En deux mots
C’est du cimetière où il vient d’être inhumé qu’Ange – ou plutôt son âme – regarde le monde. Il converse avec les défunts, à commencer par son père, et en apprend de belles. Mais au-delà des chroniques de cimetière, il entend s’adresser à Mina, la fille qu’il a trop négligée de son vivant.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Les chroniques du cimetière
Ange vient d’être enterré. Désormais son âme s’élève au-dessus du cimetière pour regarder le monde. Virginie Ducay a choisi de faire parler les morts dans ce roman où les secrets de famille se mêlent aux regrets et à une tentative de réconciliation d’un père avec sa famille. Original et émouvant.
Une fois accepté le postulat qui structure ce roman, la vie des âmes après la mort, et de ce fait enregistré le fait que « des milliards d’âmes vagabondent ainsi dans l’univers, hantent les lieux où nous avons vécu, visitent l’esprit et les songes de nos parents, enfants, amis, amours, les protègent, les guident », on suivra avec plaisir les confessions de celui vient d’être inhumé après une longue agonie sur un lit d’hôpital. Ange, le bien-nommé, s’adresse à sa fille Mina pour lui dire ses regrets et l’assurer que son amour persiste au-delà de la mort.
Il n’a certes jamais été un homme parfait, loin de là. Maintenant qu’il a l’éternité devant lui, il peut bien avouer ses frasques, revenir sur sa vie dissolue, raconter comment il a rencontré Christine. Et comment un regard a suffi pour lui faire oublier toutes les femmes conquises avant elle. « Deux jours plus tard, elle venait s’installer chez moi, bousculait pour mon plus grand bonheur mes habitudes de célibataire endurci, transformait sans crier gare mon antre solitaire en un nid douillet dans lequel je me sentis renaître. La baise, les clopes et la bibine à toute heure, en voilà une qui ne pouvait que me comprendre et me combler. »
Si c’est dans ce sentiment euphorique qu’est née Mina, très vite l’instinct du chasseur a repris le dessus. L’envie de séduire a été la plus forte, même si en vérité c’est bien lui qui aura été piégé. Il va abandonner Christine et sa fille pour une nouvelle femme et son fils.
Oh, il a bien essayé de faire une place à Mina, mais la fillette a bien compris qu’elle n’était pas la bienvenue. Les pages de son journal intime ne laissent du reste aucun doute sur ses sentiments vis-à-vis de cet homme qui l’a abandonnée.
Défaillant et si peu responsable, Ange mêle son histoire familiale à ses regrets et s’interroge : « Peut-on donner de l’amour quand on n’en a pas reçu ? Quel homme ne suis-je donc pas devenu ? » En retrouvant père et mère, il va pouvoir chercher des réponses. Il va aussi pouvoir assister à la profanation de la tombe de Bonneuil après le suicide de ce dernier et découvrir quelques secrets de famille.
Si Virginie Ducay s’amuse et nous amuse avec ce dispositif narratif original, son second roman est avant tout empreint de gravité. Autour des questions de paternité, elle explore la complexité de la relation parents-enfants, cherche dans les non-dits toutes les causes d’incompréhension et dans les années de silence et d’éloignement l’amour qui reste. La tragédie vient alors recouvrir les scènes de comédie, quand les regrets deviennent éternels.
« Les morts ne dorment pas. Les morts errent l’âme en peine dans un espace infini, atemporel, entre les roches moussues, les forêts profondes, les collines floues. Dans les rues grises, portés par les oiseaux et les vents. Les morts ressassent des regrets éternels. Les morts ne versent pas de larmes ni n’éclatent de joie. Les morts paient pour leurs erreurs passées, le cœur pourri de honte. Les morts ne peuvent pas oublier. »
Pour toi, Mina
Virginie Ducay
Éditions La Part Commune
Roman
144 p., 17,90 €
EAN 9782844185075
Paru le 21/08/2024
Où ?
Le roman est situé dans un village qui n’est pas précisément situé.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Nous sommes des milliards d’âmes à vagabonder ainsi dans l’univers, hanter les lieux où nous avons vécu, visiter l’esprit et les songes de nos parents, enfants, amis, amours, les protéger, les guider. Les hommes parlent de coïncidences, de hasard là où les événements ne sont que la manifestation de notre présence volatile.
De notre amour. »
Dans une lettre adressée à sa fille Mina, Ange, un père défunt, outre une tentative de rédemption, nous offre la chronique du petit cimetière de campagne où il repose.
Un texte noir et lumineux, une danse macabre drôle et ironique autour de la masculinité, la paternité, et l’amour, toujours. Une invitation à méditer sur la mort, ou, comme l’écrit François Cheng, « autrement dit sur la vie ».
