En deux mots
La famille a été prévenue du problème, le vieux couple qui habite la grande propriété perd la tête. Quand le petit-fils arrive, il va passer d’une pièce à l’autre et constater les dégâts. Alors, même la fortune n’est d’aucun secours. Il y a urgence à prendre des mesures de protection.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Quand les grands-parents perdent la boule
Pour son second roman, Guillaume Collet a choisi un sujet difficile, la démence sénile. En retraçant les visites du petit-fils dans la propriété de ses grands-parents, il a trouvé une construction originale, servie par un style vif qui saisit le lecteur.
Ce n’est pas de gaîté de cœur que Petit-Fils rend visite à ses grands-parents. D’abord parce que leur propriété est située hors des grands axes de circulation et que le train ne s’arrête qu’à quelques kilomètres et ensuite parce que leurs relations se sont distendues au fil du temps. Et enfin, parce qu’il a été prévenu que le couple se comportait de façon bizarre.
Dès le vestibule, le malaise s’installe. Il est accueilli avec méfiance par le couple qui voit son intrusion avec suspicion. Ils n’ont pas demandé d’aide et se débrouillent très bien tous seuls. Du moins le pensent-ils. Grand-Père est muré dans le silence, Grande-Mère crie, « s’étonne, dit être forte mais attaquée, crie encore, et n’invite pas Petit-Fils à venir dans le salon. Ils restent tous dans le vestibule bien en ordre. »
Mais Petit-Fils ne renonce pas. Il va revenir et va finir par passer dans le salon, le bureau, par découvrir les indices qui confirment que les grands-parents ne se rendent plus compte de ce qu’ils font et qu’il en va de leur sécurité. Mais comment peut-il leur faire comprendre qu’ils sont désormais en danger ? Qu’ils ne peuvent plus gérer leurs biens, voire se gérer eux-mêmes ?
C’est avec finesse et nuance que Guillaume Collet entraîne le lecteur sur les pas de Petit-Fils dans son exploration de cette demeure et qu’il nous dévoile combien la maladie vient insidieusement ronger le cerveau.
S’il y a un fond de lutte des classes dans l’affrontement entre ces deux générations que tout oppose, il y a aussi beaucoup de désarroi et de questionnement. Alors la colère laisse la place à l’émotion. La gorge est de plus en plus serrée au fil des pages, face à l’irréversibilité de la maladie. On a alors basculé de la visite de courtoisie dans le drame le plus noir.
Les Mains pleines
Guillaume Collet
Christian Bourgois Éditeur
Roman
112 p., 17 €
EAN 9782267048353
Paru le 22/08/2024
Où ?
Le roman est situé principalement en France, dans une ville de province qui n’est pas précisément située.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Le couple, aisé, vit confortablement dans une grande maison bourgeoise à la campagne. Ils sont parents et grands-parents, mais la famille n’a jamais été leur priorité. Partir en vacances aux quatre coins de la planète leur a toujours semblé plus important que passer les fêtes de fin d’année avec leurs proches.
Même à leur âge avancé, ils choisissent de ne jamais demander de l’aide, malgré les difficultés, les peurs paranoïaques et les problèmes de mémoire qui s’intensifient. Et quand leur petit-fils, alerté par les voisins, sonne à la porte, li n’est pas vraiment le bienvenu. Il doit essayer de gagner leur confiance, et progresser pièce par pièce, avant de pouvoir leur porter secours…
Guillaume Collet aborde le thème de la démence du grand âge par un biais original, en dépeignant une famille où les inégalités sociales sont aussi déterminantes que les liens du sang. L’émotion affleure au détour des phrases syncopées de l’auteur, et son récit laissera le lecteur avec des images fortes et la gorge serrée.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« Vestibule
La porte de la maison s’ouvre. Petit-Fils et grands-parents se font face. Grande-Mère tient son journal à la main, elle a vieilli, mais on la reconnaît au premier coup d’œil. Ses yeux jaunes zigzaguent, ce qui arrange Petit-Fils qui peine à regarder dans les yeux quiconque, et plus encore sa famille. Sourire et passer la porte, le voici dans la maison.
