Ces féroces soldats

féroces soldats

En deux mots
Quand la Seconde guerre mondiale éclate, toutes les régions de France ne sont pas logées à la même enseigne. En Alsace et Moselle, nombreux sont ceux qui ont dû suivre l’armée allemande. Le père de Joël Egloff faisait partie de ces « malgré-nous ». À travers son histoire, il éclaire cette page sombre de l’Histoire.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La guerre sous l’uniforme allemand

Ils ne sont plus guère que quelques centaines, les survivants des Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande. Le père de Joël Egloff, dont il nous raconte ici l’histoire, en faisait partie. Un hommage qui est aussi un plaidoyer.

Ce roman est construit autour de témoignages, mais aussi et surtout à partir de 73 lignes laissées par le père de l’auteur. « Trois pages d’un récit qui débute en septembre 43, dans un village de Moselle, pour s’interrompre en février 44, alors que pour toi la guerre ne fait que commencer, et que le pire est à venir. Trois pages, pour dire comment, d’un jour à l’autre, on t’arrache aux tiens pour te faire passer le goût de ton enfance, te jeter dans la guerre, et du mauvais côté (…) la tâche était immense et l’essentiel restait à jamais perdu entre les mots, dans les abîmes de l’indicible. Alors tu avais capitulé ».
Plus d’un demi-siècle après, Joël Egloff reprend le flambeau et nous raconte la destinée de ce Malgré-Nous, pour reprendre le terme choisi pour désigner ces Français intégrés à l’armée allemande, parce que considérés comme Allemands par le IIIe Reich.
Quand la Guerre éclate, il n’est encore qu’un gamin plutôt insouciant qui prend l’exode comme une aventure. La Lorraine étant considérée comme zone rouge, les habitants sont invités à se replier, soit vers le Nord pour les ouvriers de la mine, soit vers le sud-ouest pour les agriculteurs. C’est dans les houillères du nord que la famille fait étape. Mais très vite la zone est à son tour menacée et il faut reprendre la route. Si le projet était alors de gagner l’Angleterre, il restera lettre morte. Et au bout des pérégrinations, c’est un retour au pays qui s’impose. La maison n’aura finalement subi que peu de dégâts et la vie sous occupation allemande retrouve un semblant de normalité, même si l’occupant entend imposer sa loi. Il faut dire que les Mosellans et les Alsaciens n’en sont pas à leur première expérience. « Ils en ont vu du pays, en trois guerres, les gens d’ici. Tout en restant chez eux. Français avant 1871. Allemands, ensuite, jusqu’en 19. Français, de nouveau, jusqu’en 40. Allemands jusqu’en 45. Français, enfin, pour de bon. »
C’est au moment où les premiers revers sont enregistrés que le climat se tend et c’est alors que l’enrôlement de nouvelles recrues devient vital. Quand l’ordre de mobilisation arrive, Léonard sait qu’il n’a plus le choix. Les exemples de fusillés pour l’exemple ou de familles de déserteurs arrêtées sont légion. Il ira combattre sur le front de l’est. Tant qu’il pourra donner des nouvelles, il indiquera que tout va bien, autrement dit qu’il est encore en vie, et qu’il a voyagé d’Allemagne en Autriche, puis en Hongrie.
Mais c’est au moment où les Alliés commencent à gagner du terrain que sa situation devient critique. Quand son village est libéré, il est pris en tenaille entre les Russes et les Américains. Et s’il a la chance d’être resté en vie, son calvaire ne s’achève pas à l’issue du conflit puisqu’il est prisonnier de guerre.
Joël Egloff raconte ces jours de peur et de doute, explique comment ces enrôlés de force ont dû se battre pour leur honneur.
J’ai grandi à quelques kilomètres de Folschviller où vivait la famille Egloff et ma famille a aussi eu à subir ce tragique destin après l’Occupation. C’est dire combien cette histoire me touche. D’autant que ces histoires étaient le plus souvent cachées, car la honte venait se mêler à l’envie d’oublier ce traumatisme. C’est sans doute aussi la raison pour laquelle l’auteur a chosi les faits plus que le commentaire, la sobriété plutôt que les grandes envolées lyriques. Ce récit n’en est que plus fort.
Avant de porter un quelconque jugement, mettez-vous un instant à la place de ce garçon qui attend son père dans cette région qui a « toujours une guerre à craindre, à faire, ou à oublier. »
Il y a alors fort à parier que vous serez à ses côtés pour accueillir son héros. Quelle connerie, la guerre!