Après le succès de son premier roman Attendre Anna, Virginie Ducay revient avec un deuxième roman détonant, Pour toi, Mina, dont les mots sont plus que jamais empreints d’émotion et d’urgence. Une écriture virevoltante et exquise.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« Prologue
Il fallait bien t’offrir un tombeau. Planter la bêche dans le sol détrempé de ce mois de novembre, soulever la terre, creuser la fosse, le dos courbé, les yeux secs, pelletée après pelletée, patiemment, sans se poser plus de questions, en prenant le temps. T’ouvrir un berceau d’argile et de granit sur la colline qui surplombe notre village pour y enfouir ta mémoire, mes souvenirs de toi, ta folie et ce qui me reste de sidération et de colère. Puis écrire ton nom pour que ceux qui t’ont connu ne t’oublient pas tout à fait. Pour que je ne t’oublie pas. Ce nom que tu m’as donné, que tu as souillé, que tu as déshonoré et que j’ai gardé tant bien que mal, plutôt mal que bien, unique vestige de notre paradis perdu. Peut-être ne mérites-tu pas tant d’égards, c’est vrai. Tu n’en demeurais pas moins un homme, simplement un homme. Et ce besoin d’une trace, autre que toutes ces cellules qui me constituent et me rappellent à toi à chacun de mes pas. Plus qu’un lieu où me recueillir — ce que je ne ferai probablement pas —, l’idée qu’un peu de toi subsiste sur cette terre où tu as vécu, une façon de me consoler et tenter de panse : bonne fois pour toutes mes blessures.
Quelqu’un me disait récemment que je te cherchais encore, que je n’en avais pas fini avec toi, que je n’en aurais jamais fini. C’est bien mal me comprendre. Cela fait des années que je ne t’attends plus, ne t’espère plus. Que j’ai renoncé à ce que tu ne pouvais décidément pas me donner. Il m’en a fallu du temps, c’est vrai, plus de la moitié de ma vie, mais la douleur finit toujours par avoir raison des espérances les plus infimes, aussi modestes fussent les miennes.
Parce que je n’avais pas le choix. Tu ne m’as pas laissé le choix.
Ma grande,
C’est aujourd’hui ton quarante-deuxième anniversaire et je suis mort depuis longtemps. Je t’écris du fond de ce carré de terre sur les hauteurs du village où l’on a déposé mes cendres, mes os réduits à un sable grossier enfermé dans une urne en carton, à même l’argile humide dans laquelle ils finiront par se dissoudre, si bien qu’aucune trace de mon corps ne subsistera bientôt. À l’exception peut-être de mes empreintes sur ma montre, quelques meubles, mon vieux fauteuil en cuir, mes livres, la tête en bois sculpté de roses anciennes de mon lit, l’assiette en porcelaine de Limoges avec ses chatons peints à la main que je t’avais offerte, et puis mes lettres, les as-tu gardées ? Les carnets où j’écriais chaque jour, le stylo-plume qui ne quittait pas la poche de ma chemise, et mon fusil bien sûr… J’ignore ce que tout cela est devenu, si Christine a conservé mes affaires ou si elle s’en est séparée. Je sais qu’elle ne t’a pas donné mes journaux intimes ainsi qu’elle te l’avait promis ni les cahiers que j’ai noircis pendant toutes ces années et qui m’ont aidé à supporter ma putain de vie. J’espère seulement qu’ils existent encore, qu’elle ne les a pas détruits et que tu auras tôt ou tard la possibilité de les lire. J’aimerais tant, aujourd’hui, te faire ce cadeau, ma chérie. Ces mots ne répareront pas, hélas, le mal que je t’ai fait, mais peut-être mettront-ils un peu de baume sur tes blessures et t’aideront-ils à poursuivre plus sereinement ton chemin.
La vue de mon coin est magnifique. Un étroit sentier forestier bordé de chênes centenaires grimpe jusqu’au cimetière, qui surplombe la vallée. La rivière serpente paisiblement entre les collines verdoyantes, semées çà et là de toutes petites maisons blanches d’où s’échappent, en hiver, des volutes de fumée. Ma tombe est marquée d’une stèle en granit sur laquelle Christine a fait graver mes initiales, rien de plus. Je crains que les intempéries ne finissent par les effacer, mais si tu viens par ici un jour, tu n’auras aucun mal à la trouver. On m’a mis à droite du portillon, presque en face de mon pauvre père et ma saleté de mère. J’aurais préféré, ainsi que je l’avais demandé, qu’on me disperse dans les bois que j’ai tant de fois arpentés ou au-dessus des gorges de la rivière, mais le croque-mort a refusé. Christine et son fils ont eu beau insister, mais elle n’a pas eu le droit de le faire sans ton accord. Ne crois pas que je t’en veuille pour cela, je comprends très bien pourquoi tu as préféré rester chez toi ce jour-là. Je n’ai pas à me plaindre, il y a des morts moins bien lotis.
