En deux mots
Trois jours après son enterrement, la tombe de Paul de Larmencour est vide. La pierre tombale a été déplacée et le défunt a été vu errant dans la campagne. Cette « résurrection » laisse Hermine, sa veuve, incrédule. Avec les autorités, l’envoyé du pape et les habitants de ce coin du boulonnais, elle va tenter de percer ce mystère.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Paul, revenu d’entre les morts
Dans son nouveau roman, Jean-Baptiste de Froment met en scène un couple d’aristocrates provinciaux, Paul et Hermine de Larmencour. Après la « résurrection » du premier cité, son ex-veuve va tenter de faire la lumière sur ce soi-disant miracle.
« Monsieur Paul, il est ressuscité ! » Le cri de Bernadette vient secouer la torpeur qui règne dans l’imposante demeure familiale des de Larmencour. La cuisinière va le répéter à sa maîtresse, Hermine qui a enterré son mari trois jours plus tôt.
Pour appuyer ses dires, elle s’appuie sur les témoignages recueillis, sur la rumeur qui enfle : « Le tombeau est ouvert, et votre homme n’y est plus. C’est pas tout : des gens l’ont vu, il marchait, sur la route qui mène au gros chêne. Il était sans manteau, avec sa longue chemise blanche. Il avait pas froid. »
Pour en avoir le cœur net, la châtelaine et narratrice décide de se rendre au cimetière où elle est bien obligée de constater que la pierre tombale a été déplacée et que le dernier nom gravé sur celle-ci, Paul de Larmencour (1948-2025), a beau briller en lettres d’or, il brille d’abord par l’absence du défunt.
Passé l’émoi suscité par l’événement, elle doit bien se résoudre à mener l’enquête, elle qui ne croit ni en dieu, ni en ses miracles. Car l’affaire s’est ébruitée et commence à attirer les curieux de tout ordre. Il y a bien entendu les enquêteurs officiels et la maire de Doligny, la belle Sophie Kong qui se dit qu’après tout, un peu de publicité pour sa commune ne pourrait pas faire de mal, bien au contraire.
En croisant Hermine au cimetière, elle fait mine de compatir, mais dans son for intérieur, elle imagine déjà le profit qu’elle pourra tirer de l’affaire. Flanquée de ses « deux collaborateurs aux cheveux en brosse », on va la suivre au fil du roman dans sa quête de notoriété.
Anthony et Kevin vont, sans vraiment le vouloir, lui apporter un important soutien. Les deux jeunes affirment qu’ils ont retrouvé Paul de Larmencour à l’auberge et qu’ils ont déjeuné ensemble avant de cheminer ensemble. Leur témoignage va étonner la police :
« — Il a passé les bras sur nos épaules et on a senti que c’était pas du chiqué… qu’il était de chair et d’os, comme nous autres. Et on a commencé à avancer comme ça, comme des copains, quoi, dit Kevin. C’est alors qu’on s’est aperçus qu’y pleuvait plus. En fait, si, il continuait à pleuvoir, très fort, même. Mais pas sur nous.
— Il y avait comme un microclimat au-dessus de nous, a poursuivi Anthony. Ça paraît fou, je sais, mais c’était une espèce de tube de lumière, un couloir d’air sec qui montait jusqu’au ciel, jusqu’au soleil. Et nous, on était à l’intérieur, avec M. Paul. »
Il n’en fallait pas davantage pour attirer une horde de curieux et de profiteurs en tout genre, comme cette Baptistine, prophétesse originaire de Côte d’Ivoire, qui entend rassembler autour d’elle toute une horde de pèlerins qui ont envie de croire au miracle.
Bien entendu, le Vatican va aussi se mêler de cette histoire, envoyant son émissaire tenter de faire la lumière. Le père Benjamin Spark n’est pas né de la dernière pluie et ne se fie pas aux apparences. Il recoupe les faits, rassemble les témoignages et use de son charme indéniable pour sonder l’âme des gens et se rapprocher d’Hermine : « Il me parle de Kevin et d’Anthony, de Baptistine, de Bernadette. Et de ces centaines d’autres, dont je ne connais pas le nom. Mais lui, si. Il a pris la peine de les chercher, de les apprendre… Il pourrait me les réciter. Il semble les connaître un par un… Il m’initie aux détails de leur vie. »
Mais il faut bien avouer que l’enquête n’avance guère pour autant. Il faudra un article signé Estelle Calin-Manfraud dans Le Nouvel Obs pour la relancer. La journaliste y va de sa théorie, s’attirant la foudre des uns et la reconnaissance des autres.
Après s’être essayé avec bonheur à la politique-fiction dans son premier roman, État de nature, puis nous avoir entraîné au pays des Mille et une nuits avec Badroulboudour, voici Jean-Baptiste Froment s’essayant à la fable sociale autour des questions de spiritualité. Une nouvelle manière, très habile ma foi, d’explorer la soif de pouvoir, les ressorts de l’ambition et les petits secrets de la vie de couple.
Si l’on se régale tout au long de cette enquête, on se délecte avec l’épilogue que je vous laisse apprécier…
La bonne nouvelle
Jean-Baptiste Froment
Éditions Anne Carrière
Roman
220 p., 20 €
EAN 9782380823011
Paru le 23/08/2024
Où ?
