Le murmure de la mer (Hippolyte – Éditions Les Arènes)
En ces mois d’été, nous sommes nombreux à partir en vacances et à passer des bons moments en famille ou entre amis, notamment au bord de la Méditerranée. Mais ce n’est pas pour autant que nous devons oublier que des drames terribles se jouent en permanence sur cette mer. Chaque jour et chaque nuit, des centaines de personnes essaient de la traverser au péril de leur vie dans des embarcations de fortune, en quête d’une existence meilleure en Europe. Et bien souvent, elles n’arrivent pas vivantes sur le Vieux Continent… sauf quand elles ont la chance d’être recueillies par le bateau d’une ONG. Depuis 2014, on estime ainsi que plus de 22.600 femmes, hommes et enfants ont péri noyés en mer Méditerranée, la route migratoire la plus dangereuse au monde. Dans « Le murmure de la mer », un roman graphique documentaire particulièrement fort, le journaliste et dessinateur de BD Hippolyte décide d’aller voir de ses propres yeux à quoi ressemble le quotidien sur un navire de sauvetage. Ce navire, c’est l’Ocean Viking, un bateau de l’association SOS Méditerranée. Sur ce bateau, Hippolyte entend « le murmure de ces gens qui traversent la Méditerranée, ce murmure qu’on essaie de ne pas entendre, mais qui est toujours là. Un murmure d’une beauté infinie, qui est fait d’espoir. »
Dans cette BD, on découvre d’abord comment Hippolyte se prépare pendant de longs mois pour apprendre les bons gestes et les bons mots pour sauver des vies à bord de l’Ocean Viking, un endroit qu’il décrit lui-même comme « un îlot d’humanité ». On découvre aussi comment il vit un premier faux départ particulièrement frustrant puisqu’en raison du Covid et du confinement, son premier voyage en mer n’aura tout simplement jamais lieu. Un moment très dur pour l’ensemble de l’équipage. Car pendant que tout le monde est bloqué à la maison en Europe, les migrants continuent à fuir leur pays et à prendre la mer, sans personne pour les sauver si leur traversée se passe mal. Hippolyte profite de cette attente pour interroger certains des courageux travailleurs de SOS Méditerranée, qui lui racontent les épisodes les plus durs et les plus émouvants connus en mer. Et puis finalement, la patience du dessinateur journaliste est récompensée. En 2021, il finit enfin par embarquer deux mois à bord de l’Ocean Viking , pour ce qui deviendra « le reportage le plus dingue de sa vie ». Ce sont évidemment ces pages-là de la BD qui sont les plus fortes. Quand Hippolyte réalise sa première opération à bord d’un canot de sauvetage, on a vraiment l’impression d’être dans ce canot avec lui. Dans cette embarcation, il y a 20 bébés. Il doit leur mettre un gilet de sauvetage, les sécuriser, rester le plus calme possible. Mais quand il se retrouve avec un bébé de deux mois dans les bras, l’émotion devient trop forte et il ne peut s’empêcher de pleurer à chaudes larmes, en pensant à son propre fils, qui l’attend à La Réunion. Et pourtant, malgré tout, il vit ce jour-là l’un des plus beaux instants de sa vie. Car lors de cette seule opération, 440 personnes ont été secourues par les équipes de SOS Méditerranée. En montant sur ce bateau, Hippolyte a décidé de leur donner un nom et un visage.
« Le murmure de la mer » est un témoignage sincère, dont Hippolyte, qu’on connaissait surtout pour son travail avec Vincent Zabus sur des BD comme « Incroyable! » et « Mademoiselle Sophie », n’est clairement pas sorti indemne. Lui-même dit être rentré « totalement effondré après ce reportage », car désormais il ne peut s’empêcher de penser en permanence au drame qui se poursuit en mer et aux milliers de migrants qui continuent à trouver la mort chaque année. Mais en même temps, il retient surtout de cette expérience que « sauver nous sauve, et qu’il n’y a rien de plus beau et de plus humain ». Il a d’ailleurs décidé de reverser la moitié de ses droits d’auteur pour « Le murmure de la mer » à SOS Méditerranée. Cette association fournit un travail incroyable puisque depuis sa fondation en 2015, ses équipes ont porté secours à près de 40.000 personnes sur la Méditerranée. Or, cette ONG a besoin d’argent puisque son budget provient à plus de 90% de dons privés et chaque journée en mer lui coûte la bagatelle de 24.000 euros. Sur la forme aussi, « Le murmure de la mer » est un très bel album, avec un mélange de planches de BD classiques, de dessins tirés du carnet de croquis d’Hippolyte, et de photos de migrants secourus intégrées au dessin. Un livre coup de poing, et donc incontournable.