Jacaranda

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

   

En lice pour le Prix Patrimoines 2024

En deux mots
Quand Claude, venu du Rwanda, rencontre Milan, la vie de ce dernier va basculer. D’abord parce qu’il va obliger sa mère à se raconter enfin et ensuite parce que, retourné au pays, il va pouvoir faire découvrir à son mari ce pays qui renferme bien des secrets de sa famille. Ce ne sont pas moins de quatre générations qu’il va explorer, avide de comprendre le génocide des tutsis et au-delà, l’histoire du pays.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les Ombres du Jacaranda

Huit ans après «Petit pays», Gaël Faye nous revient pour explorer, à travers une fresque intime et collective l’histoire du Rwanda sur quatre générations. En suivant le parcours de Milan, un jeune Franco-Rwandais en quête de ses racines, il réussit une nouvelle fois à nous toucher au cœur.

C’est au hasard d’une phrase, une question sans réponse que Milan va découvrir que sa mère ne lui a pas tout dit de sa vie. Certes, sa couleur de peau est plus sombre que la sienne, mais il n’a jamais été question qu’elle vienne d’un pays étranger. Incidemment, il apprend qu’elle est Rwandaise et plus étonnamment encore, elle va lui présenter un beau matin son neveu Claude, venu en France pour se faire soigner et dont les parents n’ont pas donné de nouvelles. Le petit garçon mutique va vite devenir un être à chérir pour celui qui rêvait d’un frère.
Aussi, c’est avec une infinie tristesse qu’il le verra repartir aussi brusquement qu’il est arrivé, car enfin sa famille a été localisée.
Quatre ans plus tard, Milan va pouvoir mettre un peu de baume sur son cœur blessé en accompagnant sa mère dans son pays natal et en retrouvant Claude.
Durant ce voyage initiatique au Rwanda, il va aussi faire la connaissance de ses grands-parents maternels. Le roman va alors nous plonger, de génération dans l’histoire du pays et nous livrer quelques clés sur les racines de la rivalité entre hutus et tutsis qui va conduire au génocide. Si les pages – glaçantes – des témoignages recueillis lors des procès viennent éclairer d’une lumière crue cette page sanglante, elles donnent aussi tout son sens à l’étude que mène Milan sur les gacaca, les juridictions populaires mises en place par le gouvernement pour juger des crimes du génocide.
On comprend alors l’intérêt croissant éprouvé par le jeune homme en quête de racines pour ce pays et pour sa famille, à commencer par sa grand-mère et sa tante Eusébie qui ont encore tant à lui apprendre. Auprès de ces femmes, il va même envisager de s’installer lui aussi près du Jacaranda, cet arbre au pied duquel bien des secrets sont enfouis.
Une nouvelle fois, Gaël Faye réussit à tisser un récit à la fois personnel et universel. A travers les yeux de Milan, nous découvrons un pays en reconstruction, où les fantômes du passé cohabitent avec l’espoir d’un avenir meilleur.
Autour des thèmes de la mémoire, du silence, de l’identité et du pardon, l’auteur rend hommage aux victimes du génocide, explore les mécanismes de la transmission lorsque la douleur empêche de dire les choses. Mais il témoigne aussi de la résilience du peuple rwandais. Avec Jacaranda, Gaël Faye ouvre un dialogue sur un passé douloureux et invite à la réflexion sur les enjeux de la réconciliation. Un grand roman qui augure bien de cette rentrée littéraire 2024 !

Signalons la lecture musicale organisée le 6 septembre à 20h à la Maison de la Poésie à Paris
et la rencontre organisée par la librairie 47° Nord à Mulhouse le vendredi 20 septembre à 20h.

Jacaranda
Gaël Faye
Éditions Grasset
Roman
224 p., 19,50 €
EAN 9782246831457
Paru le 14/08/2024

Où ?
Le roman est situé principalement au Rwanda, mais on y évoque aussi la France, et notamment Paris et sa région et des vacances sur la Côte Atlantique.