Le roman est situé principalement de Boulonnais, dans les communes imaginaires de Gerfôme, Souvigny, Saint-Marnoux, Doligny.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Hermine de Larmencour, une châtelaine qui vit dans l’Allier, vient d’enterrer Paul, son mari. Sa vie devrait reprendre son cours agréable et sans surprises quand Bernadette, sa cuisinière, lui apprend la bonne nouvelle : « Monsieur Paul, il est ressuscité ! » Sexagénaire libre et flamboyante, Hermine ne croit pas en Dieu et encore moins aux miracles. Mais le tombeau a été profané et la dépouille de son mari a disparu. Pire, deux jeunes du coin prétendent avoir croisé Paul au restaurant, une rencontre qui les aurait bouleversés.
À mesure que les apparitions du défunt se multiplient, la rumeur enfle et les pèlerins commencent à affluer. Le Vatican missionne le père Benjamin Spark afin de prouver qu’il ne s’agit que d’une mystification. Mme de Larmencour a hâte de laisser derrière elle cette histoire sordide. Ses attentes risquent d’être déçues. La Bonne Nouvelle est une fable contemporaine qui mêle adroitement suspense et spiritualité. Nombreux sont les ouvrages dissertant sur la nature du Mal. Dans La Bonne Nouvelle, l’auteur nous surprend et nous enchante en s’interrogeant sur la possibilité du Bien.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« 1
[samedi 1er mars 2025]
« Monsieur Paul, il est ressuscité ! »
La rumeur surgit un matin, dans les brumes du dégel, vers la fin de l’hiver. Je l’imagine sortir de la terre encore dure et se répandre comme un vent tiède sur l’herbe rase et pleine de givre des prés, jusqu’au village dont elle fait le tour en un instant. À Gerfôme, elle nous parvient un peu plus tard, sur le coup de 11 heures, peut-être.
À la cuisine, on s’active pour le déjeuner. Enfin, c’est Bernadette qui s’active. Moi, au départ, je ne fais rien. Je suis vautrée dans le salon, et je fume tout en feuilletant Paris-Match… Les déboires du prince Albert… Je m’en fous totalement… Je me demande ce qu’il y a pour déjeuner, je me lève pour aller voir. Lorsque j’entre dans la cuisine, la cigarette à la bouche, tout est encore normal. La grande pièce sombre déroule ses rangées de placards, ses collections d’assiettes et d’ustensiles. Sur l’étagère du haut, l’armée des pots en faïence. Tous les condiments imaginables… Et puis, au bout de la longue table en bois, luisante de tout le beurre absorbé depuis tant d’années, au bout de la table se trouve Bernadette devant sa cuisinière. Elle ne relève même pas la tête en entendant mes talons sur le carrelage. Elle reste tranquillement penchée sur la casserole, à surveiller le civet. La fumée de la cigarette ne semble pas la gêner. Elle fait tourner sa grosse cuiller de bois, indéfiniment. Elle m’agace quand elle est comme ça, je voudrais la secouer. Les choses se sont tellement ralenties depuis quelques jours… Bernadette a les yeux perdus dans le ragoût. Pour toujours, on dirait… Jusqu’à ce que tout à coup… elle se redresse, et son regard vague n’est plus vague du tout. Il me fixe. Intensément. J’ai un mouvement de recul, elle me fait presque peur, j’en laisse tomber ma cigarette. Elle pose ses mains bien à plat sur la table, prend une inspiration profonde et me lance à la figure cette absurdité :
— Monsieur Paul, il est ressuscité !
C’est la deuxième fois qu’elle le dit. Bien fort, bien distinctement. Le doute n’est plus permis… Je veux dire, ce sont effectivement ces mots qu’elle a prononcés. Je ne sais pas d’où ils viennent, qui est allé les lui ficher dans la tête, mais ils sont sortis de sa bouche, sans qu’elle puisse les contrôler, apparemment. Comme une envie pressante, une folie…
Paul, c’est mon mari. Nous l’avons enterré il y a trois jours. Il était si pâle et raide dans son costume, tellement méconnaissable. C’est toujours comme ça avec les morts : on a l’impression qu’ils n’ont jamais été vivants. Je vois encore les employés des pompes funèbres visser le couvercle du cercueil. J’avais tenu à être présente à ce moment-là. Peut-être que je voulais être sûre…
— Mais qu’est-ce que vous racontez, ma pauvre Bernadette ? Comment cela, ressuscité ?
— C’est comme je vous dis, Madame. Le tombeau est ouvert, et votre homme n’y est plus. C’est pas tout : des gens l’ont vu, il marchait, sur la route qui mène au gros chêne. Il était sans manteau, avec sa longue chemise blanche. Il avait pas froid.
Je connais ma Bernadette : quand elle a une idée dans le crâne… Je ne perds pas une seconde à discuter. J’écrase le mégot qui continue à fumer sur le carrelage. J’enfile mon manteau. Je vérifie dans ma poche que les clés y sont toujours, et je cours vers mon Alfa Romeo, garée dans la grange. Je démarre en trombe, direction le cimetière.