Signalons la rencontre en ligne avec Joël Egloff organisée par VLEEL (Varions Les Editions En Live) le 8 septembre à 19h

Ces féroces soldats
Joël Egloff
Éditions Buchet Chastel
Roman
240 p., 20,50 €
EAN 9782283038635
Paru le 21/08/2024

Où ?
Le roman est situé principalement en France, du côté de Folschviller et Valmont en Moselle puis sur les routes de France jusque dans le Nord. On y évoque aussi, au gré des mouvements de troupe, l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie.

Quand ?
L’action se déroule de 1939 à 1946.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans ce récit, Joël Egloff retrace l’histoire singulière et tumultueuse de sa famille durant la seconde guerre mondiale, en Moselle annexée. Pièce par pièce, il entreprend de reconstituer le puzzle de l’enfance et de l’adolescence de ses parents sous le joug nazi. En entrelaçant la petite histoire et la grande, il évoque ces années noires et retrace le périple tragique de son père, à travers l’Europe, incorporé de force par l’ennemi, à dix-sept ans, puis envoyé au front, contre son propre camp, sous le pire des uniformes.
A hauteur du regard de l’enfant qu’il a été, Ces féroces soldats dépeint cette guerre dans toute son ironie macabre et la quintessence de son absurdité.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté
Page des libraires (Manuel Hirbec, librairie La Buissonnière à Yvetot)


Joël Egloff présente « Ces féroces soldats » © Production Éditions Buchet-Chastel

Les premières pages du livre
« Je voudrais retrouver cette lettre. Elle doit être quelque part dans la maison, c’est sûr. Où pourrait-elle être, sinon ?
Je l’ai eue entre les mains, pourtant, cela fait des années, et c’est moi qui l’ai rangée, je ne sais où. Elle était à la cave, auparavant, dans une vieille boîte à chaussures sans couvercle, au-dessus de l’armoire à conserves. C’est là qu’elle se trouvait depuis trop longtemps, livrée aux araignées. Je l’avais lue, puis l’avais remontée à l’étage, pour la mettre à l’abri de la poussière.

Dans la même boîte se trouvaient trois grands carnets noirs. Des agendas, des livres de comptes de la petite épicerie que tenait ta mère, avant la guerre. Une épicerie sans vitrine et sans horaires, dans une maison au pied de la côte qui montait vers l’église.
Sur la façade, on avait peint « Krämerei ». Cela datait d’avant 18. On ne s’était pas donné la peine de changer l’enseigne. À quoi bon ? Ici, tout le monde comprenait.
Pour se rendre au magasin, il fallait entrer dans la maison et pénétrer dans la pièce qui faisait face à la cuisine. L’épicerie tout entière y tenait.
Aujourd’hui, il n’en reste que ces carnets, remplis de noms et de listes d’articles, en allemand ou en français, c’est selon, en face d’interminables additions. Toutes les dettes des clients étaient consignées là. On ne payait qu’à la fin du mois. Ou le mois suivant. Ou on ne payait pas.
Ces carnets, je sais où ils sont. Je peux les feuilleter quand je veux. Mais ta lettre, je n’ai aucune idée de l’endroit où j’ai pu la mettre. Je chercherai encore. Je fouillerai tous les tiroirs. Je finirai bien par la retrouver.

Par chance, même si je ne l’ai lue qu’une ou deux fois, même si cela fait bien longtemps, maintenant, je m’en souviens un peu. C’était une lettre très simple. Quelques lignes seulement. Quelques lignes en allemand. Elle est du mois d’octobre 43. Tu avais dix-sept ans. Tu écris à tes parents. Tu leur dis que tout va bien, que la nourriture est bonne. Tu dis qu’à chaque coup de sifflet, il faut courir pour se rassembler. Et puis tu demandes à ce qu’ils t’envoient au plus vite du cirage et du savon. Ou bien juste l’un ou l’autre, je ne sais plus.
Le reste, je l’ai oublié. Mais il n’y avait ni fioritures, ni épanchements. Entre deux coups de sifflet, de toute façon, tu n’en aurais pas eu le temps.
Elle ne dit pas grand-chose, cette lettre, mais au fond elle dit tout. Elle dit que le temps n’était pas aux confidences, ni à l’expression de vos sentiments. Elle dit que tu n’y étais pas habitué. Ce n’était pas votre langage.
Elle dit que tu étais né un peu trop tôt, que la guerre avait déjà trop duré pour que tu continues à lui échapper encore.
Elle dit que la patrie te réclamait, que tu n’avais plus le choix.
Elle dit que « patrie », ici, depuis l’été 40, une fois de plus, se prononce « Vaterland ».
***
Trois guerres en moins d’un siècle. La même sinistre partie en trois manches. On en a vu défiler des soldats, par ici. Au pas ou en boitant, le torse bombé ou les pieds devant, plus ou moins fiers, plus ou moins vaillants selon le sens dans lequel ils marchaient. Et des uniformes, de toutes les couleurs. Des bleu et rouge, des bleu-gris, des gris, des verts, des vert-de-gris. Et puis des noirs, aussi.

