Liens de sang – Octavia E. Butler [30-30]

Une fois n'est pas coutume, c'est avec une lecture commune que nous repointons une tête par ici... De là à dire que seule une lecture commune peu nous donner la motivation d'écrire un article de blog, il n'y a qu'un pas. Aujourd'hui on vous parle donc de Liens de sang d'Octavia Butler. C'est parti !

Quand l'Ourse Bibliophile m'a proposé une lecture commune c'est avec joie que je lui ai proposé de lire Liens de sang d'Octavia Butler en ma compagnie. Présent dans ma liste " 30 livres pour mes 30 ans " et dans sa propre liste " 35 livres pour mes 35 ans " (un défi de plus en plus ardu avec l'age, vous en conviendrez... Si vous voulez vous y coller aussi, n'attendez pas !!!), ça m'a paru la lecture idéale !
Avant de commencer à vous parler de notre point de vue (qui peut vous divulgacher une partie du livre, attention !!) sur le livre et comme à notre habitude, nous remercions donc encore une fois l'Ourse Bibliophile d'avoir été la copilote de lecture qu'elle sait être : éclairante, attentive quand moi je décroche et ne relève pas un détail. Bref, une copilote au taquet quoi !

Vous trouverez sa propre chronique dudit livre en suivant ce lien.

On tente de vous parler de Liens de sang, c'est parti !

Liens de sang, ça parle de quoi ?

Liens sang Octavia Butler [30-30]

Dana est noire, Kévin est blanc. Mariés depuis peu, ils emménagent dans une nouvelle maison en Californie. Le jour de ses vingt-six ans, la jeune femme, prise d'un malaise, perd connaissance. Elle disparaît du salon, puis réapparaît quelques instants plus tard, couverte de boue. Sans contrôler ni ses départs ni ses retours, Dana est propulsée au temps de l'esclavage et partage la vie de ses ancêtres dans une plantation du Sud. Hallucination ? Cauchemar ? Le couple survivra-t-il à ces épreuves ?

Franchement, qu'on ait déjà lu l'autrice ou non, ça pouvait que promettre un résumé pareil non ?!

Un roman engagé ET plaisant à lire

C'est souvent l'inconvénient qu'on trouve à certains récits de fiction engagés. On adhère au propos, à la vision du monde de l'auteur.ice mais on s'ennuie aussi un peu par moments. Pas de ça chez Butler, elle nous embarque immédiatement avec un prologue qui pique la curiosité et dont (coïncidence ou brio de la maison d'édition ?) la fin de la première page forme presque un cliffhanger. De fait, le roman s'ouvre sur la présence de Dana dans un lit d'hôpital, un bras en moins suite à un accident sur lequel on ne nous donne que peu d'informations. Quand on a lu la 4e de couverture, on veut immédiatement connaître la manière dont elle en est arrivée là et les théories vont bon train ! Le suspens restera à son comble tout au long du roman tant la protagoniste, Dana est en permanence en danger de par son statut de femme noire dans ces États-Unis esclavagistes. L'écriture d'Octavia Butler se fait immersive, cinématographique par moments tant la tension est à son comble et que l'on craint pour la vie de Dana.

L'esclavagisme, c'est une histoire que l'on connait malheureusement déjà mais l'autrice parvient, malgré tout à nous rappeler les atrocités endurées par les hommes et les femmes noires faits esclaves. Les dangers qu'ils encouraient et la difficulté qu'il y avait à prendre la route pour le nord. Sans parler de la distance folle qui les séparait de la liberté.

" Faudrait-il vraiment que j'entreprenne le long voyage vers un Etat du Nord pour trouver la paix ? Et dans ce cas, de quelle paix s'agirait-il ? Le territoire restreint du Nord était plus clément pour les Noirs que le Sud esclavagiste, mais pas de beaucoup."

Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 63.

Engagé donc, le roman de Butler l'est, c'est indéniable. Autrice noire souvent considérée comme l'une des précurseuses de l'afrofuturisme, Octavia Butler nous propose ici un roman mêlant SF et roman historique se déroulant au temps de l'esclavage dans le Sud des États-Unis. La ségrégation, l' esclavage, la double peine subie par les femmes noires en cette Amérique du XIXème sont autant de thèmes absolument centraux dans cette œuvre.

" Il n'aurait pas pu trouver pire, comme ange gardien : un gardien noir dans une société qui ne tenait pas les Noirs pour humains, un gardien femme dans une société qui tenait les femmes pour des êtres à jamais mineurs. J'aurais déjà beaucoup à faire pour me protéger moi-même. Mais je l'aiderais de mon mieux, tout en m'efforçant de rester son amie et de semer dans sa tête quelques idées susceptibles d'améliorer non seulement mon sort, mais celui de ses esclaves dans les années à venir. "
Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 39.

Sans surprise, nous avons également appris beaucoup de choses dans ce roman. L'autrice parvient avec brio à distiller des informations sur l'histoire de l'esclavagisme sans jamais forcer les choses, tout est fluide, limpide, reste agréable à lire. Pour notre plus grand plaisir.

Entremêlement du passé et du présent

Butler nous rappelle donc les horreurs du passé mais n'hésite pas, à l'instar de son héroïne, à opérer des allers-retours dans le temps pour nous parler également de la situation des noir.es dans l'Amérique des années 70, période à laquelle elle écrit son roman.

