Patrice Jean : La Vie des spectres

patrice jean, Patrice Jean est un écrivain français né à Nantes en 1966. Après des études de philosophie, il devient professeur de lettres modernes et se lance dans la littérature. La Vie des spectres son dernier roman vient de paraître.

Nantes. Jean Dulac, marié avec Doriane et un fils adolescent nommé Simon, est journaliste dans la presse régionale tout en s’évertuant à écrire le roman qui lui permettra de s’échapper de son job. Notre Jean n’a pas la vie facile, entre son épouse et ses copines qui le critiquent, l’une d’elles féministe féroce entreprend de le « rééduquer » et le fiston adolescent « révolutionnaire » … Fils qui se voit mêlé à une histoire de photos pornos d’une surveillante de son lycée divulguées sur internet par un de ses copains, copain bien vite tabassé pour venger la dame, mais le copain s’appelle Moussa et les tabasseurs seraient des fachos. L’affaire prend de l’ampleur, Jean écrit un article qu’il veut honnête et objectif pour son journal, scandale car pas assez critique contre les agresseurs (mais il a de bonnes raisons), sa femme ne veut plus le voir, son fils non plus, Jean délaisse le domicile familial et se réfugie dans un vieil appartement où il vécut dans sa jeunesse…

Résumé amorce, mise en bouche mais aussi exemple parfait illustrant la société actuelle. Une société que Patrice Jean va décortiquer en en montrant les multiples contradictions dans une critique acérée de notre époque. Je me suis régalé et extrêmement amusé avec ce roman aussi grinçant qu’ironique où « la caricature, de nos jours, court après le réel, un réel toujours en avance d’une connerie sur sa représentation romanesque. »

Le roman peut se voir en deux parties, celle où Jean vit avec sa famille puis celle où il sera seul dans cet appartement du passé où il revoit par la pensée ses amis d’alors, dont Ronan décédé très jeune, avec lequel il va discuter et philosopher lors de séquences oniriques, comparant le monde d’hier et celui d’aujourd’hui.

Le bouquin est tellement ancré dans la réalité qu’on a l’impression de suivre les actualités dans ses grandes lignes : féminisme outrancier, écolos, manifestations antifasciste, idéologies, presse et intellectuels de gauche aveuglés, rôle des médias, polémiques bidons, gloubi-boulga où tout et son contraire sont commentés sans arrêt, au grand désespoir de Jean qui finalement préfère les animaux, « enfin des êtres qui n’ont pas d’idées sur le monde ! » Jean ne comprend plus cette époque et tente d’en analyser les raisons, la perte de sens des mots (« Qui adopte le langage de son temps en embrasse aussi les poncifs »), les discours creux où les grands mots cachent le manque d’idées, les slogans faciles, les tics de langage (« Trop contente ! Trop contente ! »).

Pour son journal il doit rédiger des portraits de personnalités locales, mais son esprit acerbe rend son rédacteur en chef fou (d’une romancière il écrit « elle est inspirée par les lieux communs ! Lapalissade et Banalité sont ses muses ! »).

Avec un esprit subversif l’écrivain traite de l’isolement, Jean est à l’âge où l’on fait des bilans, la vieillesse n’est pas loin et les jeunes sont difficiles à comprendre (« La jeunesse est sans pardon. Elle puise dans son inexpérience la violence avec laquelle elle flagelle ses aînés »), bientôt ne resteront que les souvenirs et encore, que valent-ils ? Mélancolie… ; critique sociale ironique quand on en fait ressortir les contradictions, les nouvelles normes adoptées par la société. Pour Jean il ne lui reste plus qu’à « transformer mes contemporains en ectoplasmes : je suis réel, ils sont irréels. »

L’auteur égratigne aussi largement la littérature d’aujourd’hui, certains écrivains, les éditeurs, les lecteurs et ça vaut son pesant de cacahuètes ! J’arrête là car recenser tous les sujets abordés serait trop long.

Un excellent roman, très bien écrit, plein d’humour mais aussi sujet de réflexion.