Chaque fois que les Allemands passaient par là, ils déplaçaient la frontière un peu plus loin vers l’ouest, au prétexte que c’était là qu’elle aurait dû se trouver depuis toujours. Tout naturellement, on devenait allemands. À la fin de la guerre, ou à la suivante, on leur demandait de tout remettre en place comme avant, et on leur faisait promettre de ne jamais plus recommencer. Et l’on redevenait français.
Ils en ont vu du pays, en trois guerres, les gens d’ici. Tout en restant chez eux. Français avant 1871. Allemands, ensuite, jusqu’en 19. Français, de nouveau, jusqu’en 40. Allemands jusqu’en 45. Français, enfin, pour de bon. Tout ça en l’espace d’une même vie, pour certains. Ils en avaient le tournis. Ça durait depuis des siècles, cette histoire.
On n’a jamais vraiment dormi tranquille. Toujours une guerre à craindre, à faire, ou à oublier. Tout ça a laissé des traces.
***
Tu ne supportais pas la violence dans les films à la télé. Tu pouvais te mettre en colère et quitter la pièce. Tu disais ne pas comprendre. Je ne comprends pas ! tu disais. Comment peut-on regarder ça ?! On restait interdits. On y était habitués, pourtant. On essayait de te convaincre que ce n’était qu’un film, après tout, mais on n’y parvenait jamais. Alors tu nous laissais, tu allais te coucher, et on continuait à regarder du bout des yeux. On se sentait presque coupables, on n’en profitait plus. On finissait par éteindre, souvent.

Tu n’aimais pas les armes, ni les vraies, ni les factices avec lesquelles, enfant, je pouvais jouer. Tu n’aimais pas être mis en joue, même par un jouet, tu n’aimais pas quand je le faisais, tu disais que ça ne se faisait pas, qu’on ne faisait pas ça, même pour jouer, qu’on ne vise personne, jamais.

Tu aimais bien, pourtant, faire un carton à la foire avec moi, tirer sur une cible, ou dans l’œil rouge du pigeon. Quoique avec l’œil du pigeon, disais-tu, impossible de remporter le lot promis, parce que sous l’impact des balles ou des plombs, il y a toujours une petite partie de rouge qui se replie derrière le carton, de sorte qu’on n’arrive jamais à l’enlever complètement. De toute façon, tu ne leur faisais pas confiance, tu sous-entendais qu’ils déréglaient leurs armes, et ça me gênait quand tu le leur faisais remarquer avec un sourire entendu, quand tu te mettais à faire tes propres réglages, et que tu trifouillais la hausse avec l’air de celui à qui on ne la fait pas.
C’est toi qui m’as appris à tirer, à la fête foraine, la crosse calée au creux de l’épaule, et le centre du cran de mire bien aligné avec le sommet du guidon. Tu disais que je me débrouillais bien et j’étais fier de moi. Tu disais qu’à la guerre, tu avais été tireur d’élite. À la guerre, tu disais. Mais ce n’était pas vrai, tu n’avais pas été tireur d’élite, d’ailleurs tu ne cherchais pas vraiment à me le faire croire. C’était un jeu. Tu savais ce qu’aimait entendre l’enfant que j’étais.