C'est aussi par sa modernité que Liens de sang nous a plusieurs fois bluffées. Certains dialogues nous ont paru encore terriblement d'actualité comme c'est le cas à la page 39 lors de la première rencontre de Dana avec Rufe où la question de la langue surgit :

" - Ta mère appelle toujours les Noirs des " nègres ", Rufe ?
- Ben oui, sauf quand elle a des invités. Pourquoi, il ne faut pas ?
Sa candeur me désempara. Ou bien il ne savait pas ce qu'il disait, ou bien il était mûr pour une carrière à Hollywood. Quoiqu'il en soit, il n'avait pas intérêt à continuer en ma présence.
" Je suis une femme noire, Rufe, pas une négresse. Souviens-t'en si tu dois m'appeler autrement que par mon nom.
- Mais...
- Ecoute, je t'ai rendu service, non ? [...]
- Oui.
- Très bien, alors fais-moi le plaisir de m'appeler comme j'ai envie qu'on m'appelle. ""Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 39.

La question de l'interacialité de son couple fait également surface un petit peu plus loin. On apprend brièvement le fait que sa famille comme celle de son conjoint ne semblait absolument pas approuver leur union. Ce qui, dans une Amérique ayant officiellement mis fin à la ségrégation raciale il y a de ça dix ans, n'a rien d'étonnant... Kevin et Dana sont loin de former un couple idéal à nos yeux cela dit. On a parfois eu du mal avec le personnage de Kevin. Il nous a, à plusieurs reprises paru en total décalage avec ce qu'était en train de vivre Dana. Son manque d'empathie à l'égard de sa conjointe qui n'encourt absolument pas les mêmes risques que lui nous a plusieurs fois déçues et fait nous demander s'il était de si bonne compagnie au présent également, finalement.

" Il fut le premier à parler : " Dire qu'il existe tant d'époques absolument fascinantes qu'on aurait pu visiter. "
Je lâchai un rire dépourvu d'humour. " Je ne vois absolument aucune époque à laquelle j'aimerais retourner. Mais de toutes, celle-ci doit être l'une des plus dangereuses - du moins pour moi. "

Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 130.

Et pourtant, tout au long du roman, Dana se battra pour maintenir un lien avec son conjoint. Non pas ceux du sang, mais ceux du cœur.

Sauver les liens de sang... et de cœur !

Dès son arrivée au XIXème siècle dans la plantation des Weylin, Dana fait la rencontre de l'un.e de ses ancêtres. C'est alors l'évidence même pour elle, elle a un rôle à jouer dans la survie de ses ancêtres. Pour que la descendance se poursuive, pour qu'elle puisse, plus d'un siècle plus tard, voir le jour.

" Etait-ce la raison de ma présence ici ? Assurer non seulement la survie d'un gamin irréfléchi, mais garantir aussi celle de ma famille, et ma propre naissance...? "

Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 46.

Elle tentera alors par tous les moyens d'avoir une influence sur le jeune Rufus, fils du propriétaire de la plantation dans laquelle elle vient d'atterrir et qui semble responsable de ses bonds dans le passé. Les liens de sang, c'est aussi à Rufus qu'ils l'unisse : à travers l'espace et le temps.

" En me hâtant de grimper les marches du perron, je songeai à Rufus et à son père, à Rufus devenant son père. Cela arriverait un jour. Un jour, Rufus deviendrait propriétaire de la plantation. Ce serait lui le propriétaire des esclaves, responsable de plein droit de la destinée de ceux qui vivaient dans ces cabanes à demi cachées. "

Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 115.

Mais au cours de ses voyages, ce sont aussi les liens du cœur que Dana tentera de maintenir coûte que coûte avec son conjoint, Kevin dans la mesure où ils deviennent tous deux " naufragés d'un autre siècle ". Les maintenir par le partage d'un même espace-temps mais également parce qu'elle ne peut effacer la crainte de voir son conjoint prendre goût, être aliéné par le système esclavagiste.... Et comme nous vous le disions tout à l'heure, quand on lit les trucs que dit parfois son conjoint, on comprend bien pourquoi !

" Le temps passa. Kevin et moi nous fondions de plus en plus dans le décor; nous acceptions et étions acceptés. Cela aussi me gênait. Nous semblions nous acclimater si facilement... Je ne souhaitais pas des ennuis, loin de là, mais j'avais le sentiment que nous aurions dû être plus récalcitrants au mode de vie esclavagiste. "

Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 165.

Car c'est bien d' un système aliénant dont nous parle Octavia Butler. Un système dégueulasse qui infiltre jusqu'aux jeux d'enfants s'amusant au " maître et à l'esclave "sous les yeux de nos protagonistes. Là encore, on ne peut être que surpris.es par la position de Kevin, beaucoup trop relax sur le sujet à mon goût !

" - Allons, Dana, ce n'était qu'un jeu d'enfants... Tu y accordes trop d'importance.
- Et toi, trop peu. Il ne s'agit pas d'un jeu d'enfants, mais de celui de toute une société. "

Liens de sang, Octavie E. Butler, Éditions Au diable Vauvert, 2021, p. 165.

En bref, Liens de sang est un roman d'Octavia Butler qui nous a à nouveau beaucoup plu par sa capacité à nous divertir tout en nous apprenant plus sur l'histoire de l'esclavagisme aux États-Unis. C'est un roman très prenant qui confirme notre grand intérêt pour l'œuvre de cette autrice et notre envie d'en lire encore plus ! Pas le coup de cœur ultime attendu mais une excellente lecture, c'est sûr ! Je suis vraiment pas du tout satisfaite du rendu final de cet article que je trouve brouillon, ne rendant pas honneur au roman d'Octavia Butler...
J'espère malgré tout qu'il aura su piquer votre curiosité, mettre la lumière sur cette autrice et je vous invite chaleureusement à lire l'article de l'Ourse si ce n'est pas encore fait !
Merci d'avoir pris le temps de lire cet article. N'hésitez pas à poster un commentaire si le cœur vous en dit et à la prochaine 🫡