En ce moment, j'enchaîne les lectures pas gaies, pas gaies mais très bien écrites et qui me font réfléchir. Donc nécessaires. Vivre vite en fait partie et je peux dire que quelques jours après la lecture, je réfléchis toujours autant !
Dans Vivre vite, Brigitte Giraud revient sur l'accident de moto qui a coûté la vie à Claude, son compagnon d'époque et père de son fils. Avec de nombreux "si", elle explore les conditions de cet accident.De cette lecture, l'autrice pèse sa responsabilité et ses choix. Pourtant, à la lire, on se rend aussi compte que Claude a pris des décisions dénotant d'un manque de recul de sa part, d'une charge cognitive dense et d'une prise de risque inconsidérée ou insuffisamment considérée. Plusieurs éléments semblent concourir à cette issue incontrôlée et malheureuse : l'emprunt d'un engin non maitrisé et non autorisé sans une assurance spécifique, l'argent laissé à la banque, le pic de vitesse sur le périphérique, un bolide au démarrage susceptible, l'envie d'adrénaline dans une vie posée et pépère, le trajet du quotidien qui annihile toute vigilance, la peur du retard à l'école.
Après, vous me direz que d'autres prennent souvent autant de risques sinon plus et n'en meurent pas. Et c'est vrai, oui, la vie est profondément injuste, nous le savons.
Alors oui, Brigitte Giraud peut revenir sur son attitude, sur ses choix de logement et de déménagement, sur sa condition cognitive chargée, vouée à un achat puis à un autre, sur ses autorisations familiales et les attractions/envies qu'elles peuvent générer. L'autrice peut excuser en partie les actes et décisions de son mari et les prendre à sa charge, mais au regard du beau personnage qu'elle décrit, Claude était avant tout rock'n'roll et posé, jouant de cette ambivalence, assumant son rôle de père, le quotidien de sa vie de famille (en assurant deux boulots en parallèle) et des envies de dépassement de soi et de risque.
Parce que Vivre vite est un hommage à Claude, au couple formé avec Claude, à la Brigitte de l'époque. Et on y sent un profond amour, celui de deux êtres qui ont grandi ensemble, qui se sont élevés ensemble socialement et humainement, dans le respect de l'autre, en partageant les mêmes valeurs, en construisant un cocon avec un petit troisième être.
J'imagine l'obstacle humain, intellectuel, sentimental de Brigitte Giraud à poser tous ces mots, cette analyse fine des détails et des événements qui se sont enchaînés. J'imagine tous ces efforts et cette charge mentale d'introspection et d'enquête. J'imagine tous les chemins envisagés, toutes les bifurcations pour essayer de comprendre ces derniers instants, ceux d'une existence. Je comprends et je partage sa réflexion sur la mise sur route de bolides dont la vitesse de croisière dépasse les 180 km/h (alors que la vitesse autorisée maximale sur autoroutes françaises n'est que de 130 k/h... et je ne parle pas que de motos), des bolides comme véritables dangers individuels et collectifs .
Brigitte Giraud propose un écrit sincère, une mise à nu, dans un français remarquable aussi accessible que très bien écrit. Sa construction littéraire montre aussi un traitement riche et pertinent sur les fameuses routes et déroutes d'un scénario. Sans mièvrerie ni voyeurisme, Vivre vite questionne sur le fondement d'une existence, accumulation de faits et de décisions faite de "si" et de "alors". Instructif et très intéressant.
Éditions J'ai lu