2
Une foule compacte est massée devant le portail du ¬cimetière, qui s’étend, tout clos de murs, le long de l’église, à droite du porche. J’en reconnais beaucoup : ce sont les mêmes qu’à l’enterrement, il y a trois jours. Ils sont habillés différemment, c’est tout. Très mal, pour la plupart… Ils portent à peu près tous la même doudoune, façon sac-poubelle. Certains habitent dans le bourg. D’autres viennent des hameaux alentour, ou d’un peu plus loin, des communes voisines : Souvigny, Saint-Marnoux… Eux aussi ont dû sauter dans leur voiture en apprenant la nouvelle. Mais apparemment ils ont été prévenus avant moi. Par qui ? Ils restent à l’extérieur, cependant. Peut-être qu’ils n’osent pas entrer. Ou peut-être qu’ils l’ont déjà fait et qu’ils sont ressortis ? S’attarder sur le lieu même n’aurait pas été décent…
Je m’apprête à me frayer un passage à travers la foule. Mais c’est inutile : à mon approche, ils s’écartent les uns après les autres ; le respect que j’inspire, peut-être, que ma famille est censée inspirer, depuis des lustres… Ou bien la peur ? Je me sens un peu comme ces policiers qui franchissent, leur insigne à la main, le périmètre de sécurité pour accéder à la scène du crime. En guise d’insigne, j’ai ma tête, perchée sur de hauts talons, et mon manteau : ma tête, encadrée par ces cheveux blonds coupés au carré ; mon manteau, cette longue pelisse, cette cascade de fourrure qui s’échappe de moi, dégringole le long de mon corps… Artistement. Je l’ai chinée dans un marché il y a plusieurs années. Depuis, elle ne me quitte plus. Même en été parfois. Je la porte à même la peau. J’adore être drapée ainsi de tous ces animaux… C’est comme si on me les avait personnellement sacrifiés. Cette tête, ce manteau de fourrure sur escarpins forment un ensemble assez reconnaissable dans la région. Dans les environs immédiats, du moins : Gerfôme est situé juste sur la colline d’en face. À cette distance, la bâtisse en impose…
Je fais la fière, mais en réalité je voudrais bien m’appuyer sur quelqu’un, quelque chose. Or tout se dérobe… À mesure que j’avance, les visages familiers le sont de moins en moins. Ils ont de ces gueules… Ils sont comme les spectres d’eux-mêmes. Ou peut-être que c’est moi qui ai l’air d’un spectre, qui provoque chez eux cette réaction livide… J’ai peur, en tout cas, une peur horrible…
Je connais les lieux par cœur, mais c’est comme si je m’enfonçais dans l’inconnu. L’entrée du cimetière n’est qu’à quelques mètres, elle semble reculer pourtant… Si ça continue, je n’y arriverai jamais… Je tente de rester digne, de ne rien laisser paraître, mais est-ce que j’y réussis ? J’essaie d’avancer comme je le fais toujours, comme j’ai appris à le faire à la danse… avec assurance et légèreté. Tel un oiseau à longues pattes qui pose à peine les pieds sur le sol. Aujourd’hui, pourtant, la pesanteur est la plus forte. Je commence presque à tituber. Il n’y en a pas un pour tenter de me rattraper. Les salauds… Heureusement, je suis au bout…
Le portail du cimetière, entièrement blanc, consiste en un rectangle de métal que prolongent des barreaux pointus comme des lances. Il est entrouvert. Je pousse le battant avec autorité. Personne ne m’a suivie. L’intérieur est désert. En dehors de moi, il n’y a pas âme qui vive… Le caveau familial est à quelques mètres sur la gauche, presque contre l’église. Aucune barrière, aucune protection n’a encore été installée.
J’attends d’être bien en face pour regarder : la grosse dalle de granit a été poussée sur le côté, et laisse béante l’entrée de la fosse. Je me penche. À l’emplacement prévu pour Paul, le cercueil est bien là. Mais il est ouvert, et le corps a disparu. Je laisse échapper un cri :
— Ce n’est pas possible !
Et j’éclate en sanglots. Je m’abandonne au chagrin, à l’incompréhension, la colère. Je crois que j’ai honte aussi. Honte de cette effraction abominable, publique… C’est bien pire que tout, pire que la chambre à coucher… C’est la dernière demeure. L’intimité ultime… Ouverte à tous les vents, livrée en pâture au tout-venant… J’imagine le corps de Paul, absolument sans défense, plus vulnérable que celui d’un nouveau-né, devenu le jouet de profanateurs. Je crois le voir passer de main en main, entendre le rire de ceux qui le manipulent… Je laisse les larmes remplir mes yeux jusqu’à ce que mon regard se brouille, jusqu’à ce que je n’y voie plus rien. Je voudrais que ces images ignobles soient emportées par le flot…
Une main effleure timidement mon épaule. Je me retourne. Le chef des gendarmes, l’adjudant Vérard, vient d’arriver.
— Ah, vous voilà, vous.