De cette guerre, tu me racontais souvent les mêmes histoires, celles qui finissaient bien, ou pas trop mal. Des histoires de quand tu avais failli y laisser ta peau, et la nôtre, et celle de nos enfants, et où par chance ou par miracle tu t’en étais sorti. Alors il me semblait, moi aussi, en t’écoutant, sentir la balle ou l’éclat frôler mon oreille, et comme toi, m’apercevoir ensuite en la touchant que j’avais du sang sur les doigts. Mais que j’étais vivant.
Puis quand tu te lassais de m’en raconter, de me voir m’emballer et en réclamer davantage, tu devenais soudain plus sombre, et tu disais : C’est pas marrant la guerre, tu sais ! Et parfois, tu posais tes deux mains sur ta tête en fermant les yeux : Quand j’y repense…, tu soupirais. Quand j’y repense…
***
J’avais dix ans, à peu près, lorsqu’un jour un copain m’a fait voir des cartouches qui lui venaient de son grand-père. Je ne sais pas où lui-même les avait trouvées, mais ce qui était sûr, c’est que ce n’étaient pas des balles de fête foraine, si petites qu’on pouvait presque les cacher entre le pouce et l’index. Celles-ci étaient lourdes de métal et de poudre, et de la taille d’un doigt pour les plus petites. À la foire, il en aurait suffi d’une seule, même à un mauvais tireur, et même avec une arme déréglée, pour emporter tout l’œil du pigeon d’un seul coup, et probablement qu’il ne serait rien resté non plus de la tête du volatile. C’était le gros lot assuré.
Je ne sais pas si c’étaient des cartouches françaises, allemandes ou américaines, toujours est-il qu’il y en avait un certain nombre, de différentes sortes, de différentes tailles, et on aurait dit que quelqu’un avait pris soin de les astiquer une à une, chaque jour depuis l’armistice, tant elles semblaient neuves et toutes prêtes à bondir, à reprendre du service dès qu’on aurait besoin d’elles.
On les a fait rouler aux creux de nos mains, on les a soupesées et observées en détail. Puis m’est venue l’idée de t’en montrer une. Toi qui t’y connaissais, tu pourrais nous dire et, entre tireurs d’élite, on aurait sûrement des choses à se raconter.
Quand on est arrivés à la maison avec la balle, tu étais assis à la table de la cuisine. Nous avons surgi dans la pièce et je te l’ai montrée, fièrement. Mais ton regard ne s’est pas éclairé comme je l’attendais. Tu ne pensais sûrement plus en revoir de ta vie. Tu as pris un air sévère et tu nous as demandé où on avait trouvé ça. Je n’ai pas reconnu mon compagnon d’armes de la fête foraine. Tu as pris la balle dans ta main, puisque je te la tendais, mais tu l’as à peine regardée. Elle a semblé te brûler les doigts. Ce cercle bleu tracé autour de l’ogive, tu nous as dit que c’était une balle explosive. Tu me l’as rendue et tu nous as envoyés la jeter dans le ruisseau. Tu nous l’as ordonné, plutôt. Tout de suite ! tu as fait. Dans le ruisseau. Comme si c’était une bombe à retardement qu’on avait là et qu’elle risquait de nous sauter à la figure d’un instant à l’autre, comme si une porte entre le monde d’avant et le nôtre s’était entrouverte, et que la guerre tout entière pouvait soudain ressurgir dans cette cuisine. Je ne sais pas ce que tu redoutais le plus.
Tu n’as pas eu besoin de réfléchir pour savoir ce qu’il fallait en faire. Tu ne t’es pas demandé s’il valait mieux que tu la gardes, s’il fallait qu’on la ramène là où on l’avait trouvée, ou si, tout compte fait, on devait l’enterrer au fond du jardin, près du chat. La solution t’est apparue comme une évidence. Dans le ruisseau ! tu as dit, spontanément. Et peut-être, en fait, n’y avait-il que l’eau claire du ruisseau pour noyer les balles et laver les blessures, et emporter au loin toutes ces vieilles choses de la guerre.
On y est allés « tout de suite », comme tu l’avais exigé. Le ruisseau en question n’était qu’à dix minutes de la maison. On a marché d’un bon pas, mais sans courir, sans nous précipiter, avec bien plus de précautions encore, maintenant qu’on savait de quel genre de méchante balle il s’agissait, et bien conscient, pour ma part, que ce que je tenais là au chaud dans ma main serrée, ce n’était pas juste une balle, c’était un petit morceau de guerre encore incandescent.
Sur place, nous avons remonté le cours d’eau pour trouver un endroit approprié, là où il y aurait assez de vase pour qu’on puisse y enfouir la balle.
À l’endroit où naissait le ruisseau, sous un gros tuyau qui sortait de terre et d’où l’eau jaillissait, c’est là que nous avons choisi de l’enterrer, dans un lit de petits cailloux rouillés.
Et jamais plus avec toi je n’en ai reparlé.
***
Il y a ce bloc-notes dans lequel tu avais commencé à raconter ton histoire. Trois pages, seulement, sur petits carreaux, de ton écriture comme une pluie battante, au bout desquelles tu t’étais interrompu, à cause d’une remarque que Maman t’avait faite sur la manière dont tu t’y prenais, ou dont tu aurais dû t’y prendre, plutôt, selon elle. Elle t’avait conseillé de ne pas te jeter comme ça dans ton récit, de rassembler tes idées d’abord, d’y réfléchir, de faire un plan. Mais tout ça était bien trop fragile, et sans doute n’avait-elle pas pris assez de précautions pour te le dire. Cela avait suffi à te vexer et à briser ton élan. Peut-être bien, aussi, n’était-ce qu’un prétexte dont tu t’étais saisi parce que cela te semblait insurmontable. Toujours est-il que tu avais rangé ton bloc-notes à jamais.
De toute façon, les mots et les phrases, ce n’était pas vraiment ton domaine. Tu t’en étais toujours méfié. Quand tu disais : C’est de la littérature ! pour toi, ça voulait dire du vent, de belles paroles. Tu disais ça, aussi, d’ailleurs : Ce sont de belles paroles ! ou : Tout ça, c’est des phrases ! Pourtant, un jour, tu avais ressenti le besoin d’en faire, toi aussi, pour raconter ton histoire. Trois pages, dans ce bloc-notes, d’un récit qui débute en septembre 43, dans un village de Moselle, pour s’interrompre en février 44, alors que pour toi la guerre ne fait que commencer, et que le pire est à venir. Trois pages, pour dire comment, d’un jour à l’autre, on t’arrache aux tiens pour te faire passer le goût de ton enfance, te jeter dans la guerre, et du mauvais côté par-dessus tout. Soixante-treize lignes, c’est peu pour raconter tout ça, mais c’était assez pour te rendre compte que la tâche était immense et que, quoi que tu puisses écrire, l’essentiel resterait à jamais perdu entre les mots, dans les abîmes de l’indicible. Alors tu avais capitulé.
***
Au tout début, tu as treize ans. C’est le 1er septembre 1939 et c’est un vendredi. C’est encore les grandes vacances, et tu reviens des champs.
Aujourd’hui, soixante divisions allemandes sont entrées en Pologne, mais tu ne le sais pas. Et même si tu le savais, c’est trop loin, la Pologne, pour que tu t’en soucies. Tu as treize ans et le monde s’arrête aux confins de ton village. Alors quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur ta vie ?