Quand ?
L’action se déroule de 1959 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Quels secrets cache l’ombre du jacaranda, l’arbre fétiche de Stella ? Il faudra à son ami Milan des années pour le découvrir. Des années pour percer les silences du Rwanda, dévasté après le génocide des Tutsi. En rendant leur parole aux disparus, les jeunes gens échapperont à la solitude. Et trouveront la paix près des rivages magnifiques du lac Kivu.
Sur quatre générations, avec sa douceur unique, Gaël Faye nous raconte l’histoire terrible d’un pays qui s’essaie malgré tout au dialogue et au pardon. Comme un arbre se dresse entre ténèbres et lumière, Jacaranda célèbre l’humanité, paradoxale, aimante, vivante.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Franceinfo Culture (Neil Senot)
Huffpost (Albane Guichard)
Le Jour d’Algérie
Blog Vagabondage autour de soi
Blog de ffloladilettante
Blog Sur la route de Jostein
Blog L’évasion et les mots
Blog d’Alexandra Zins
Blog Ma Voix au chapitre


Gaël Faye présente « Jacaranda » © Production Éditions Grasset
Gaël Faye présente « Jacaranda » © Production Blaise Baconib

Les premières pages du livre
« 1994
La guerre ! J’ignore pourquoi j’ai répondu « la guerre » quand Sophie, la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe, m’a demandé pour quelles raisons mes résultats du dernier trimestre étaient si catastrophiques. Elle a insisté : « La guerre ? » J’ai répété : « Oui, la guerre. » Je n’allais quand même pas avouer que je n’avais rien foutu, que j’étais un tire-au-flanc qui passait son temps à rêvasser et à écouter du rock. Il fallait trouver une explication convaincante, impossible à vérifier, et qui puisse émouvoir le conseil de classe. J’aurais pu prendre l’excuse de la maladie grave, du cancer ou de l’insuffisance cardiaque, mais il aurait fallu fournir des justificatifs médicaux ; ou raconter que mes parents s’étaient récemment séparés, mais c’était le cas de la moitié des élèves du bahut et ça ne les empêchait pas d’avoir des notes convenables. Alors, sans trop réfléchir, j’ai dit que c’était à cause de la guerre dans le pays de ma mère. Je n’en revenais pas d’inventer un mensonge pareil ! Mais plus j’y pensais et plus je trouvais cette histoire crédible. Aux infos, on parlait de ce conflit depuis des semaines, avec des images choquantes qui hantaient l’esprit. Même s’il s’agissait d’événements lointains dans un pays inconnu, tout le monde, à ce moment-là, voyait à peu près de quoi il retournait. J’ai sorti le grand jeu, j’ai tout inventé : les atrocités de la guerre, le chagrin de ma mère, les cauchemars de mon père, ma difficulté à me concentrer et à étudier sereinement. J’ai su que mon mensonge fonctionnait parce que Sophie m’écoutait les larmes aux yeux. Lors du conseil de classe, elle a si bien plaidé ma cause, reprenant avec émotion mes arguments, que les enseignants, bouleversés, ont décidé d’attendre avant de statuer sur mon sort.
Je n’avais pas imaginé que le collège convoquerait mes parents. J’étais pris à mon propre piège. Dans le bureau du directeur, assis entre mon père et ma mère, la tête baissée, pendant que le professeur principal relisait à voix haute les propos de la déléguée, je fixais mon pied qui s’agitait frénétiquement sous la table. En sortant du rendez-vous, alors que nous étions encore dans l’enceinte du collège, mon père m’a passé un savon humiliant devant un groupe d’élèves hilares. Mais le plus dur à encaisser a été le silence de ma mère. Son silence de toujours. Elle s’est contentée de me fixer durant d’interminables secondes. Un regard plein de mépris qui m’a donné envie de disparaître à jamais. Durant plusieurs jours, elle ne m’a pas adressé la parole. Mon bulletin est arrivé la semaine suivante. Dans la case observations, le principal avait écrit un cinglant : « Quand le mensonge fait surface, la confiance coule. » Sans surprise, je redoublai ma sixième.