Je sors mon grand mouchoir en tissu d’une des poches de mon manteau, sous une bande de fourrure. J’essuie mes yeux, je me mouche. Il bredouille quelques mots de réconfort, assortis de considérations générales sur le respect qui se perd, et que même nos morts, dans nos villages… Il m’assure que tout sera mis en œuvre… Déjà je ne l’écoute plus. J’ai repris ma station devant la tombe. J’ai les yeux fixés sur la stèle familiale, demeurée, elle, parfaitement à sa place. Elle est prolongée d’une énorme croix qui fait plus de la moitié de sa hauteur. La pierre s’est beaucoup assombrie avec le temps, elle est presque noire à présent. Les noms ne se déchiffrent plus. Ils ne peuvent qu’être devinés par ceux qui les connaissent déjà :
G. de Larmencour (1883-1916)
H. de Larmencour (1862-1937)
M.-D. de Larmencour (1889-1985)
F.-F. de Larmencour (1910-1980)
M. de Larmencour (1919-2007)
En bas à droite, seul celui de Paul, que l’on vient de graver, est parfaitement lisible. Il étincelle, même, car ses lettres ont été rehaussées d’or :
Paul de Larmencour (1948-2025)
Ce n’était pas mon idée, évidemment. C’est parfaitement vulgaire. Paul aurait détesté cela… D’ailleurs, quitte à peindre son nom en or, il aurait fallu harmoniser, le faire aussi pour les autres, le reste de la liste. Je ne comprends pas comment l’entreprise a pu prendre une telle initiative sans me consulter. À moins que les enfants n’aient donné leur accord ? Cela m’étonnerait. L’autre jour, j’étais complètement perdue, je n’ai même pas songé à les interroger.
Je m’avance jusqu’au bord de la fosse, pour bien voir le fond du cercueil… Le satin rouge est tout brillant, éclairé qu’il est par le soleil presque chaud maintenant : à force, on doit se rapprocher de midi. Le matelas est comme flambant neuf. Lisse, sans tache. Immaculé… Mais il a gardé le souvenir du corps de Paul. Enfin, il me semble : j’ai l’impression de percevoir encore, très légèrement, sa forme imposante imprimée dans le molleton. Ou peut-être que je me fais des idées ?
Détail troublant, que je n’ai pas remarqué immédiatement : soigneusement roulé sur la tranche, un long et mince tissu de tricot, bleu marine à pois blancs, est posé sur le côté. Je reconnais la cravate de Paul. Celle que je lui avais offerte il y a quelques mois, pour ses soixante-seize ans. Il la portait il y a quelques jours encore, pour le dîner de chasse que nous avions donné à Gerfôme. Ce qu’il avait bu ce soir-là ! Moi tout autant, cela dit. Une cravate… Comment ai-je pu lui faire un cadeau aussi lamentable ? Banal, impersonnel… Cela me serre le cœur. J’ai honte de ce que nous sommes devenus l’un pour l’autre… Des aristos de province qui s’emmerdent… Je voudrais tant, maintenant qu’il est trop tard, lui avoir offert autre chose, une chose totalement folle, et drôle, et qui se trouverait aujourd’hui dans son cercueil, à la place de la cravate…
— Les choses ont été faites, si je puis dire, proprement, commente le gendarme. Aucune trace visible d’effraction.
Ce constat me rassérène. Comme s’il signifiait qu’aucun mal n’a été fait à Paul et que, là où il se trouve désormais, il est heureux : bien plus heureux que dans son cercueil. Ce n’est pas ce que je crois, bien sûr, mais cette idée sans fondement s’est présentée à mon esprit, flottant quelques instants, suffisamment pour me mettre du baume au cœur.
À la suite de l’adjudant, certains se sont senti pousser des ailes et ont pénétré dans le cimetière. Pas les badauds de tout à l’heure, qui sont toujours dehors. D’autres, des officiels plutôt. Autour de moi, ils sont plusieurs dizaines maintenant.
Tiens, voici Sophie Khong, la maire de Doligny. Sophie Khong, avec ses longs cheveux si noirs qui réfléchissent la lumière. Comme de la soie… Vérard prend congé de moi pour aller à sa rencontre. Elle répond à mon regard par un profond signe de tête, mais ne tente pas de s’approcher. C’est une femme qui a de l’ambition, mais du tact aussi. Elle voit bien que je n’ai pas envie de parler, alors elle se contente de m’adresser un sourire, un sourire d’une grande gentillesse, je dois dire. Elle sait y faire. J’aime beaucoup ses parents, qui tiennent un restaurant asiatique à Saint-Marnoux, à quelques kilomètres. Ils sont adorables. Elle, je la connais moins. Physiquement, j’ai du respect. Elle me fait un peu penser à moi à son âge… Nous ne nous ressemblons pas du tout, mais toutes les deux, nous avons quelque chose en plus, je crois. Du chien… Nous avons cela en commun. Ce n’est pas si fréquent… Pourtant, nous n’avons jamais sympathisé. J’ai toujours pensé qu’elle nous en voulait un peu. Sans le chercher, nous lui faisons de l’ombre. Notre simple existence, en quelque sorte, empêche la lumière d’éclairer pleinement les actions de la municipalité, toutes ces initiatives prises par Sophie Khong pour « faire rayonner le territoire ». Elle ne manque pas de dynamisme, il faut le reconnaître. Sans le vouloir, donc, nous nous interposons, pour ainsi dire, ne serait-ce que matériellement. Gerfôme est situé à un kilomètre à peine, à vol d’oiseau. La propriété se trouve sur une hauteur. Elle domine le village… et la modeste mairie… Il y a aussi les petits événements que nous organisons. La fête annuelle, pour les moissons, où Paul fait un discours… faisait… Les gens n’écoutaient pas trop, mais malgré tout ils étaient là, rassemblés autour de lui. Et moi je ne passais sans doute pas inaperçue, non plus, avec mes tenues sorties d’une malle aux trésors, mes foulards multicolores… mon sens un peu spécial de la repartie… Cette fête n’a rien d’extra¬ordinaire, mais à l’échelle d’une petite commune rurale… Sophie Khong est toujours invitée, cela va de soi, mais spectatrice. Ce n’est pas un rôle qu’elle affectionne particulièrement…
Comme d’habitude, la maire est flanquée de ses deux collaborateurs aux cheveux en brosse. Je n’ai jamais trop su leurs noms. Avec leur cou épais et leurs petits yeux de sanglier, ils n’ont pas l’air futés. Je suis sûre cependant que rien ne leur échappe, je les crois redoutables. Les sangliers sont des animaux très sous-estimés… Cela ne m’empêche pas de trouver horribles leurs costumes en acrylique, et les boutons carrés de leurs chemises fantaisie. Et qu’on ne me fasse pas la leçon, qu’on ne m’accuse pas de snobisme… Je sais d’où je viens, moi aussi. Je sais où j’étais avant d’avoir rencontré Paul. Mais c’est une question d’intelligence… Personne ne vous oblige à vous habiller ainsi. Je me demande s’ils couchent avec Sophie Khong… à tour de rôle… ou peut-être en même temps… Tous les trois… Cela me décevrait beaucoup de la part de Sophie, qui vaut bien mieux que ça. Ce n’est pas le moment d’avoir ce genre de pensées, bien sûr, mais l’esprit est ainsi fait qu’il cherche des échappatoires… sexuelles, surtout. Le mien en tout cas…
Quand je sors du cimetière, les gens paraissent moins gênés de me revoir. Ils savent que je sais désormais, que j’ai vu de mes propres yeux… Beaucoup cherchent même à m’aborder, me dire leur sympathie. Me proposer leur aide, sans doute. Que ne l’ont-ils fait tout à l’heure… Je les en dissuade d’un signe de tête aimable – que je voudrais aimable, du moins, mais qui ne doit pas l’être tellement. Puis je regagne ma voiture. Je l’ai laissée en retrait, assez loin, sous les arbres de la petite place. Je ne démarre pas tout de suite. Je n’ai pas voulu parler aux gens, mais je suis curieuse de les observer, à distance, sous la capote noire, dans le confort de l’habitacle. Qu’est-ce que j’imagine ? Qu’ils en savent plus que moi ? Qu’un signe de connivence échangé, alors qu’ils me croiront partie, me le révélera ? J’attends.
Il n’arrive rien de tel. Ils continuent à discuter entre eux, à voix basse. Ils prennent soin de ne pas abandonner leur mine grave, celle qui convient aux circonstances… Mais ils ont du mal à réprimer leur excitation. Un fait divers aussi singulier vaudra certainement à Doligny, et à l’ensemble du canton, les honneurs de La Montagne. Peut-être de la télévision régionale. La chair est faible… Une chose me surprend, tout de même, et qui pendant un instant me fait du bien à nouveau : plus je les regarde, moins j’arrive à leur prêter des intentions mauvaises. Vus d’ici, ils ne ressemblent pas aux charognards qu’on voit affluer d’habitude dans ce genre d’événements. Enfin, d’habitude… Je n’en sais rien, je n’ai jamais vécu ce genre d’événements, justement : mais j’imagine les vautours qui se précipitent. Ici, c’est différent. Comment dire ? Je perçois de la joie, c’est vrai, de la joie sous cape, qui plus est… Mais je ne décèle rien de malveillant. Au contraire. J’ai l’impression que, sans oser l’exprimer, beaucoup se réjouissent pour moi. Et pour eux aussi. Ils me regardent avec tendresse, et les yeux qui brillent… Comme si tout cela, c’était une bonne nouvelle… Je me rappelle les paroles insensées de Bernadette dans la cuisine, tout à l’heure. Je ne peux pas croire que ce soit ça… Moi-même, il y a quelques minutes, quand le gendarme m’a parlé, j’ai eu ce petit vertige à la pensée que Paul… Sauf que moi, ça m’est passé. J’ai repris le dessus. Je suis bien calée dans mon siège maintenant. La sépulture familiale a été profanée, probablement cette nuit, et on a volé le corps de mon mari. Il faut tout faire pour le retrouver. Et mettre la main sur les salopards qui ont commis cette horreur.
Je mets le contact et, avant de passer la première, j’appuie à fond sur l’accélérateur pour faire rugir le moteur de ma Spider. Le troupeau resté agglutiné devant le cimetière sursaute. C’était le but… Les gens se retournent dans ma direction et me repèrent enfin, tapie dans l’Alfa Romeo. Ils ne sont pas revenus de leur surprise que je suis déjà loin.
