Terrasses - Laurent Gaudé ♥
Actes Sud
Parution : avril 2024Pages : 144Isbn : 9782330189143Prix : 14.50 €
Présentation de l'éditeur
Vendredi 13 novembre 2015, il fait exceptionnellement doux à Paris – on rêve alors à cette soirée qui pourrait avoir des airs de fête. Deux amoureuses savourent l’impatience de se retrouver ; des jumelles s’apprêtent à célébrer leur anniversaire ; une mère s’autorise à sortir sans sa fille ni son mari pour quelques heures de musique. Partout on va bavarder, rire, boire, danser, laisser le temps au temps. Rien n’annonce encore l’horreur imminente.
Laurent Gaudé signe, avec “Terrasses”, un chant polyphonique qui réinvente les gestes, restitue les regards échangés, les quelques mots partagés, essentiels – écrit l’humanité qui éclot au cœur d’une nuit déchirée par l’impensable. Et offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.
Laurent Gaudé
Portrait © Jean-Luc Bertini
Né en 1972, Laurent Gaudé a fait des études de Lettres Modernes et d’Études Théâtrales à Paris. En 1997, il publie sa première pièce, Onysos le furieux, à Théâtre Ouvert. Ce texte sera monté en 2000 au Théâtre National de Strasbourg dans une mise en scène de Yannis Kokkos. Suivront alors des années consacrées à l’écriture théâtrale et à la création de ses pièces sur les plus grandes scènes, en France (Pluie de cendres jouée au Studio de la Comédie-Française, Nous, l’Europe, banquet des peuples et La dernière nuit au monde au Festival d’Avignon, Terrasses au Théâtre de la Colline) et à l’étranger (Combat de Possédés, en Allemagne, Danse, Morob à Dublin, Le Tigre bleu de l’Euphrate à Montréal).
Son premier roman Cris, sur les atrocités de la Première Guerre mondiale, est publié en 2001. Avec La mort du roi Tsongor, il obtient, en 2002, le Prix Goncourt des Lycéens et le Prix des Libraires. En 2004, il est lauréat du Prix Goncourt pour Le soleil des Scorta, un roman qui se déroule dans les Pouilles en Italie, sa terre d’adoption.
Engagé dans son temps, les voyages sont pour lui une nécessité, l’occasion de se “frotter au monde”. Écrire est, peut-être, une façon de faire retentir le cri des disparus ou des plus démunis.
Port-au-Prince, le Kurdistan irakien, le Bangladesh ou la jungle de Calais donnent lieu à des reportages journalistiques et à des romans comme Eldorado sur le sort des migrants ou Danser les ombres sur le séisme qui a frappé Haïti en 2010.
Reconnu pour son écriture au souffle épique, son style lyrique et sa capacité à explorer des thèmes universels avec empathie et humanité, ses œuvres interrogent notre rapport à l’amour, la fidélité, le deuil, l’exil, la mémoire et la vengeance tout en laissant place à l’espoir et à la beauté de la vie.
Au fil des années, Laurent Gaudé ne cesse de se renouveler et démontre sa capacité à absorber de nouveaux genres littéraires. La poésie avec De sang et de lumière ou Nous l’Europe, banquet des peuples qui obtient le Prix du livre Européen en 2019.
Dans son roman Chien 51 ou ses pièces de théâtre La Dernière nuit du monde et Même si le monde meurt, il explore les territoires de l’anticipation et de la dystopie pour mieux donner à entendre les tourments de notre monde.
Avec Terrasses publié en 2024, il renoue avec la tragédie contemporaine dans un récit choral sur les attentats parisiens de novembre 2015.
Laurent Gaudé fait aujourd’hui partie intégrante du panorama littéraire français du XXIe.
Ses œuvres sont régulièrement prescrites dans les classes de collège et de lycée et rencontrent un grand succès auprès des enseignants.
Source : Actes sud
Mon avis
Laurent Gaudé dans ce texte magistral a réussi à mettre des mots sur l'indicible.
Vendredi 13 novembre 2015, Paris, il fait une belle journée, on pense à la soirée qui devrait suivre, un verre en terrasse avec des amis, un concert, la fête. La vie qui bat son plein et jamais on n'imagine ce qui va arriver, l'inimaginable. Cette soirée d'anniversaire pour deux soeurs, l'impatience de deux amoureuses, cette mère qui s'autorise à sortir sans sa fille.... Une soirée qui très vite tourne au cauchemar, inutile de vous en dire plus cette soirée, elle est je pense gravée dans toutes nos mémoires.