Derrière Grande-Mère, cheveux définitivement blancs mais épais, avec quelque chose de la perruque, c’est Grand-Père. Son visage vert sombre, immense, plante son regard loin devant lui, au-dessus de Grande-Mère et derrière Petit-Fils. Ses yeux, trop clairs, frôlent le plafond. Ses jambes raides portent de larges épaules. Une ligne verticale. Échange de sourires timides, Grande-Mère est plus forte à ce jeu, elle montre toutes ses dents, de belles dents. Comme à son habitude, elle ne tient pas en place. Un éclair torturé. Depuis la dernière fois, Petit-Fils s’est teint les cheveux en rouge, mais le couple ne montre aucune surprise. Il faut une seconde de part et d’autre pour se reconnaître.
Petit-Fils ne veut pas être là, des pointillés écarlates, mais la logique familiale a tranché sans hésitation, c’est le seul adulte sans horaire de bureau, et donc c’est à lui d’aller voir ce qui se passe dans Grande-Maison. C’est ainsi que Famille nomme le logement des grands-parents. On dit que c’est une très belle maison, dans une région de charme et non loin de la ville. Famille acquiesce et ajoute que les aînés comme Petit-Fils ont plus de responsabilités. Beaucoup ne font plus l’effort de comprendre le but de Petit-Fils. Il veut être cascadeur, mais il travaille à peine, gagne très peu d’argent et ne part jamais en vacances. Famille attend de lui qu’il aille vérifier la situation. Une mission de reconnaissance qui l’arrache à son quotidien dans la ville.
Petit-Fils a bien imaginé protester, à se rendre indisponible. Mais il a repensé à toutes les réunions évitées au prétexte de contrats imminents, aux restaurants offerts sans réciproque, aux mêmes cadeaux bon marché qu’il fait à chaque anniversaire, et enfin aux disputes trop fréquentes où se mêlent considérations sur la lutte des classes et insultes. Petit-Fils veut dire non, mais dit oui. C’est une colère à rebond. Il a déjà trop marchandé avec la dette familiale.
Pour toutes ces raisons, le voici dans cette campagne trop chic et luxuriante à son goût. Puissants moteurs rapides sur le bitume, champs calmes et labourés sous les volets peints, Petit-Fils, bientôt trente ans et pas de salaire fixe, veut en finir rapidement avec ce décor qui n’est pas le sien.
Après des études à l’université, il diverge vers la cascade de cinéma, une galère à tiroirs qui explique pourquoi il est le seul sans réelles responsabilités. Il est celui qui se prend des portes et cela fait beaucoup rire Famille. Puisqu’il est sans horaire et sans travail, il est bien sûr aussi sans voiture et doit venir en train de la ville où il vit. Il n’y a pas de gare dans le hameau du couple, il faut donc marcher quelques kilomètres le long d’une route fréquentée. Le long des champs, les ornières sont odorantes et profondes. Elles donnent envie de se jeter dedans pour simuler une explosion. Petit-Fils imagine des détonations, sourdes et claquantes, qui s’approchent. Des paquets de terre sautent par-dessus les épaules. Se protéger avec le bras. Une scène de guerre bien sûr. Il y a du jeu dans le métier de cascadeur, il faut vivre les situations. Son corps est dédié à l’action. Hésitation, un instant, monter le buste pour voir ce qu’il se passe dans la fumée et les flammèches. La pyrotechnie, c’est fabuleux. Explosion principale, enfin, climax qu’on attend et redoute, dans le dos, crépitement et souffle. Il faut saisir, une seconde avant la détonation, le moment juste avant le chaos pour lancer son corps sur plusieurs mètres et rendre crédible la déflagration. Le souffle factice de l’explosion prend forme par le corps qui se projette. Penser à bien s’étirer avant. On y croit. La campagne est ravagée. Un choc, puis le calme.