3
Arrivée à la hauteur de Gerfôme, je décide de ne pas rentrer à la maison. Que Bernadette aille au diable avec son civet… J’accélère et continue vers la forêt. Je sais qu’au-delà d’une certaine vitesse, je serai complètement absorbée par la route, je ne m’appartiendrai plus. Je serai happée par le plaisir pur, que rien ne pourra troubler. Tout sera momentanément oublié, aboli. J’atteindrai le septième ciel… Je continue à pousser sur le champignon. Au-delà des 120 kilomètres/heure, sur une petite route de campagne, on ne peut penser à rien d’autre. Au moindre écart… Encore un peu et j’y serai… Voilà. À cette allure, le paysage champêtre est complètement défiguré, il n’est pas du tout habitué à un traitement aussi brutal… Les prés, les vaches, les haies, tout est catapulté vers l’arrière. Moi, je suis agrippée au volant. La mort est tout au bord et je me tiens sur la crête avec délice…
J’arrive à ce moment où, après le virage, qu’il faut prendre serré, la route repart en ligne droite avec une montée très raide dont on ne voit pas le bout à cause de la forme incurvée de la pente. Je pousse alors mon Alfa au maximum… Je vois son museau avaler les mètres d’asphalte, avec de plus en plus de peine, dans un vacarme effrayant… Puis les premiers arbres apparaissent. La pente commence à s’adoucir. Je pénètre dans le sous-bois. Dans le rétroviseur, je vois l’orée de la forêt rétrécir, former un rond de lumière de plus en plus petit : c’est seulement lorsqu’elle a complètement disparu, du moins lorsqu’elle n’est plus qu’un éclat minuscule, indistinct des autres éclats, de tous ces confettis de soleil qui passent entre les branches encore dépourvues de feuillage, que je m’autorise à lever le pied. Me voici complètement enveloppée par les arbres. J’ai atteint mon refuge, ma demeure. Le lieu où mes poursuivants imaginaires ne pourront plus me rattraper. C’est peut-être ça que je recherche, dans la vitesse : le lieu où l’on ne peut plus être atteint. Je me gare au commencement d’un chemin de terre qui part en oblique, sur la droite de la route principale. Je coupe le contact.
Tout ce qui s’est passé depuis ce matin retombe alors sur moi… Mais comme atténué, tamisé par cette grande toiture de branchages qui me protège. Rendu presque doux, presque supportable…
Je pense à ces poursuivants imaginaires. Ils ont le visage de la foule qui se pressait au cimetière. Cette foule béate, moutonnière… Autrefois, c’était Paul le poursuivant. Lui et moi avions l’habitude de faire la course dans la campagne, moi dans mon Alfa, lui dans sa vieille Porsche. On partait sur des routes différentes, je prenais à droite, lui à gauche, ou le contraire, sachant qu’on finirait par se retrouver d’une manière ou d’une autre, à un croisement, ou bien en s’apercevant de plus loin, des deux côtés d’un pré qui nous séparait. Alors on se prenait en chasse… J’étais alternativement la chasseuse ou la chassée. Mais être chassée m’excitait davantage… Il fallait qu’il parvienne à toucher mon pare-chocs avant que je n’entre dans la forêt. On roulait à tombeau ouvert, si j’ose encore employer une telle expression… En dépit de la puissance de son moteur, Paul ne me rattrapait presque jamais, car je suis meilleure pilote. Je prenais les virages beaucoup mieux que lui, évidemment. Je négociais plus adroitement les obstacles éventuels, les tracteurs, les vaches… Lui conduisait quand même de façon bizarre, avec de grands coups de volant un peu théâtraux, qui l’avaient d’ailleurs mené une fois ou deux dans le fossé. Il était plus adroit au fusil, je crois. Mais je ne l’ai jamais accompagné à la chasse. Victorieuse, je m’arrêtais sur le bas-côté, ou sur un chemin de terre semblable à celui-ci. Je me dépêchais de me mettre à l’aise, d’adopter la pose la plus détendue possible, pianotant sur mon téléphone, les jambes croisées étendues le long du pare-brise, pour faire comme si j’étais là depuis longtemps. Paul me rejoignait quelques secondes plus tard, et partait dans un de ces éclats de rire dont il était familier : un rire qui allait jusqu’aux larmes. Je les voyais couler le long de ses joues, dans le creux léger sillonnant le bord de ses pommettes. Ce creux que je trouvais si beau, si viril… Ensuite, parfois, nous faisions l’amour sur la banquette arrière, pour célébrer la fin de la course. Parfois, mais pas toujours. Et depuis plusieurs années, plus du tout…
Paul était persuadé que notre petit jeu divertissait beaucoup dans la région. Il s’imaginait qu’aux alentours, lorsque le hurlement de nos moteurs déchirait le silence de la campagne, les gens échangeaient un petit sourire attendri en s’exclamant : « Ah ! Ça, ce sont encore les Larmencour ! », comme on le fait à propos de ces personnes auxquelles on pardonne tout parce qu’elles sont spéciales, différentes du commun des mortels, qu’elles sont restées de grands enfants, et que sans elles, qu’est-ce qu’on s’emmerderait… J’ai pour ma part une opinion assez différente. Je connais les gens, les gens du peuple, mieux que Paul. Je pense que, pour beaucoup, ils n’appréciaient pas tellement. Je me figure même qu’ils étaient un certain nombre à trouver cela parfaitement insupportable. Ils nous détestaient, non seulement de faire autant de bruit, d’effrayer les bêtes, de troubler toute cette tranquillité, mais encore, et surtout, de n’en concevoir aucun regret, d’autant que nous savions pouvoir compter sur l’indulgence des autorités. À vrai dire, je ne sais pas si ce dernier point était fondé. Ces routes sont si peu fréquentées qu’il est extrêmement rare d’y croiser les gendarmes. Mais le fait est que l’adjudant Vérard devait être au courant de nos pratiques, et qu’il n’a jamais envoyé personne nous verbaliser…
