Ilaria ou la conquête de la désobéissance

ZALAPI_ilaria

En lice pour le Prix Femina 2024
En lice pour le Prix Giono 2024

En deux mots
Quand son père vient chercher Ilaria à la sortie de l’école, la fillette est loin de se douter que leur escapade durera des mois. Un enlèvement et une cavale à travers l’Italie vont forger le caractère de l’enfant qui nous raconte ce voyage très particulier.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Le tour d’Italie avec mon père

C’est en se mettant dans la peau d’une fillette de huit ans que Gabriella Zalapì nous revient. Avec « Ilaria » l’autrice raconte la cavale d’un père avec sa fille à travers l’Italie des années 1980. Un roman d’apprentissage, une leçon d’émancipation.

Les parents d’Ilaria se sont séparés. Et malgré leur arrangement, l’heure des retrouvailles avec les enfants s’accompagne souvent de récriminations et de cris. Mais cette fois, c’est bien différent. Arrivé à Genève où son ex-épouse demeure, Fulvio, le père, embarque Ilaria et la conduit en Italie. Nous sommes en 1980, sa fille a huit ans et ne se doute pas qu’elle est victime d’un enlèvement. Elle découvre Turin puis Milan, Genova, Brescia, Alessandria et la Côte Adriatique, Trieste, Bologne tout au long d’un voyage qui n’en finit pas. Il faut dire que son père aime conduire, quelquefois même jusque tard dans la nuit. Les arrêts servent à faire quelques courses, à manger, à dormir et, de temps en temps, à se détendre et profiter d’une aire de jeu. Pour passer le temps en voiture, ils s’inventent des jeux, décodent les plaques minéralogiques, s’imaginent comment décorer leur maison… Si, au fil des jours, ils sont de plus en plus intimes, un sentiment d’ennui commence à s’installer. « Je veux aller à l’école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades, m’entrainer à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l’idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul. »
S’il se défend d’avoir kidnappé sa petite Princesse, son père reste vague quant à l’issue de leur road-trip. D’autant qu’il a trouvé une combine pour se renflouer. Après avoir entendu un homme raconter comment il avait pu récupérer sa montre oubliée dans le train, il va écumer les bureaux des objets trouvés des chemins de fer italiens et se faire remettre des tas d’objets, valises, bracelets, montres, sous des noms d’emprunt. Le coup semble imparable.
Les semaines puis les mois passent. Ilaria est inscrite dans un pensionnat, mais n’y fera pas long feu. Son père a repris la route, après Rome il descend vers Naples puis en Calabre. Près du détroit de Messine, ils seront victimes d’un accident et, sur les conseils d’un médecin, séjourner à Scilla pour leur convalescence.
Gabriella Zalapì a trouvé le ton juste pour raconter cette cavale, n’oubliant pas d’égrener les nouvelles transmises par l’autoradio, l’attentat de Bologne, la chape de plomb que font peser les brigades rouges sur le pays. Après Antonia (2019) et Willibald (2022), ce troisième opus nous mène à « la conquête de la désobéissance », comme le souligne le sous-titre du roman. Et c’est toujours avec ce même style épuré, ces phrases qui disent le ressenti avec justesse et qui laissent au lecteur un large espace de réflexion. Ilaria ne parlera, par exemple, jamais d’enlèvement pendant les deux années qu’elle passera finalement avec son père. Tout simplement parce qu’elle ne ressent pas la chose comme ça. Car elle comprend combien son père est malheureux de cette séparation et devine que sa mère ne supporte plus cet homme. Alors, petit à petit, elle se dit qu’il lui faudra peut-être tracer son propre destin. Un roman initiatique sur fond de crise du couple qui, une fois encore, frappe au cœur !

Signalons la rencontre & lecture organisée par la Maison de la Poésie à Paris le 9 octobre à 19h. Entretien mené par Sophie Joubert.

Ilaria
Gabriella Zalapì
Éditions Zoé
Roman
176 p., 17 €
EAN 9782889074112
Paru le 23/08/2024

Où ?
Le roman est situé à Genève puis en Italie, parcourue du nord au sud, de Milan à Gênes, de Brescia à Trieste, de Bologne à Rome, des Pouilles en Sicile.

