas pu se faire, de tout ce qui a été oublié pour repartir sur un avenir moins glorieux certes, mais avec de petites choses qui nous font sentir vivant. Vivant et heureux de l'être, ce qui est compliqué, parce que pourquoi sommes-nous en vie et pas l'autre ? L'histoire est bouleversante, criante de vérité. La réalité prend le pas sur les visions, à moins que ce ne soit l'inverse. Qu'importe, parfois il nous faut ce grain de tentation afin de continuer à mettre un pas devant l'autre. C'est ce que Nora va comprendre. Vouloir quitter cette Terre pour un autre monde, qu'il existe ou non là n'est absolument pas la question, n'est qu'une réponse à sa douleur. Ces actes pour lutter contre sa dépression, son mal-être sera un chemin douloureux, mais nécessaire. La vie n'est pas linéaire, les combats ne sont pas toujours gagnants. Conter la mort nous ne sommes qu'une infime poussière.


J'ai ressenti énormément ce que l'auteure voulait donner et même au-delà, parce que j'ai déjà été touché par cette douleur, par ces envies de ne plus rien ressentir. Les réactions sont diverses et variées. Effectuer cette liste totalement folle (non mais je n'aurai jamais eu le courage de plonger aussi bien côté piercing que fleuve) apporte à notre personnage ce qui lui manque. Se reconstruire et apprendre à se connaître vraiment. Nora nous apporte son cœur sur un plateau, entouré de ses émotions les plus brutes, les plus pures aussi. Dans ces cas il n'y a pas de solution, pas de mots tout fait. Il faut savoir écouter et être présent. Les conseils ? Non, ils ne seront pas entendus, parce que c'est ainsi, parce qu'il faut du temps pour reprendre vie. Telle une fleur qui meurt, la tige reste parfois verte afin de donner une autre fleur, un autre type de pétales parfois, plus résistante aussi. Les mots de Morgane m'ont percuté de plein fouet.

La réalité nous frappe sans que nous ne puissions rien faire. Nous avons envie de prendre Nora, de la secouer par moment pour lui faire entendre raison, de nous retrouver à ses côtés lorsqu'elle ne se sent plus seule. Le livre est classé en fantastique sombre, en gothique, mais il est bien plus que cela à mes yeux. Je le vois comme un contemporain, sombre certes, gothique par moment, avec cette réalité qui nous plonge dans nos souvenirs, dans nos envies si fortes que nous pourrions croire ne plus être seuls. Les mots de Morgane sont emplis de tendresse, de mélancolie aussi. Les petites piques, les joutes verbales dont nous sommes témoins entre Ivy et Nora sont douces. Morgane use de son potentiel à son maximum, avec des références nombreuses qui m'ont donné envie de relire un certain livre de Bram Stoker, de partir à la recherche du frisson qui peut faire oublier jusqu'à un certain point. L'absence est cruelle, l'attente douloureuse, mais lorsqu'enfin nous atteignons ce que nous désirons, il n'y a rien de plus beau que le lever du soleil sur des terres qui nous apporte ce nouveau souffle de vie.


En conclusion, j'ai été percuté par les mots de Morgane. Elle aborde de nombreux thèmes avec justesse, sans à-priori, sans jugement. Les mots coulent librement dans ces pages apportant autant d'émotions qu'elles peuvent exister. Il ne s'agit pas uniquement de deuil, il s'agit de tout ce qui l'entoure, de l'avant, de l'après, de l'apprentissage de soi. C'est sombre, cruel par moment, inspirant à d'autres, sarcastique à souhait, mais avec cette fin splendide. Une de celles qui nous fait pleurer, comme la plupart des scènes de ce récit. L'amour, l'amitié, les liens sont forts, la peur de se montrer réellement est exposée au grand jour. Nulle ne devrait se cacher et pourtant... C'est un roman magnifique, comme celui que j'avais lu de l'auteure avant. Un récit poignant, fort, capable de me faire pleurer rien qu'au souvenir de certains passages. Morgane est une valeur sure pour ma part, alors, vous attendez quoi ?

" Tout cela pour l'illusion de mon amie, dont les os reposent toujours au loin. Je me nourris de rêves, telle n'importe quelle héroïnomane en mal de son shoot. Si elle vivait encore, elle me fustigerait de prendre autant de risques. Je n'en suis pas fière. Pourtant... Elle est là, je l'entends et, si c'était à refaire, je plongerais même dans les forts courants. Parviendrai-je un jour à faire mon deuil ? "

amitiés fantômes (Morgane Stankiewiez)