Quand tu écouteras cette chanson est la première œuvre lue de Lola Lafon. À travers cet écrit, l'écrivaine raconte la nuit passée dans le musée Anne Frank à Amsterdam, dans l'Annexe, là où ont vécu cachés Anne Frank et sa famille pendant ses deux dernières années, avant leur découverte par la Gestapo et leur déportation funeste dans les camps d'extermination nazis. Lola Lafon rend hommage au travail de mémoire que s'est imposé Anne Frank à travers son journal intime écrit, réécrit, aux phrases pesées, aux anecdotes intelligemment narrées et réfléchies, à l'intimité dévoilée et finalement censurée.
Lola Lafon revient sur la ténacité de l'adolescente à réclamer ces deux demi-journées hebdomadaires de droit à l'unique table du petit appartement, pour pouvoir écrire, juste écrire et élaborer son journal témoin d'une époque monstrueuse. Lola Lafon rend hommage à la jeune écrivaine qui a souhaité transcrire son quotidien avec honnêteté avec ses mots et ses émois d'adolescente, dans un refuge partagé entre huit personnes, dans lequel le silence était la monnaie de la survie, même si cela n'a pas suffi.
Lola Lafon éclaire sur le cheminement du père d'Anne, Otto Frank, sur ses choix de refuge (au-dessus de son lieu de travail, au plein cœur d'Amsterdam, une autre ville de tous les dangers, comme Paris à la même époque). Elle indique toute son ingéniosité à ériger une autre vie, faite de confinements et de rituels très organisés, limités en sons et en bruit. Elle montre aussi à quel point cette organisation aidée de mains généreuses et bienveillantes a permis la longévité de cet isolement social et physique. Très certainement, par ce choix audacieux et qui aurait pu suffire s'il n'y avait pas eu dénonciation, Otto Frank a assuré la survie de deux années à huit personnes innocentes. Par une écriture ample, très humaine, Lola Lafon met aussi en perspective sa propre histoire familiale, le silence des survivants et le pouvoir de la littérature. Elle décortique la pesanteur du trauma, la vigilance et la même inquiétude que nous devons tous avoir à l'égard des actes antisémites qui ne sont jamais anodins, relents d'un passé génocidaire et d'une stigmatisation inavouée.
Lola Lafon reprend l'histoire du journal d'Anne Frank, ses nombreuses publications et les amendements opérés, les choix éditoriaux de coupe sur certains moments intimes d'Anne, les choix grotesques pour donner un semblant de sens à une comédie musicale ou un film, les contestations fallacieuses des négationnistes qui abhorrent son existence. Parce que le journal d'Anne Frank rappelle à tous que tous avaient la connaissance de camps de concentration et d'extermination, à l'époque donnée.
Quand tu écouteras cette chanson rend hommage à une écrivaine en devenir, victime de la Shoah, à une écrivaine qui n'a pas eu le temps d'apprécier l'importance autant littéraire qu'historique de son témoignage, auprès du public adolescent en particulier, auprès de l'humanité toute entière.
Avec une plume sincère et une écriture directe, Lola Lafon propose un essai émouvant, qui met en lumière et renseigne l’œuvre essentielle du journal d'Anne Frank. À relire indubitablement.
Éditions Le Livre de Poche