Plus généralement, j’émets l’hypothèse que les gens ne pouvaient pas nous saquer du tout. Ils nous auraient volontiers tués… s’il n’y avait eu la peur du gendarme, justement. Ça m’était un peu égal, jusqu’à présent… Maintenant, ça m’inquiète davantage…
Il n’y avait qu’à voir, par exemple, la tête que faisaient les Berchême quand, en ressortant du bois, on passait devant chez eux. La route longe leur pavillon tout blanc, ceinturé d’une haie sévèrement taillée, à angles droits. Une construction à la fois modeste et prétentieuse, avec son toit pointu et son espèce de perron surélevé… Édifiée du temps de leur splendeur, lorsque leur boutique était florissante. Quand je dis « les Berchême », je parle en fait des trois filles… Les parents ne se montrent pas. Ils restent à l’intérieur, devant la télévision j’imagine. Ce ne sont pas des gens très actifs. Autrefois, ils avaient tenu un magasin au village, une sorte de quincaillerie, qui a fait faillite. Ça marchait bien, très bien même, jusqu’à l’ouverture du Mr. Bricolage de Saint-Marnoux. En six mois, c’était plié. Un jour, ils ont chargé dans une camionnette ce qui restait de la boutique pour le déménager non loin de chez eux, dans la maison désaffectée du garde-chasse, au cœur de la forêt. Je me rappelle l’émotion dans le bourg. Le dernier petit commerce qui fermait…
Les filles Berchême, elles, sont toujours dehors. Elles ne font pas non plus grand-chose de leurs journées, mais elles ont cette curieuse façon d’avoir en permanence l’air aux aguets, sur le qui-vive… Trois adolescentes longilignes, trois grandes gigues en survêtement, droites comme la justice. On voit leurs bustes plats, démesurés, dépasser de la haie. Elles semblent attendre quelque chose, préparer quelque opération louche. Il m’est arrivé, d’ailleurs, de croiser l’une ou l’autre assez loin de chez elles : à vélo ou à mobylette, l’air pressée, avec un sac à dos. J’imagine qu’elles se livrent à un petit trafic. Du cannabis, ou je ne sais trop quoi…
Je n’aime pas croiser leur regard, en tout cas, car on y lit assez bien leur pensée… Paul, lui, faisait mine de ne pas s’en apercevoir. Il en rajoutait dans la provocation, plutôt. Quand il passait devant le pavillon, il s’amusait à imiter les pilotes de course lorsqu’ils font chauffer les pneus, il faisait bouger son volant très vite pour imprimer à sa Porsche un mouvement de zigzags minuscules.
Il est peut-être 13 heures maintenant. Je sors du bois. Je me rapproche, par conséquent, de chez les Berchême, et cela m’angoisse horriblement… Déjà j’aperçois la maison. Avec un peu de chance, ils seront tous à l’intérieur en train de déjeuner. Je ne vois pas le buste maigre, exagérément long, des trois filles dépasser de la haie, se découper sur fond de mur blanc. La voie est libre… Je suis très soulagée. Cela m’enlève un poids énorme.
Pourtant, au moment où je passe devant le pavillon, cela recommence. Je ne vois rien, mais la peur, l’horrible peur revient. Je crois soudain sentir leur présence, plus réprobatrice que jamais ; il me semble apercevoir leurs yeux à travers la haie. J’accélère à nouveau.
J’ai hâte de rentrer à Gerfôme maintenant. Le civet de Bernadette me semble la chose la plus désirable au monde. J’en reprendrai autant qu’elle voudra. Ensuite, j’irai m’écrouler sur mon lit.
4
[dimanche 2 mars]
Le réveil me prend par surprise.
Je sens la place vide dans le lit, à côté de la mienne. Hier encore, j’aurais pu très précisément reconstituer l’espace que Paul occupait, il y a quelques jours à peine, sur la partie gauche, le creux que son poids considérable imprimait dans le matelas trop mou… Presque au millimètre près. Aujourd’hui, j’en suis totalement incapable. À cause de ce qui est arrivé… C’est horrible, c’est comme si l’on m’avait pris Paul une seconde fois. Je ne suis pas seulement privée de sa présence, je le suis aussi de son souvenir… La forme de son visage, le timbre de sa voix, l’expression de son sourire : ça n’est plus net comme avant. Je cherche à les faire revenir et je ne vois plus rien… Nous ne baisions plus depuis longtemps. Mais auparavant, je pouvais dire comment c’était, autrefois… Maintenant je l’ai oublié. Je sais juste que c’était bien, au début. Exceptionnel, même. Mais je ne peux plus me replonger dans le moment, retrouver le détail de nos gestes, m’approcher de ce que je ressentais. Les autres hommes, oui, je m’en souviens très bien. Paul, je n’y arrive plus, rien à faire…
Peut-être que je tiens là le mobile du crime ? Ceux qui ont fait le coup auront voulu faire disparaître Paul pour de bon. Intégralement. Qu’il ne reste plus la moindre trace de lui sur terre… Parce qu’ils le haïssaient, Dieu sait pourquoi… Car Paul, malgré tous ses défauts, n’était pas méchant du tout.
