L'été touche presque déjà à sa fin mais hors de question de ranger les maillots de bain et de reprendre le chemin du travail sans s'accorder une pause consacrée au célèbre Judge Dredd… et aux Affaires classées, dont le neuvième volume vient d'être publié chez Delirium. Comme toujours, l'ouvrage est magnifique et il est composé d'un très grand nombre d'épisodes courts, publiés initialement dans la revue 2000 A.D et qui forment, la plupart du temps, de petits arcs narratifs à suivre, le tout illustré avec un noir et blanc particulièrement classieux et contrasté, que la qualité du papier choisi permet de magnifier. La vie n'y est pas de tout repos pour le "héros", qui reçoit une mission bien particulière : il va devoir faire équipe avec Mean Machine, un des pires criminels à qui il a eu affaire durant sa carrière, pour s'en aller récupérer les bébés clones de plusieurs grands juges de l'histoire, qui se trouvaient à bord d'un aéro-cargo abattu par des pillards mutants, et qui s'est donc échoué dans les Terres Irradiées. Grâce à une petite manipulation psychique, Mean Machine est persuadé que Dredd est en réalité son père, mais l'illusion n'est pas destinée à durer dans le temps et la confusion est prétexte à un savant mélange d'humour et d'aventure (une des marques de la série). Le temps d'aller faire un tour dans les égouts de Mega-City One et de se rendre compte qu'on peut s'y retrouver nez à nez avec de dangereux alligators, qui vont pouvoir se repaître grâce à l'imprudence d'un groupe de survivalistes imprudents, nous nous retrouvons ensuite avec quelques épisodes d'un intérêt crucial pour toute la saga du Juge, puisqu'il est question de l'évolution du personnage et de ses sentiments. Car oui, à force d'être au contact de la misère quotidienne et de la bassesse du citoyen moyen, Dredd a fini par remettre en question sa mission, à tel point qu'il s'immisce dans une tâche qui devrait normalement relever des affaires sociales, pour venir en aide à une jeune fille mourante, dont l'esprit a été transféré dans le corps d'un robot défectueux. Il s'en prend violemment à un de ses collègues qui remet en question ses agissements et s'interroge sur son modus operandi, notamment lorsqu'il décide d'abattre un criminel plutôt que de juste le neutraliser, ce qu'il aurait pu faire sans le moindre effort. Ce Dredd là va devoir passer un examen psychologique pour avoir la certitude qu'il est toujours en mesure d'exercer et de délivrer la justice. Et il vaut mieux qu'il soit en forme, car le long récit que constitue la Cité des damnés va mettre le personnage a dure épreuve. Judge Dredd et Anderson (du département psy) vont être envoyés quatorze ans dans le futur, afin de déterminer l'élément déclencheur d'une crise majeure, appelée à mettre toute la cité à genoux et la plonger dans un obscurantisme jamais vu jusque-là. Et en effet, à peine débarqués, les deux Juges affrontent une horde de collègues vampires !
John Wagner et Alan Grant placent le Juge devant une épreuve qui va le laisser meurtri jusque dans sa chair, puisqu'il va perdre (momentanément, c'est la magie des comic books) ses deux yeux, face aux Mutant. C'est-à-dire le clone déformé de l'enfant Juge. Dredd et Anderson vont devoir unir leurs forces et aller chercher au plus profond d'eux-mêmes les ressources ultimes pour s'en sortir. Beaucoup d'aventures et de frissons donc, mais c'est lorsque la série commente l'actualité sociale et qu'elle utilise la science-fiction pour livrer des commentaires sarcastiques sur notre époque qu'elle se révèle la plus percutante. La fièvre du dimanche soir donne ainsi à voir des habitants de Mega-City One complètement déboussolés à l'approche du lundi. Non pas parce qu'il s'agit de reprendre le boulot, mais parce qu'une nouvelle semaine de chômage pointe le bout de son nez. Parfois, il suffit même d'une fausse rumeur circulant au sujet d'un emploi présumé libre et c'est une véritable émeute qui peut éclater dans la cité, avec en définitive des milliers de morts. Les plus pauvres sont prêts à tout pour exister socialement, c'est-à-dire pour avoir une fonction, pour se sentir un engrenage utile dans un système qui les broie… et dont finalement Dredd fait partie et assure le collant. Dans une société aussi nihiliste, désespérée, voire même pervertie, rien d'étrange à ce que des individus tuent pour le simple plaisir de tuer, en tirant au sort les victimes et les bourreaux. Ils se font appeler le club des Prédateurs et eux aussi vont avoir maille à partir avec le Juge. Un juge, d'ailleurs, qui doit être absolument inflexible pour assurer sa mission. Cela, nous pouvons le constater lorsqu'à l'Académie de la Loi, Dredd est censé superviser les progrès effectués par le cadet Brisco, en devenant son examinateur sur le terrain : ce qu'on appelle la treizième évaluation. Le futur juge va devoir prendre une décision terrible concernant sa propre mère, mais la loi normalement ne possède ni yeux ni oreilles. Elle s'applique à tous, sans distinction entre les citoyens. Et dans un univers comme celui dépeint dans la série, qui en réalité n'est jamais que le miroir du nôtre, quelque peu exagéré (encore que…), il n'y a pas de place pour la nuance. Du côté des dessinateurs, ma préférence revient à Ron Smith, parce que son trait précis, élégant, parvient toujours à offrir des planches finement ciselées qui respecte admirablement bien l'ambiance du titre. Mais nous trouvons aussi beaucoup d'épisodes illustrés par Steve Dillon, un artiste que vous connaissez probablement tous vu son brillant parcours chez Marvel et DC et dont le noir et blanc élégant de Judge Dredd convient probablement mieux que les planches mises en couleur chez les majors. Son style est ici plus fouillé, avec plus d'impact. Parmi les autres dessinateurs de talent dans ce neuvième volume, mentionnons le travail de Cam Kennedy, qui utilise des tons de gris pour donner de la densité à ses pages, ou encore Ian Gibson, qui pousse un peu plus loin que les autres la recherche du petit détail, y compris dans les fonds de case (parfois). La grande force de Judge Dredd est toujours de réunir dans un même cadre des histoires susceptibles d'éveiller l'intérêt des fans de super-héros radicaux, comme ceux qui désirent lire une bande dessinée très intelligente et pertinente, dans le rire au vitriol se répercute sur comme un écho glaçant dans notre présent absurde. Le tout dans une collection magnifique et du plus bel effet, ce dont est de toute façon coutumier l'éditeur, Delirium.
Vous en voulez plus ?
Le volume 8 est ici Le volume 7 est ici
Venez nous rejoindre sur Facebook !