C’est ce printemps-là que le Rwanda s’est invité dans nos vies pour la première fois. Ma mère n’en avait jamais parlé. Pour elle, tout avait commencé en 1973, lors de son arrivée en France. Elle ne faisait pas d’allusion à sa famille, ne disait rien de son enfance, ne possédait aucune photo de sa jeunesse là-bas. Petit, j’avais certainement dû lui demander où se trouvaient son pays, ses parents – mes grands-parents, que je ne connaissais pas. Je ne me souviens plus de ses réponses. Le passé de ma mère était une porte close. D’ailleurs, elle n’écoutait pas de musique rwandaise, ne cuisinait pas de plats de là-bas et ne m’avait pas chanté de berceuses dans sa langue maternelle. Chez nous, pas le moindre objet exotique, et aucune connaissance rwandaise ne venait jamais nous rendre visite. Dans mon esprit, nous étions une famille française, banale. Bien sûr, ma mère ne pouvait pas dissimuler sa couleur de peau, et il arrivait régulièrement que des questions insistantes, des réflexions anodines ou des sous-entendus tendancieux la renvoient à ce pays lointain qu’elle n’évoquait ni ne revendiquait. Mais elle ne relevait pas. C’était anecdotique. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir entendue une seule fois se plaindre de sa condition ou dénoncer un quelconque racisme. Ce qui surprenait le plus, c’était son français sans accent. Les gens s’en étonnaient, la félicitaient quand ils apprenaient qu’elle n’était pas née ici. La seule faute qu’il lui arrivait parfois de commettre était une étrange confusion entre le masculin et le féminin, ou, quand elle était fatiguée, les l prononcés en r. Mon père affirmait que leur différence de peau n’avait jamais été une question pour lui. « L’amour n’a pas de couleur », répétait-il souvent. Il disait ça fièrement, proclamant ne pas voir celle de ma mère. Comme elle taisait totalement ses origines, j’en arrivais presque à oublier qu’elle était née et avait grandi sous d’autres cieux. Si bien que lorsque je la surprenais en train de parler kinyarwanda lors d’une conversation téléphonique et l’entendais s’exprimer couramment dans cette langue inconnue, je m’arrêtais, stupéfait. Je n’ai jamais su avec qui elle conversait. Quand je l’interrogeais, elle restait évasive, parlait de « vieilles connaissances » ou de sa « lointaine famille à Bruxelles ». Je profitais de ces appels pour l’épier. Ses attitudes, les inflexions de sa voix, le maintien de son corps, jusqu’au battement de ses mains dans l’air, en faisaient une autre personne et lui conféraient une aura mystérieuse qui me troublait profondément. Lorsque je l’observais dans cette incarnation nouvelle, une sensation fugace et désagréable me parcourait. Celle de ne rien savoir de cette personne avec qui je vivais depuis toujours. Le terrible sentiment de ne pas connaître cette femme. Ma propre mère.

Le Rwanda est arrivé dans ma vie par la télévision, que nous regardions religieusement à l’heure du dîner. La première fois que le présentateur en avait parlé, je m’étais tourné instinctivement vers ma mère, tout excité, presque content qu’il soit enfin question de son pays natal au journal télévisé. Mais elle n’avait pas réagi, complètement absorbée par les images qui défilaient à l’écran. Voyant ma fébrilité, mon père m’avait lancé un regard gêné et dissuasif. À la fin de l’émission, j’avais attendu de la part de ma mère une réaction qui n’était pas venue. Cette scène se répéta quasiment chaque soir. Des mois durant, un magma d’images de mort, de violence et d’exode s’est déversé dans nos assiettes. Avant la diffusion, le présentateur prenait le soin d’avertir que certains contenus étaient susceptibles de heurter la sensibilité des téléspectateurs. Nous restions ensuite silencieux, nos regards fixant l’écran, nos fourchettes suspendues, figés comme des statues devant le spectacle de cette barbarie lointaine. Puis le présentateur réapparaissait pour annoncer un autre reportage. Un ange passait avant que les choses ne reprennent leur cours normal : mon père se versait un verre de vin, ma mère poivrait énergiquement sa purée de pommes de terre, je peinais à découper mon steak et à chasser les scènes d’horreur qui venaient de me caramboler. Chez nous, la sensibilité du téléspectateur était avalée comme une bouchée de silence. Ce qui finissait par m’infliger de terribles maux de ventre.
Je me revois, couché en boule sur mon lit pendant des heures, la sueur au front, mes avant-bras pressant mes boyaux douloureux, espérant que la brûlure se taise ; je me revois dans ma chambre, en fin d’après-midi, fixant une ombre évanescente sur un mur de la pièce, et l’ombre qui évolue, tremblote, se métamorphose puis disparaît au rythme de la course du soleil et du surgissement de la nuit ; je me revois prostré des heures durant, avec ce sentiment inexplicable qu’il me faut être patient, que la vie me destine à une chose que j’ignore encore, et que la contrepartie de cette chose inconnue est l’attente, une longue attente, sereine et acharnée. »