Quand ?
L’action se déroule en 1980.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un jour de mai 1980, Ilaria, huit ans, monte dans la voiture de son père à la sortie de l’école. De petits hôtels en aires d’autoroute, l’errance dans le nord de l’Italie se prolonge. En pensant à sa mère, I’enfant se promet de ne plus pleurer. Elle apprend à conduire et à mentir, découvre Trieste, Bologne, l’internat à Rome, une vie paysanne et solaire en Sicile. Grâce aux jeux, aux tubes chantés à tue-tête dans la voiture, grâce à Claudia, Isabella ou Vito, l’enlèvement ressemble à une enfance presque normale. Mais le père boit trop, il est un « guépard nerveux » dans un nuage de nicotine, pense la petite. S’il la prend par la main, mieux vaut ne pas la retirer ; ni reculer son visage quand il lui pince la joue. Ilaria observe et ressent tout.
Dans une langue saisissante, rapide et précise, ce roman relate de l’intérieur l’écroulement d’une petite fille qui doit accomplir seule l’apprentissage de la vie.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Un dernier livre avant la fin du monde
Blog de Francis Richard


Gabriella Zalapì présente « Ilaria » © Production Éditions Zoé

Les premières pages du livre
« Mai 1980
À huit ans, j’aime sentir le haut de mon corps suspendu dans le vide, le contact de mes genoux repliés sur le métal. J’aime l’instant où je ferme très fort les yeux, lâche prise et laisse le vertige me traverser. Quand mes mains sont à plat sur le noir de l’asphalte, c’est que j’ai dépassé ma peur. Et là, l’image de ma gymnaste préférée, Nadia Comăneci, arrive. Elle a les bras grands ouverts. Victoire.
C’est en position « cochon pendu » que je passe mes récréations, que j’attends Ana, ma sœur. Ce matin elle m’a dit en partant, On se voit ici, et à l’heure hein ? Sinon je rentre seule à la maison. « Ici » c’est au pied de l’escalier, près de la barre de métal qui sépare le parking de la cour d’école.
Ilaria ! Descends de là ! Nous allons Chez Léon. Allez, viens !
Je reconnais la voix de Papa. Surprise, je soulève le pan de tissu de ma robe qui me cache la vue. C’est bien le bout de ses chaussures, c’est bien son ton impatient. Je fais une pirouette, retombe sur mes pieds, lisse ma robe.
Ana va arriver.
Non, non. Le programme a changé. Maman la prend à l’école et on se retrouve tous Chez Léon. Viens !
Je saisis sa main, elle est moite.
Depuis la séparation de nos parents et l’installation de Papa à Turin, nous nous voyons une fois par mois au restaurant. C’est Maman qui est à l’origine de l’idée. Elle préfère un endroit neutre. Elle dit qu’à la maison ils se disputent trop fort. Et c’est vrai que Chez Léon, ils se retiennent. Même si Papa serre les mâchoires et que Maman regarde au loin avec un air indifférent.
Non, Papa n’a toujours pas trouvé d’emploi. Quand il dit « non-pas-de-travail » sa voix est triste, fatiguée. Maman tourne un peu la tête pour cacher son sourire et Papa se met en colère. Il répète le mot « humiliation ». Heureusement le serveur arrive et pose sur la table des assiettes de filets de perches ou des coupes de meringues à la crème chantilly. Merci.
Après le dessert, Ana et moi sortons de table et sur la petite plage, choisissons des galets. Nous nous entraînons à faire des ricochets.
Tu as vu ?
Quoi ?
Papa a pris la main de Maman.
Pour aller Chez Léon, nous passons par le village de Hermance, traversons la frontière franco-suisse et continuons sur la route d’Yvoire. Papa a une BMW bleu marine, modèle 320 coupé.
Si tu vois une cabine téléphonique, dis-moi. Il allume une cigarette. Là ! Il s’arrête, descend de la voiture et sort des pièces de monnaie de la poche de son pantalon. Le dos collé à la vitre, les plis de sa chemise dessinent des V, des W. J’attends, baisse la vitre, laisse entrer un peu d’air. Le siège en cuir ne me brûle plus l’arrière des cuisses, il est même doux lorsque je le caresse avec la paume de ma main.
Dans la cabine, Papa parle fort, hausse la voix, se retourne. Nos regards se croisent. Il sourit, baisse les yeux. À sa façon de bouger les mains je devine son agitation. Son corps est raide. Ça m’inquiète. Quand il revient, il dit que Maman a changé d’idée et qu’elle n’a plus le temps de déjeuner. Nous passerons le week-end ensemble. Et l’école ? Tu louperas l’école juste quelques jours… Ce n’est pas si grave.
La voix de Papa est tranchante. Je calcule sur le bout de mes doigts : jeudi, vendredi, samedi, dimanche. Quatre jours. Et Ana ? J’aimerais protester mais quand Papa est nerveux, il vaut mieux se taire.
Il démarre brusquement et écrase sa cigarette d’un geste sec. Son front est couvert de sueur.
Tunnel du Mont-Blanc, frontière franco-italienne, voûtes des galeries, lacets du Val d’Aosta, mal de voiture. Nous nous arrêtons sous un ciel couvert d’une nappe grise. Le paysage est métallique. Je vomis au bord de la route, Papa me tend un mouchoir de coton blanc. Allons boire quelque chose, ça te fera du bien. Quelques kilomètres plus bas, au bar de la station-service, le visage de Papa est pâle. Ça doit être à cause de la lumière des néons. Il paye à la caissière deux tranches de pizza Margherita, un whisky, un café et une limonade. Je déteste la limonade mais ne dis rien, ma bouche est sèche.
Vous avez des jetons à me vendre pour le téléphone ?
Combien ?
Une vingtaine.
La caissière compte scrupuleusement les pièces jaunâtres et les tend à Papa.
La cabine est dehors, sur la gauche.
Ses ongles sont très longs et couverts d’un vernis très rouge. Je suis Papa.
C’est quoi ces jetons ?
J’en ai besoin pour appeler. En Italie, on ne peut pas mettre des pièces de monnaie dans les cabines.
Entre Genève et Turin, Papa passe plusieurs appels. Cinq au total. Dès qu’il voit une station-service, il s’arrête. Tu es contente de passer le week-end avec moi ? Tu as perdu ta langue ? À quoi penses-tu ? À rien.

