Quand ils sont réussis, comme ici, les romans où il ne se passe presque rien sont souvent les plus beaux.
Nord de l’Italie dans la Valesia, une vallée montagneuse, un goulet d’étranglement où le brouillard s’accumule et sa « forte pluviosité lui a valu le tendre surnom de « pissotière d’Italie » ». Luigi, garde forestier vit avec Elisabetta, enceinte. Il attend le retour de son frère Alfredo, parti depuis longtemps au Canada comme bûcheron, afin de régler la succession, leur père décédé laisse une bicoque en pleine forêt ; Luigi voudrait racheter la part d’Alfredo pour s’installer avec sa femme et leur futur enfant dans la maison.
Voilà, c’est à peu près tout. Mais que c’est beau. Dès le premier chapitre j’ai été subjugué, il y est question d’un chien et d’une chienne, « en couple », deux desperados qui hantent la montagne, tuent des chiens pour bouffer leur gamelle, poursuivis par les chasseurs. L’auteur s’y prend tellement bien qu’on à l’impression que ces bêtes sont des humains, de ceux qu’on voit dans les films américains, genre Bonnie & Clyde ! Revenons-en aux hommes, Alfredo n’est pas un saint, picole et bagarres étaient dans son baluchon quand il est parti et Elisabetta ne le regrette pas, le voir revenir l’inquiète et elle n’a pas tort…
L’écriture de Paolo Cognetti est faite de touches légères, de mots simples pour dire les choses élémentaires de la vie. On y décèle une légère nostalgie des temps anciens et des besoins basiques, il a pris son parti du passé qui ne reviendra plus mais ça n’interdit pas de célébrer la beauté des paysages, de la nature et surtout de la montagne par la magie de cette douce musique littéraire.
Un roman magnifique et comble du bonheur (pour moi), dans une postface il explique que ce bouquin lui a été inspiré par l’album Nebraska de Bruce Springsteen. Un type qui aime le Boss ne peut être qu’un type bien.
« Des gens entraient dans le bar, Luigi remarqua qu’ils les regardaient. Il vit la scène telle qu’eux la voyaient : un garde forestier en uniforme avec un homme patibulaire aux cheveux longs, quatre verres vides sur le comptoir. Pendant que le barman servait la deuxième tournée, il dit à Alfredo qu’il allait dans la voiture prendre des cigarettes. Il y avait une cabine téléphonique sur le trottoir en face. Il y entra, chercha de la monnaie et fit le numéro de la maison. Elisabetta ne répondit pas. (…) Il savait très bien pourquoi elle ne décrochait pas. Il allait devoir trouver un endroit où dormir pour son frère. »
Traduit de l’italien par Anita Rochedy