Extrait
« Bien plus tard, au milieu de la nuit, je fus réveillé par l’odeur âcre de la fumée et les cris des pompiers, à quelques mètres de notre maison, derrière le muret en pierre du jardin. Je me levai en toussant pour fermer une fenêtre laissée entrouverte. Depuis ma chambre, je pouvais apercevoir de hautes flammes dans les marais salants. Le spectacle était beau et terrifiant. C’est là que je l’ai remarquée. Debout au milieu du jardin, pieds nus dans l’herbe, une chemise de nuit blanche, immobile et seule. Sa silhouette se détachait en une ombre énigmatique à la lueur vacillante des flammes.
Nous étions en juillet 1994. Au moment où j’observais ma mère de dos qui regardait la nuit en feu, un génocide prenait fin dans son pays natal. Je n’en savais rien. » p. 22-23

À propos de l’auteur
Gaël Faye © Photo Chris Schwagga

Né au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français, Gaël Faye passe les premières années de sa vie en Afrique. La guerre civile dans les années 1990 oblige le jeune homme et ses parents à fuir pour la France. La famille s’installe dans les Yvelines où Gaël Faye suit une scolarité normale avant de poursuivre de brillantes études de finance. S’il travaille dans un premier temps pour un fond d’investissement à Londres, Gaël Faye ne tarde pas à lâcher ce milieu pour se consacrer à sa véritable passion : la musique. Il forme alors le duo Milk Coffee and Sugar avec son acolyte Edgar Sekloka. Les deux rappeurs sortent un album en 2009 et se font repérer sur les scènes des festivals de musique comme au Printemps de Bourges en 2009 où ils sont nommés « découverte ». Parallèlement à ce groupe, Gaël Faye se lance dans une carrière en solo et sort en 2013 son premier album, Pili-Pili sur un croissant au beurre. Pour ce disque, il collabore notamment avec le trompettiste-pianiste Guillaume Poncelet, ex-membre de l’Orchestre national de jazz. En 2015, Edgar Sekloka décidé de quitter Milk Coffee and Sugar. Qu’à cela ne tienne, Gaël Faye se lance un nouveau défi en publiant, l’année suivante, son premier roman Petit Pays, inspiré par son enfance africaine. Il sera couronné du prix du roman Fnac en septembre 2016. Le 17 novembre 2016, il remporte le 29e Goncourt des lycéens. Révélation scène de l’année des Victoires de la musique 2018, il sort un nouvel album, Mauve Jacaranda en 2022 et un second roman en 2024, Jacaranda. (Source : évène – Le Figaro)

Site internet de l’auteur
Page Wikipédia de l’auteur
Page Facebook de l’auteur
Compte X (ex-Twitter) de l’auteur
Compte Instagram de l’auteur



Tags
#jacaranda #GaelFaye #editionsgrasset #hcdahlem #roman #RentréeLittéraire2024 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #secondroman #Rwanda #genocide #NetGalleyFrance #coupdecoeur #lundiLecture #LundiBlogs #RentreeLitteraire24 #rentreelitteraire #rentree2024 #RL2024 #lecture2024 #livre #lecture #books #blog #parlerdeslivres #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #livresque #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #litterature #bookstagram #bookstagramfrance #lecturedumoment #bibliophile #avislecture #chroniqueenligne #chroniquelitteraire #jaimelire #lecturedumoment #book #bookobsessed #bookshelf #booklover #bookaddict #reading #bibliophile #bookstagrammer #bookblogger #readersofinstagram #bookcommunity #reader #bloglitteraire #aupouvoirdesmots #enlibrairie