Turin. Nous tournons longtemps pour trouver une place de parking et quand Papa pousse d’un coup d’épaule la porte de son immeuble, il a l’air soulagé. Je m’élance dans les escaliers. C’est à quel étage ? Au quatrième. Sur le palier, il cherche ses clefs. Tu vas voir ta chambre. Tu es contente ? Je dis oui. Oui, je suis contente. Écoute, Ilaria, il tourne la clef dans la serrure, Je dois te présenter quelqu’un dont je ne t’ai pas encore parlé, une certaine Geneviève. Qui est-ce ? La maîtresse de maison. Papa ouvre et pointe un mannequin inanimé, vêtu d’une robe noire avec une collerette de dentelle blanche et un chapeau. Il éclate de rire. Le visage de Geneviève est en sagex blanc, il n’a pas d’yeux. Allez ! Entre. Ta chambre est au fond, après la salle de bains.
Impatiente de la voir, je jette un rapide coup d’œil aux autres pièces et allume la lumière de ma chambre. L’espace est encombré par deux lits et deux commodes. Je m’approche du poster de Topolino. Mickey me regarde avec ses yeux en forme de tunnels. Papa reste sur le seuil de la porte.
Je n’ai pas encore trouvé de jolies lampes de chevet On pourra en acheter ensemble demain, non ? Si tu veux. En passant la main sur le tissu, je lui demande si ce sont les draps qui étaient à Florence. »

Extrait
« Je n’ose pas dire « non », je n’ose pas dire que je ne comprends pas, que je m’en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l’école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades, m’entrainer à la poutre et faire comme Nadia Comăneci. Je veux rentrer. Puis l’idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul.
Je le dévisage, m’assieds à côté de lui, pose ma tête sur son épaule et glisse ma main sous son coude. Papa me caresse la joue et la pince. Qu’est-ce qui te prend ma petite Princesse ? » p. 50

À propos de l’autrice
Ilaria conquête désobéissanceGabriella Zalapì © Photo DR

Gabriella Zalapì est plasticienne, d’origines anglaise, italienne et suisse, elle vit à Paris. Formée à la Haute école d’art et de design à Genève, elle puise entre autres son matériau dans sa propre histoire familial, reprenant photographies, archives, souvenirs et les agençant dans un jeu troublant entre histoire et fiction. Antonia (2019, Le livre de poche, 2020), son premier roman, a reçu le Grand prix de l’héroïne Madame Figaro et le prix Bibliomedia. Dans Willibald (2022), l’écriture précise et réduite à l’essentiel de Gabriella Zalapì peint les plis et les replis d’un homme dont la vie aussi tragique que romanesque a fait de sa famille la victime collatérale. Ilaria (2024) relate de l’intérieur l’écroulement d’une petite fille qui doit accomplir seule l’apprentissage de la vie. (Source : Éditions Zoé)

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