Tu es un enfant de la « zone rouge ». Tu as grandi à l’étroit entre la ligne Maginot et la frontière, coincé entre deux pays, deux langues et deux guerres. À travers le paysage, autour de toi, des casemates ont poussé dans les prairies et jusqu’au fin fond des forêts. Depuis toujours, tu sais les adultes inquiets. Tu les entends parler de la guerre. De celle d’avant et de celle qui viendra sûrement. Mais cela fait trop longtemps qu’on crie au loup pour que tu y croies encore.

Au tout début, tu as treize ans et tu reviens des champs. Au village, il se passe quelque chose. Tu vois des gens agglutinés devant des affiches, placardées sur les murs et les portes des granges : « mobilisation générale », « ordre d’évacuation ». Autour de toi, on parle fort et on s’agite. Tu sens la peur et le désarroi, mais tu ne comprends pas.
Lorsque tu arrives à la maison, tes parents et Juliette, ta sœur aînée, s’affairent déjà. Albert, ton jeune frère, les regarde ahuri. Ils passent d’une pièce à l’autre et se bousculent, ils ouvrent et referment les armoires et les commodes, ils fouillent les tiroirs sans même savoir ce qu’ils y cherchent. Rémi, ton grand frère, rentre juste après toi. Alors on vous dit que la guerre arrive, qu’il faut partir et tout laisser, la maison, l’épicerie, les bêtes et les récoltes, ne prendre que l’essentiel, que ce que chacun pourra porter. Des vivres pour quelques jours, des vêtements, du linge, des couverts et des couvertures, trente kilos de bagages en tout, voilà les consignes.
Mais dans la panique, on ne sait plus où sont les choses, on ne sait plus où donner de la tête. On ne s’en va jamais nulle part, alors on n’est pas équipés en bagages. On bourre des taies d’oreillers pour en faire des baluchons, des sacs en toile de jute, des valises lourdes comme des buffets de cuisine. Où allez-vous ? Comment ? Pour combien de temps ? Vous n’en savez rien encore. Il faut se rassembler et suivre le mouvement.

