La jurée – Claire Jéhanno

Professeur dans un lycée de Chartres, Anna Zeller est tirée au sort pour devenir jurée en cour d'assises. Le procès auquel elle doit participer est celui d'un jeune couple accusé d'avoir tué par empoisonnement une dame âgée. En une semaine, les jurés doivent s'immerger dans cette histoire, se faire leur opinion et trancher, rendre justice. Une expérience troublante, dans laquelle Anna s'investit au point de voir resurgir son passé, dans lequel vingt ans plus tôt, elle a été obligée de changer d'identité.

Frédéric Gagneron et Lucile Moulin sont accusés d'avoir empoisonné la grand-tante de Frédéric, une femme qui a pris soin de lui comme s'il était son propre fils. Le mobile serait financier puisque le couple vit déjà plus ou moins au crochet de la vieille dame en logeant dans un appartement dont elle est la propriétaire. De plus, Frédéric a perdu son travail, Lucile a quitté le sien. La jeune femme souhaitait fonder une famille mais pour cela il faut de l'argent et l'héritage de la vieille dame ferait l'affaire pour subvenir à leurs besoins... Ces faits apparaissent presque comme une évidence mais Anna ainsi que d'autres jurés dont elle se rapproche au terme de la semaine, savent que " les évidences sont les miroirs les plus trompeurs ".

En effet, au fur et à mesure que se déroule le procès, Anna a des réminiscences lui venant de son enfance. Sa cousine, Aurore, a disparu aux abords d'un stade de foot alors qu'elle était enfant, et toute la famille en garde un profond traumatisme. Aurore n'a jamais été retrouvée. Que s'est-il passé ce jour là? La mémoire est une mécanique complexe et capricieuse que l'on peut espérer mettre à nue ou apprivoiser si les circonstances sont réunies pour cela. Progressivement, Anna se rapproche de la vérité, au grè des audiences et de sa compréhension de l'affaire pour laquelle elle est jurée.

Voilà un livre dont la proposition m'intriguait depuis longtemps : une immersion dans un procès en se plaçant du point de vue des jurés, avec en parallèle une enfance marquée par un drame, la disparition d'une petite fille. Ce premier roman est digne des éloges reçus, captivant et maitrisé, il aborde un sujet rarement représenté dans la littérature en nous rappelant que chacun de nous peut potentiellement devenir juré de cour d'assise, avec sa propre personnalité, son vécu et ses expériences. C'est une expérience à laquelle j'aspire, que j'imagine profondément enrichissante et ce roman m'a confortée en ce sens. Il faut avoir pleinement conscience de la responsabilité que cela implique, mais cela semble être également un don de soi, c'est l'impression que j'en ai en tous cas après avoir lu ce roman... Se méfier des préjugés, des à priori, des évidences car entrer dans l'intimité d'un procés, c'est connaître les détails intimes de la vie des protagonistes, faire appel à de l'empathie tant pour les victimes ou que pour les accusés s'il est possible. Il faut puiser dans sa propre expérience, se fier à son intime conviction: l'évènement vécu par Anna vient interférer à bon escient dans sa décision de verdict non pas pour lui nuire mais pour l'éclairer. Il s'agit d'un premier roman brillant et passionnant.