Dans la ville, Petit-Fils attend, piétine, cherche et espère que tout commence, ne parle pas de famille. Ici dans la campagne incertaine, il veut que tout finisse au plus vite. Petit-Fils observe par à-coups le couple. Grande-Mère, c’est des couleurs chaudes tranchées, un tourbillon de contrastes, quand Grand-Père, c’est un ensemble assorti, un long dégradé. Petit-Fils manque de mots, mais il y a les gestes. Très grand et plutôt petite, vive et placide, si le couple souriait on pourrait imaginer un duo comique.
Petit-Fils observe, se force à avoir l’air gentil. Il évite de sonder les yeux de Grand-Père pour se concentrer sur l’éclat blanc de sa tignasse. De ce côté, celui de Père, les hommes gardent leurs cheveux tard, c’est une chance car Petit-Fils ne s’imagine pas un jour chauve.
Grande-Mère et Grand-Père suscitent un respect fait de crainte et de jalousie. Ils sont riches, et Famille respecte les riches.
Grande-Mère agite son journal, un quotidien généraliste et pessimiste. Depuis des années, elle lit son journal du début jusqu’à la fin avec une application forcenée, une autre occasion d’impressionner Famille qui ne lit pas autant de choses sérieuses. Petit-Fils n’y croit pas, Grande-Mère doit faire semblant, sautant des lignes dans les affaires du monde. Lui-même ne lit pas les notices des produits inflammables jusqu’au bout.
Grand-Père est comme figé par le ventre, ventre que l’on peine à deviner tant son pull marin flotte. Des jambes longes, pas d’estomac et des épaules massives, Grand-Père est une diagonale, un trait vers une hauteur indéfinie. De là-haut sa tête ondule doucement. Branchage familier. Son visage va bouger, mais non. Petit-Fils se rappelle sa voix et imagine qu’il va parler, mais rien, un frisson à peine. Grand-Père-Cime n’a pas encore prononcé de mot. Il ondule dans ses vêtements et son visage ne regarde rien. Petit-Fils sait qu’il y a là quelque chose, une évidence qu’il ne comprend pas. Ils sont là, ils sont vivants, mais impossible d’arrêter la mission de reconnaissance. Grand-Père debout dans Grande-Maison.
À côté, Grande-Mère est en forme. Elle crie, s’étonne, dit être forte mais attaquée, crie encore, et n’invite pas Petit-Fils à venir dans le salon. Ils restent tous dans le vestibule bien en ordre. Grande-Mère parle et bouge pour deux. Chacun de ses gestes renforce l’immobilité de Grand-Père.
Colère et pitié, différentes, comme fractionnées, des pointillés, une verticale et des zigzags. Petit-Fils veut partir mais il reste.
Malgré les années sans se voir, Petit-Fils comprend qu’il n’y aura pas de retrouvailles ni de compte rendu et encore moins de réconciliation. Il n’y aura pas de fin à l’histoire. Constat, colère, colère.
Petit-Fils ne dit rien et rêve d’une suite de gestes comme une prise de judo, plier le genou, avancer les hanches, se toucher, s’agripper. Tensions l’une contre l’autre, hésitation comme un équilibre, puis tomber, roulant le dos et frappant le tatami. Des gestes à la place des mots.
À propos de l’auteur
Guillaume Collet © Photo Patrice NormandGuillaume Collet est né en 1991 à Paris. Il a étudié la littérature et le cinéma, et travaille aujourd’hui comme scénariste et lecteur. Depuis quelques années, il partage son temps entre Paris et Saint-Étienne, où il organise un festival de court-métrage. Il est l’auteur d’un premier roman intitulé Les Yeux de travers paru aux éditions Les Avrils en 2022. (Source : Christian Bourgois Éditeur)
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