C'est un texte puissant d'une extrême humanité que nous propose Laurent Gaudé. un récit polyphonique où se croisent des passants, des victimes, des survivants, des policiers, les troupes du GIGN, des soignants, un urgentiste qui devra faire d'horribles choix, des parents, des proches. Ce sont des destins brisés, marqués à tout jamais de façon indélébile.
Ce qui est incroyable dans ce texte d'une beauté extrême, sans pathos, c'est qu'à la lecture on a l'impression d'être dans la tête des différents protagonistes, l'impression d'être là, de vivre avec eux cet insoutenable cauchemar. J'ai ressenti l'horreur, l'injustice, la colère, la tristesse infinie à la lecture mais aussi de l'humanité, de la compassion. Je n'oublierai pas Mathieu et Julie ♥
Ce récit découpé en 10 séquences est un très bel hommage à ceux qui ne sont plus, à ceux qui de près ou de loin ont vécu ce drame marqués à jamais. L'écriture est poétique, sensible, pudique.
Une lecture indispensable dont on ne sort pas indemne mais où l'amour et l'humanité sont signes d'espoir.
Ma note : ♥♥♥♥♥
Les jolies phrases
Le Hasard s'empare de nous, de tout, déchire des jeunes gens dans des flaques de sang et leur tord les traits. Il dévie nos chemins avec une joie féroce et donne à l'horreur le nom de destin.
Le Hasard continue à jouer avec nous. Il invente des retardements cruels, de faux espoirs, des trajectoires de tirs improbables, des chances inespérées, des armes qui s'enrayent. Nous retenons notre souffle. Attendons, prions, supplions, essayons d'espérer.
Toi, oui. L’autre, pas. » A une seconde près, un centimètre près. Avoir de la chance ou pas.
Il faut quelques secondes pour saccager une vie mais des années pour la réparer.
Tous inconnus les uns des autres. Tous incapables d’imaginer que nous serons bientôt unis.
Si l'enfer existe, nous y sommes. La lenteur de leurs gestes lorsqu'ils approchent d'un corps. L'assurance de leur domination sur nous. Leur calme. Il ne reste rien face à cela — que notre peur.
Y a-t-il un bruit que le malheur aurait fait en se levant et que nous aurions dû reconnaitre ?
Je suis dans la fosse. Abasourdi par l'explosion mais soulagé. Il se passe quelque chose. A partir de là, ce n'est plus un massacre, c'est un combat. Des hommes viennent à notre aide. Les tueurs vont devoir partir, se replier. Tout bascule. Vous avez fait cela. Vos balles ont éloigné la mort comme quelqu'un qui tape sur le sol pour éloigner les serpents.
Nous savons, à cet instant, que nous faisons partie de la longue chaîne de la vie qui se met en branle pour essayer de contrecarrer la mort, la longue chaîne qui s'est formée sur les boulevards, puis les ambulances, la longue chaîne de vie que la ville oppose à la barbarie, et nous nous sentons graves. Chacune sait que c'est pour cela qu'elle a choisi ce métier : soulager, guérir, sauver. Alors nous toutes, chacune à notre poste, nous essayons de ne pas laisser la nervosité nous gagner, mais comme le temps est long... Et finalement, les premiers blessés arrivent.
C'est la lenteur qui vient maintenant. Il faut quelques secondes pour saccager une vie mais des années pour la réparer. Longue patience du corps qui va devoir se rééduquer, gagner du terrain, séance après séance. Volonté des muscles d'aller plus loin, de tirer un peu plus fort, de repousser les limites, pour marcher à nouveau. Longue patience patience de l'âme qui s'effondre parfois, se met à pleurer, pense que rien n'aura plus jamais le goût d'avant puis se reprend, s'accroche. Vivre à nouveau. C'est un exercice difficile.
Nous avons appris qu'on pouvait mourir de marcher dans la rue, de s'attarder autour d'un verre avec des amis. Et pourtant, il faut continuer. Vivre. Comme on aime. Au nom de ceux qui sont tombés. Nous serons tristes, longtemps, mais pas terrifiés? Pas terrassés.
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