Tout le bleu du ciel (Carbone – Juliette Bertaudière – D’après Melissa Da Costa – Editions Albin Michel)
« Jeune homme de 26 ans, condamné par un Alzheimer précoce, souhaite prendre le large pour un ultime voyage. Recherche compagnon(ne) d’aventure pour partager avec moi ce dernier périple ». Lorsqu’il décide de publier cette petite annonce plutôt inhabituelle, Emile lance cet appel un peu comme une bouteille à la mer, sans vraiment s’attendre à recevoir une réponse. Ce qu’il veut surtout, c’est ne pas mourir sur un lit d’hôpital. Mais à sa grande surprise, une certaine Joanne répond à son annonce et propose de l’accompagner dans son road trip. Elle précise même qu’elle est disponible dès que possible pour partir, tout en le prévenant déjà: elle ne parle pas beaucoup. Trois jours plus tard, équipée seulement d’un grand chapeau noir et d’un sac à dos, elle retrouve Emile sur une aire d’autoroute et ils partent en camping-car, direction les Pyrénées. C’est le début d’une épopée qui va permettre à Emile et Joanne de se découvrir eux-mêmes, de se découvrir l’un l’autre mais aussi de faire des rencontres marquantes. La relation entre ces deux personnages principaux, qui va devenir de plus en plus forte au cours de leur road trip, est clairement l’élément qui donne tout son sel à ce récit. Lorsque Joanne et Émile se rencontrent, ils ne savent pas trop à quoi s’attendre: bien sûr, on sait quel est l’objectif d’Emile en se lançant dans ce dernier voyage, mais les motivations de Joanne sont beaucoup moins claires. Pourquoi fuit-elle comme ça? Ce qui est certain, c’est qu’on comprend assez rapidement que tous deux ont des comptes à régler avec leur passé, et des fameuses peurs à surmonter. Ce voyage initiatique, au milieu de la magnifique nature pyrénéenne, va leur permettre d’enfin lâcher prise, même si en même temps, ils savent que leur bonheur sera de courte durée puisque l’état de santé d’Emile ne cesse de se dégrader, avec de plus en plus de moments d’absence et de perte de mémoire.
La sortie de cette version BD de « Tout le bleu du ciel » est un petit événement en cette rentrée littéraire puisque c’est la première fois qu’un roman de Mélissa Da Costa est adapté en bande dessinée. Or, Mélissa Da Costa est un nom qui compte (et qui pèse lourd) dans le monde de l’édition puisqu’elle figure désormais à la première place du top 10 des romanciers français les plus lus, après avoir connu une ascension fulgurante en peu de temps. La preuve: « Tout le bleu du ciel », son premier roman, est sorti seulement en 2019. Depuis lors, il a connu un énorme succès en librairie, avec plus d’1,2 million d’exemplaires vendus à ce jour. Le roman devrait d’ailleurs également être adapté à la télévision prochainement, comme l’a dévoilé l’écrivaine elle-même sur ses réseaux sociaux. De manière générale, tous les livres de Melissa Da Costa sont actuellement en cours d’adaptation pour le petit ou le grand écran. Cette version BD de « Tout le bleu du ciel », qui sort en librairie en même temps que « Tenir debout », le nouveau roman de Mélissa Da Costa, va-t-elle plaire aux nombreux fans de la romancière française? Difficile à dire, dans la mesure où toute adaptation suscite toujours des réactions controversées. Ce qui est certain, c’est que cette version graphique devrait à coup sûr séduire ceux qui n’ont jamais lu le roman. L’histoire reste en effet particulièrement forte, de même que les personnages d’Emile et Joanne, auxquels on finit inévitablement par s’attacher. Pour être tout à fait honnête, il faut un peu de temps pour s’habituer au trait très contemporain et aux couleurs vives utilisées par Juliette Bertaudière, une jeune dessinatrice corse dont c’est le tout premier roman graphique. Mais une fois que c’est le cas, l’émotion est clairement au rendez-vous et on se laisse totalement happer par le périple d’Emile et Joanne. Quant au scénario de Carbone (Bénédicte Carboneill de son vrai nom), il est d’une grande lisibilité et surtout, il parvient à capter toute la substantifique moelle du roman de Melissa Da Costa, ce qui n’est jamais une chose aisée. L’une des toutes bonnes trouvailles de ce roman graphique est d’avoir inséré les lettres d’Emile à la fin de la bande dessinée, ce qui permet de prolonger le plaisir de lecture.