Voici pourquoi le légendaire Jesse Owens courait plus vite que l’éclair

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Jesse Owens – Des miles et des miles (Gradimir Smudja – Editions Futuropolis)

Alors que les Jeux Olympiques battent leur plein à Paris, il faut plus que jamais se souvenir du nom de Jesse Owens. En 1936, cet athlète afro-américain aux qualités exceptionnelles réussissait l’exploit d’humilier Hitler et les nazis sur leur propre terrain en remportant quatre médailles d’or aux Jeux de Berlin. La légende raconte que le dictateur allemand aurait refusé de lui serrer la main. Mais en réalité, Jesse Owens lui-même précisait avec une certaine amertume que c’était avant tout le président américain qui lui avait manqué de respect. « C’est le président Roosevelt qui m’a snobé », expliquait-il. « Il ne m’a même pas envoyé un télégramme. À mon retour aux États-Unis, je ne pouvais pas m’asseoir à l’avant des autobus, je devais m’asseoir à l’arrière, je ne pouvais pas vivre là où je le voulais. » Cette phrase reflète bien le combat mené par Jesse Owens tout au long de sa vie. Contre le racisme et les préjugés, bien sûr, mais aussi contre la misère puisque Jesse était né dans une famille très pauvre en Alabama et qu’il était le dernier d’une fratrie de 11 enfants. C’est ce qui explique sans doute pourquoi ce petit-fils d’esclave a toujours dû courir deux fois plus vite que les autres pour tenter de sauver sa peau. Dans la BD « Des miles et des miles », il ne tient jamais en place. De son enfance à son adolescence, Jesse passe son temps à fuir d’innombrables dangers: des serpents, des crocodiles, des esclavagistes, des sauterelles, des ouragans, des fanatiques du Ku Klux Klan, des ours, des policiers… Finalement, Jesse Owens a tellement l’habitude de courir comme un dératé pour échapper à la mort qu’il finit par se faire repérer par l’un des agents de police qui le poursuit. Cet agent s’appelle Larry Snyder et il est entraîneur d’athlétisme pour les jeunes à l’université d’Ohio. Il comprend vite que ce jeune homme venu du Sud est un véritable phénomène et décide donc de le prendre sous son aile. La légende est en marche.

La force de cette BD, c’est qu’il ne s’agit pas d’une biographie classique. Mais alors pas du tout! Pour raconter la vie tumultueuse de Jesse Owens, le dessinateur et scénariste serbe Gradimir Smudja opte pour un récit fantastique et onirique. Certes, il se base sur la vie réelle de l’athlète, mais en y insufflant une solide dose d’humour et de fantaisie. On pourrait presque parler de magie. Dès la première page, on comprend qu’on va lire une BD inhabituelle puisqu’elle est présentée comme « traduite du langage chat vers le français ». Il est vrai que le narrateur de cette histoire n’est autre qu’un chat. Mais pas n’importe quel matou puisqu’il s’agit d’un félin affublé d’un chapeau en paille et d’une salopette. Sans oublier son inséparable banjo. Aussi courageux que farceur, ce chat – qui répond au nom étrange d’Essej Snewo – veille sur Jesse dès sa naissance et l’aide à déjouer tous les pièges. C’est lui, par exemple, qui aspire le venin hors du corps de Jesse lorsque celui-ci se fait mordre par un serpent et que ses parents le croient condamné. Plus qu’un ange gardien, Essej s’impose au fil des ans comme le meilleur ami de Jesse. D’ailleurs, ce dernier est le seul à le voir et à l’entendre. Ce personnage de chat est une excellente trouvaille car il permet à Gradimir Smudja d’apporter de la légèreté à son récit, sans pour autant l’empêcher d’aborder des sujets graves tels que l’injustice ou le racisme. Mais au-delà du scénario, ce qui frappe surtout dans « Des miles et des miles », ce sont ses dessins extrêmement colorés et spectaculaires. Dans des planches aussi splendides qu’inventives, qui tiennent souvent plus de la peinture que de la bande dessinée, Gradimir Smudja donne vie de manière fabuleuse à des champs de coton, des cirques, des ouragans, des villes aux hauts gratte-ciel… Et bien sûr aussi au stade olympique de Berlin, qui constitue forcément l’épisode central de cet album. Mais avant d’en arriver là, l’auteur d’origine serbe nous fait subtilement comprendre que si Jesse Owens est devenu le grand coureur que l’on connaît, c’est parce qu’il a dû parcourir « des miles et des miles » pour fuir le malheur, la bêtise et la haine. Et malgré ses exploits, il aura dû attendre 40 ans après ses podiums berlinois pour que le président Gérald Ford lui offre enfin la reconnaissance qu’il méritait. Cette BD nous offre donc une magnifique leçon de vie, mais aussi un vrai moment de poésie. Cela vaut bien une médaille d’or.