Je lève une paupière, je me tourne de son côté… J’allume. Je tombe sur le dos du livre posé sur sa table de nuit. L’Envers de l’histoire contemporaine, de Balzac. Je ne connaissais pas. Curieux titre pour un roman… Je ne vois pas bien ce que ça peut raconter, ni en quoi cela pouvait intéresser Paul ? Il faudrait que je regarde.
Les cloches de l’église de Doligny sont en train de sonner. Déjà 9 heures… Elles font comme d’habitude, comme si de rien n’était. Elles entonnent leur petit air villageois, paisible. Leur petit air à la con… Elles n’ont pas la décence de se taire. Elles se foutent royalement de ce que je peux ressentir. Elles sont la preuve de l’indifférence de Dieu à l’égard de la souffrance… La mienne comme celle des autres… Elles ont d’autant moins de raison de sonner que l’office du dimanche n’a pas lieu à Doligny, mais à Saint-Marnoux, quelques kilomètres plus loin. L’église de Doligny ne sert presque plus, sauf parfois pour le 15 août. Il faut la rouvrir dès la veille, l’aérer au maximum, pour tenter de faire partir l’odeur de renfermé…
La messe. Ah non, pitié, je n’ai pas du tout envie d’y aller… Je vais rester sous la couette… Plusieurs jours encore…
On frappe à la porte.
— Maman ?
C’est Julie, ma fille. Elle est arrivée hier après-midi de Paris. Elle m’a rejointe dès qu’elle a appris la nouvelle.
— Tu ne te prépares pas pour la messe, maman ?
Julie serait bien la dernière personne à s’en inquiéter en temps ordinaire. Elle a cessé toute pratique dès l’âge de douze ans. Par une sorte de méfiance instinctive envers les prêtres. Surtout à cause de leur façon de toujours vous regarder par en dessous, d’après elle… Aux dernières nouvelles, elle était hindouiste. Mais elle doit se dire que dans une situation pareille, il n’est pas bon pour moi de rompre avec mes habitudes. C’est gentil de sa part…
Je vais en effet à l’église tous les dimanches, depuis quarante ans. Depuis que je me suis mariée avec Paul, j’avais alors à peine vingt et un ans. Avant, je n’étais même pas baptisée… J’ai dû me mettre en règle… Les Larmencour fréquentent la messe depuis la nuit des temps. Ils compteront sans doute parmi les derniers catholiques du monde occidental. Lorsqu’ils ne seront plus que quelques-uns, qu’ils seront réduits à se retrouver chez les uns et les autres, ou dans des catacombes, en cachette, parce que toutes les églises auront fermé, que le christianisme aura été à nouveau interdit, il est certain que dans le lot, il y aura encore un ou deux Larmencour… Par conformisme familial, parce qu’ils ont toujours fait ainsi. Donc, pas moyen d’y couper. »
Extraits
« À la fin du repas, Anthony et Kevin se sont levés. Ils ne se rappellent pas exactement avoir vu M. Paul se lever lui aussi. Ils ne peuvent davantage affirmer qu’il est sorti avec eux. Mais le fait est qu’ensuite, sur la route, il marchait à leurs côtés.
— Il a passé les bras sur nos épaules et on a senti que c’était pas du chiqué… qu’il était de chair et d’os, comme nous autres. Et on a commencé à avancer comme ça, comme des copains, quoi, dit Kevin. C’est alors qu’on s’est aperçus qu’y pleuvait plus. En fait, si, il continuait à pleuvoir, très fort, même. Mais pas sur nous.
— Il y avait comme un microclimat au-dessus de nous, a poursuivi Anthony. Ça paraît fou, je sais, mais c’était une espèce de tube de lumière, un couloir d’air sec qui montait jusqu’au ciel, jusqu’au soleil. Et nous, on était à l’intérieur, avec M. Paul. Et on se sentait pleins d’allégresse.
— D’allégresse ?
Ce mot surprend le gendarme. Il ne lui semble pas appartenir au vocabulaire d’Anthony. Il consigne cette incongruité dans le procès-verbal. » p. 42
« Il me dit cela comme il dit toutes les choses. Avec une douceur qui n’est pas feinte. Sans la moindre nuance d’agressivité. Le plaisir de contredire lui est complètement étranger…
J’ai désormais l’impression que la chaleur ne l’atteint plus. C’est comme s’il était un animal marin. Il y a quelques secondes, il était avec moi, sur la berge brûlante. Voici qu’il a plongé dans l’eau profonde. Et moi, j’aimerais le rejoindre…
Dans l’eau profonde de l’âme des gens. Il me parle de Kevin et d’Anthony, de Baptistine, de Bernadette. Et de ces centaines d’autres, dont je ne connais pas le nom. Mais lui, si. Il a pris la peine de les chercher, de les apprendre… Il pourrait me les réciter. Il semble les connaître un par un… Il m’initie aux détails de leur vie. » p. 165
À propos de l’auteur
Jean-Baptiste de Froment est normalien et agrégé de philosophie. La Bonne Nouvelle est son troisième roman. (Source : Éditions Anne Carrière)
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