C’est le 1er septembre 1939. Aujourd’hui, soixante divisions allemandes sont entrées en Pologne. La vieille mécanique de la guerre s’est remise en marche. Tu as treize ans, et désormais le monde est bien plus vaste qu’il ne l’était la veille.
***
Maman n’avait que huit ans, alors, mais du même jour et du village voisin, elle se souvient du garde champêtre, qui passait dans les rues pour annoncer leur évacuation, et des sacs à dos que sa mère avait confectionnés à la hâte : de simples housses de traversins, auxquelles elle avait cousu deux serviettes roulées sur elles-mêmes en guise de bandoulières.
Ils s’en étaient allés à pied, tous les cinq, le soir même. Son père et sa mère, Hedwige, sa sœur aînée, et Hélène, sa cadette, qu’ils avaient assise dans la charrette qu’ils tiraient derrière eux.
Ils ont marché dans la nuit vers une destination lointaine, dont jamais elle n’avait entendu le nom.
Ils ont dormi dans une salle communale. Puis une autre nuit, dans une grange qui jouxtait une grande porcherie. Elle se rappelle la puanteur du lisier, et ces grands chiens fous et sales, qui avaient partagé leurs puces avec eux.
Elle se souvient de ce couple qui, dans la précipitation, avait oublié tous ses papiers et son argent, et de cette vieille femme que ce départ subit avait rendue folle.
Elle dit que les consignes étaient de laisser les maisons et les granges ouvertes. Des jeunes gens, qui avaient rejoint le convoi un peu plus tard, avaient eu pour mission de s’occuper des bêtes, après leur départ. Mais où les avaient-ils menées ? Elle ne le sait pas.
Et les chiens et les chats, lui ai-je demandé, que sont-ils devenus ? Elle s’interroge un instant. On avait sûrement des chats, c’est vrai, me dit-elle, comme si leurs miaulements lui étaient soudain revenus en mémoire et qu’elle venait, pour la première fois, de se demander ce qu’étaient devenus ces vieux chats de quatre-vingts ans passés. Une chose est sûre, dit-elle, presque désolée, c’est qu’on ne les a pas pris avec nous.
Ce qu’elle se rappelle, en revanche, c’est qu’avant leur départ, son père avait sorti les lapins de leurs clapiers pour les mettre au grenier, dans le foin.
Alors je repense à ce cauchemar qu’elle fait parfois, et dont elle a souvent parlé. Ce rêve de lapins dont elle doit s’occuper et qu’elle oublie de nourrir. Puis lorsqu’elle s’en soucie enfin, trop tard, elle les découvre, affamés et squelettiques, gisants dans leurs clapiers. Certains déjà morts de faim, pendant que d’autres rampent et s’entre-dévorent encore.
***
Déserter au plus vite la « zone rouge », s’éloigner de la frontière, et faire place à nos soldats avant les premiers tirs d’artillerie, avant que ne grondent les avions et ne déferlent les chars. Voilà le but de ces grandes manœuvres. Se replier, d’abord, derrière la ligne Maginot, comme à l’abri d’un imprenable château, et ensuite vous prendrez le train. Ceux des mines iront dans le Nord, et les cultivateurs, dans la Vienne, en Charente, ou en Dordogne. Mais à l’heure où vous quittez vos maisons, vous n’en savez rien encore.
Cela fait des années, pourtant, que le plan est prêt et tenu secret, car on le pressent, c’est ici que sera inaugurée la guerre. Ce sont vos prairies qu’on envisage comme champs de bataille, et vos villages sur lesquels pleuvront les premiers obus. C’est sur vos terres que viendront mugir ces féroces soldats. Mais ils n’égorgeront ni vos fils ni vos compagnes, car vous serez déjà loin, et leurs blindés s’échoueront sur ces récifs de métal, dressés tout exprès pour briser leurs chenilles. Leurs fantassins iront se tailler les veines dans nos haies de barbelés, puis s’empaler sur nos pics. Et les derniers debout finiront, titubants sous la mitraille, par se casser les dents sur le béton de nos forts.
Voilà ce qui est prévu. Voilà le plan de bataille.
***
Pour l’heure, et pour longtemps encore, il n’y a pas d’ennemi en vue. Il n’y a que des femmes, des hommes et des enfants, qui s’en vont, hagards, par dizaines et par centaines de milliers, à pied, à vélo, entassés sur des charrettes à foin, ou dans de rares voitures.
À cause de la jambe de ton père, tes parents sont partis le soir même, avec le convoi des malades et des vieillards. Et toi, tu as pris la route avant l’aube, avec ton oncle et ta tante, tes deux frères et ta sœur, et tout le reste du village, comme une seule et même ombre sans fin dans le jour naissant.

Vous voyagez trop nombreux sur la charrette d’un paysan, tirée par un cheval trop vieux pour l’aventure. Vous croisez par endroits des colonnes de soldats, qui vont, dans l’autre sens, se masser le long de la frontière. Vous traversez des hameaux déserts, peuplés d’animaux errants. Vous dormez à la belle étoile, une nuit, peut-être deux.
C’est la première fois que tu t’éloignes autant de ton village. Et si les adultes sont graves, si leurs visages sont marqués par l’inquiétude, au fond des yeux de ceux de ton âge, il y a comme une lueur. Un sentiment inavouable que seuls les insouciants partagent. C’est l’euphorie secrète du voyage et de l’aventure.

