Au XIXème siècle dans la haute société new-yorkaise. Lily Bart, une très belle jeune femme célibataire d’à peine trente ans qui ne laisse pas les hommes indifférents, orpheline et ruinée, vit aux crochets des autres dans l’attente d’un beau parti qui lui assurera cette belle vie. Reçue chez les uns et les autres, tous riches américains, sa vie se déroule dans de luxueux décors et occupations frivoles, soirées mondaines, bals et dîners en belles tenues et bijoux, séjours dans des résidences secondaires à la campagne, croisières en mer, visite de l’Europe… Sa présence élégante et sa personnalité charmante en font une compagne idéale pour ses riches amies qui se l’arrachent, sous l’œil intéressé de mâles en quête d’épouse ou de conquête. Cet équilibre précaire va s’effondrer quand Lily va s’endetter au-delà du raisonnable, ses amies d’hier l’ignorer et sa dette la placer à la merci d’un homme qui veut être remboursé en nature…
Edith Wharton dresse un portrait impitoyable de la société new-yorkaise huppée de l’époque. De ses règles sociales (« Tout dépendait ici de l’éternelle distinction entre ce qu’une femme mariée peut et ce qu’une jeune fille ne peut pas faire », « Dans notre société imparfaitement organisée, rien n’est encore prévu pour la jeune femme qui réclame les privilèges du mariage sans en assumer les obligations ») et dire que notre Lily tranche au cœur de ces règles, est peu dire. Quand on s’écarte de ce chemin tout tracé, les ragots et les rumeurs vont bon train, les langues de vipères se déchainent et c’est assez amusant (« J’ai l’impression, conclut Mrs Trevor avec émotion, que la majeure partie de sa pension alimentaire lui est versée par les maris d’autres femmes ! »).
Jeux de rôles et de nuisances pour s’attirer les bonnes grâces de telle ou telle, ces dames se démènent en insinuations pour savoir qui est ou n’est pas invité à une soirée, pour elles-mêmes ensuite inviter ou non une « amie » (« Mais je regrette assurément de vous avoir dit tout cela, même si je ne l’ai fait que par gentillesse »).
Déchue de l’estime de ses connaissances depuis qu’elle est ruinée, réfugiée dans une pension minable, à la recherche d’un boulot de modiste pour gagner trois sous, Lily se débat dans un dilemme, conserver sa liberté dans la pauvreté et la solitude (« Elle faisait l’expérience des profondeurs ultimes de l’insignifiance »), ou bien céder aux avances d’hommes qu’elle méprise mais fortunés et un retour à la vie fastueuse ?
Oui, l’attitude frivole de Lily nous agace mais elle nous est néanmoins sympathique et l’on s’énerve encore plus quand on constate qu’elle est aveugle ou refuse (inconsciemment ?) la main d’un ami de longue date, Lawrence Selden, un avocat qui lui aussi ne sait pas bien s’y prendre avec elle. La fin du roman est très belle car très triste.
Un bien bon bouquin, fort bien écrit de surcroît.