Chaque fois que tu évoquais ces moments, te revenait en mémoire le poème que Rémi avait écrit deux mois plus tard. Il l’avait intitulé : Un départ. C’est le poème d’un adolescent. Il est fort et fragile à la fois. Il fait rimer « sombre » et « septembre », « inconnu » et « dépourvu », « sang-froid » et « désarroi ». Tu le connaissais presque par cœur. Tu en récitais souvent le début, mais je ne sais pas si tu te souvenais des derniers vers. Je trouve que ce sont les plus beaux.
Sur la route mal tracée dans le noir
On pouvait distinctement apercevoir
Ce cortège lugubre se mettre en chemin
Un cortège qui ne prenait pas de fin.
Femmes, enfants et vieillards,
Tout ce pauvre monde y prenait part.
11. 11. 39
***
Au bout de cette longue marche, vous quittez la Moselle, et, du côté de Nomeny, on vous accueille, on vous restaure, on vous compte et on vous trie.
Vous attendez. Vous attendez encore. On vous cantonne une autre nuit. Le lendemain matin, ou peut-être le surlendemain, on vous envoie vers Dieulouard. C’est là-bas, vous dit-on, que vous prendrez le train. Mais pour quelle destination, vous n’en savez toujours rien.
J’ai vu des photos de ces gens, massés sur des quais de gare. Certains portent d’élégants costumes, et leurs femmes ont de petits chapeaux, des robes du dimanche. On dirait qu’ils s’en vont à l’enterrement d’un lointain cousin.
On a pris le minimum, alors on a pris ce qu’on avait de mieux, m’a dit Maman, et ceci explique peut-être cela. Même s’ils ont tout laissé et s’ils se sentent à moitié nus, ce sont des gens bien, et là où ils vont, il faudra qu’on le sache.
Enfin, vous montez dans le train. Vous vous serrez par dizaines dans des wagons à bestiaux. « Hommes : 40, chevaux : 8. » C’est écrit en lettres blanches sur la porte du wagon.
Vous vous asseyez dans la paille. Tant pis pour les robes à fleurs, les petits chapeaux et les costumes du dimanche.
***
Je n’ai pas connu mon grand-père paternel, mais j’ai connu sa douleur. Tu as tant parlé de sa jambe qu’elle m’est plus familière que son visage. C’était une mauvaise blessure, une plaie qui n’a jamais cicatrisé. C’est arrivé en 14, on a fini par l’amputer en 41. D’une guerre à l’autre, près de trente ans à serrer les dents, ça fait long. Ensuite, il n’a plus souffert, et c’est devenu, disais-tu, un autre homme, tant le soulagement était grand. Il n’en a pas profité bien longtemps. Il est mort quinze ans plus tard. Il voyait quelquefois, sur la fin, un grand chien noir qui n’existait pas.
Je ne connais qu’une photo de lui. Un portrait en médaillon sur une image mortuaire. Je peux y voir la forme de son visage, ses traits, son épaisse moustache et son regard sombre, mais tout est figé, et je ne connais ni sa silhouette, ni sa démarche, ni sa voix. Je sais, parce que tu me l’as dit souvent, que c’était un homme droit et rigoureux, mais je sais aussi qu’il pouvait avoir un humour cinglant. Pourtant, je ne l’imagine pas sourire, ou rire, ou quelquefois seulement. Le dimanche, peut-être, après la messe. Le dimanche et les jours de fête, sûrement, la vie devait lui sembler plus légère, et il souriait.
Le reste du temps, je l’imagine travailler sans relâche : la faux, la fourche, le foin et le regain, la charrue et les bêtes, du matin au soir, la mâchoire serrée et le front plissé, une expression de douleur contenue gravée sur son visage.

Mon grand-père est né en 1878, à l’époque où l’Empire allemand avait, depuis quelques années déjà, annexé l’Alsace-Lorraine. Ses parents étaient français, mais il est né allemand. C’est inscrit sur ses papiers, même s’il n’était pas plus allemand que français, ni plus français qu’allemand, ni l’un ni l’autre, d’ailleurs, et les deux à la fois, sûrement. Il se sentait lorrain. Lothringer, surtout. Mais il était de son village avant tout.
Sa jambe, ça remonte à 14, et en 14, par le hasard de sa naissance, par le mouvement des frontières et la force des choses, c’est pour le Reich et l’empereur que ton père s’en est allé à la guerre. Mais ça n’a pas duré bien longtemps. Je ne sais même pas s’il a vraiment été au front. Finalement, on a pensé qu’il était plus habitué aux profondeurs de la terre qu’à de simples tranchées, à la pénombre des galeries qu’à la lumière vive des grands espaces. On s’est dit qu’il serait plus utile à faire ce qu’il savait faire, plutôt qu’à mal essayer de tuer ceux d’en face. Alors on l’a rappelé pour qu’il s’en retourne à la mine, creuser la terre. Creuser la terre pour en extraire du charbon. Du charbon pour les hauts-fourneaux et les forges, les forges pour les canons.

En quittant son uniforme et son régiment et, tout au long du voyage qui le ramenait chez lui, c’était comme s’il s’éveillait d’un mauvais rêve et prenait peu à peu conscience qu’il venait d’éviter une de ces vilaines blagues des champs de bataille, qui vous laissent, tôt ou tard, au mieux estropié ou méconnaissable, au pire tout à fait mort et éparpillé. Il s’est senti plus vivant, plus vaillant que jamais. Il a pensé qu’il avait bien de la chance et s’est demandé s’il la méritait. Sans doute s’est-il même senti coupable d’en avoir autant.
Lorsqu’il s’en est retourné à la mine, lorsqu’il est redescendu au fond, il a pensé à ses camarades, là-bas, dans les tranchées. Il s’est dit que jamais il n’avait autant aimé son métier. Jamais il ne s’était senti aussi protégé, ici, dans le ventre de la terre, dans la pénombre et l’étroitesse de ces galeries sans fin.
C’est un sentiment qui n’a duré que peu de temps. Quelques semaines, peut-être, jusqu’à ce que la vie lui rappelle qu’il y avait comme un malentendu, et que s’il avait échappé aux combats et retrouvé un semblant de liberté, pour autant, cela ne serait pas sans contrepartie.

Et ce fut le jour de l’éboulement. Était-ce une galerie ou un front de taille qui s’était effondré ? Était-ce la faute au boisage ou à un bloc de roche tombé du toit ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que ton père était là, au mauvais moment, au mauvais endroit, comme le soldat qui se retrouve à croiser précisément la trajectoire de la balle perdue ou de l’éclat. C’était la vie qui était un immense champ de bataille. On n’y échappait pas.

Même s’il a survécu, à compter de ce jour, sa jambe n’a plus été qu’un fardeau à traîner, un sinistre pense-bête qui, à chaque instant, désormais, lui rappellerait qu’il avait échappé à la guerre et qu’il pouvait s’estimer heureux.
Qui peut dire, pourtant – et sans doute se le demandait-il souvent –, si le champ d’honneur ne lui aurait pas été plus clément que la mine ? Qui sait s’il n’aurait pas déjoué tous les mauvais coups du hasard ou du destin ? Qui sait, même, s’il n’aurait pas fini sa guerre parfaitement indemne, bien campé sur ses deux jambes, une médaille ou deux épinglées au beau milieu de la poitrine ?

C’est à cause de sa jambe, justement, parce que depuis son accident il n’est plus mineur, que dans ce train où vous êtes entassés, vous n’allez pas vers le nord. Vous faites route vers le sud-ouest, vers un pays de marais, de châteaux et de fermes.
Tu disais combien ce périple t’avait marqué. Ces gens, les uns sur les autres, dans ce wagon. Au milieu de tout ce monde, je vois mon grand-père assis dans la paille. Il a vieilli. Le temps a passé. Il s’est marié sur le tard et il a quatre enfants. Il est français depuis 19, mais cela n’a pas changé grand-chose. Sa jambe aussi est devenue française, mais la douleur est restée la même, ni plus raffinée, ni plus subtile qu’avant.
Sa jambe, il ne sait pas où la mettre, ni s’il doit la tendre ou la replier. Il est sur ses gardes, il la protège, il a peur qu’on lui marche dessus. La sueur et la poussière mordent sa plaie. Lorsqu’elle le démange, il défait son bandage, puis le resserre. Autour de lui, il y a trop de murmures, de plaintes et d’éclats de voix qui se mélangent, trop de gens qui parlent à tort et à travers. Il est fatigué. Il voudrait qu’on se taise. Il voudrait juste un peu de silence. »

À propos de l’auteur

Joël Egloff © Photo DR

Joël Egloff est scénariste et écrivain. Après avoir suivi des études d’histoire à Strasbourg, il s’inscrit dans une école de cinéma, l’ESEC (École Supérieure libre d’Études Cinématographiques) à Paris. Il écrit des scénarii et travaille notamment en tant qu’assistant-réalisateur. Il se consacre à présent à l’écriture, et est l’auteur de cinq romans, dont l‘Étourdissement qui a obtenu le Prix du Livre Inter en 2005.
Il a publié aux éditions du Rocher Edmond Ganglion & fils (1999 – Prix Alain Fournier), Les Ensoleillés (2000 – Prix Erckmann-Chatrian), et Ce que je fais là assis par terre (2003 – Grand Prix de l’Humour Noir). (Source : Éditions Buchet-Chastel)

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