Bien sûr, tu aurais préféré un enterrement. Le spectacle du sapin qui lentement pénètre dans le four et qu’avalent e flammes est insupportable. Mais je sais qu’en choisis d’être brûlé, j’épargnais aussi ton imagination mo des images de lente putréfaction qui t’ont toujours h la peau sous le tissu qui noircit, se craquelle, se détache, finit par tomber puis disparaître ; les organes métas dévorés par les vers ; le visage qui pourrit, la crête du les orbites creuses des yeux, le sourire immense des dents noires de nicotine, la mâchoire, si présente qu’on pourrait croire qu’elle va bouger ; et les ongles et les cheveux, du moins ce qu’il en reste après des mois de chimio, qui repoussent, vivants encore ; les pétales de rose désagrégés entre les doigts croisés sur la cage thoracique tuméfiée, l’alliance qui pend à l’angle de sa phalange, la lettre qu’on a glissée sous le linceul, le papier moisi, des taches noires en place des mots. Oui tu aurais aimé cela, imaginer ton père dans cet état, de semaine en semaine jusqu’à ce que la vermine eût englouti mes viscères et ma peau. Non, je n’aurais pas supporté ton intrusion fantasmée dans mon intimité de cadavre.
Il faut dire que j’en avais assez de ce corps qui n’en finissait pas de se réduire, pourrissait de l’intérieur depuis des mois, jusqu’à ne plus devenir qu’une fine enveloppe de peau jaune, par endroits translucide, sur mes vieux os.
Les gens qui venaient me voir à l’hôpital n’osaient pas me dire à quel point j’avais changé. La mort avait déjà fait les trois quarts du boulot, je ressemblais à un squelette. Et les bas noirs dont on m’enveloppait les jambes pour soulager la douleur ne faisaient qu’accentuer ma maigreur. Moi, je le voyais bien que je n’en avais plus pour longtemps. Chaque jour mes forces s’amenuisaient. Les derniers mois, je ne pouvais même plus tenir assis dans mon lit. Je sentais mauvais malgré les soins des infirmières, l’appétit m’avait déserté, ma vue s’était brouillée, une pellicule de peau blanchâtre recouvrait mes yeux et parler exigeait un effort considérable. J’en étais arrivé, bien avant qu’elle ne vienne me chercher, à la souhaiter cette faucheuse tant redoutée. Alors il était logique que le feu purificateur terminât l’entreprise de destruction de la saloperie que j’avais été ma vie entière, le tabac, l’alcool, tout cet immense ratage ayant depuis longtemps ouvert la voie.
Je m’étais imaginé tout un tas de choses terrifiantes. Qu’une fois le corps disparu, il ne reste plus rien. Simple retour au néant, sans souvenir, sans conscience, sans regret. Toutes ces fantaisies de vies antérieures et de réincarnation dans le seul but de réparer ses conneries, l’âme qui quitte le corps, va se balader dans l’univers puis rencontre une nouvelle enveloppe à animer, foutaises ! Quel étonnement alors, après quelques jours passés sous terre, de voir mon esprit, intact, se séparer de mes cendres, remonter à la surface, traverser les éléments et hanter à sa guise les allées du cimetière ! Moi qui pensais l’avoir vendu au diable et passé ma mort en enfer, le voilà qui échappait à mon contrôle, errait librement d’une tombe à l’autre, s’accrochait aux branches les plus hautes des cyprès, aux faîtes des maisons et même au coq du clocher de l’église. Petit à petit — je ne peux dire en combien de temps puisque le temps n’existe plus dans ce monde -, je me suis rendu compte que mon âme pouvait se déplacer bien plus loin, franchir les collines, survoler les maisons, comme dans ces rêves où l’on devient oiseau. Ainsi, poussé par quelque force obscure, je peux errer en maints endroits et observer les vivants, mais il m’est impossible de communiquer avec eux. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une vie post mortem, plutôt d’une autre façon d’être, alors que je ne suis plus.
Nous sommes des milliards d’âmes à vagabonder ainsi dans l’univers, hanter les lieux où nous avons vécu, visiter l’esprit et les songes de nos parents, enfants, amis, amours, les protéger, les guider. Les hommes parlent de coïncidences, de hasard là où les événements ne sont que la manifestation de notre présence volatile. De notre amour.
Tandis que nos reliques sont visitées, de temps en temps, par ceux qui nous ont aimés et qui n’en finissent pas de pleurer sur nos tombes. Ils poussent le portillon en fer forgé, se promènent, bien vivants, les yeux grands ouverts, dans les allées, entre les blocs de marbre. Lisent des noms, des dates. Regardent les portraits fanés dans les médaillons, les arbres, les statues, le chat qui passe. Le gravillon crisse sous leurs pas, des oiseaux invisibles se taisent à leur passage. Ils écoutent notre silence, parfois nos voix ressurgies du fond d’eux-mêmes, ou d’ailleurs peut-être. Ils s’agenouillent, s’assoient, posent la main, ou restent debout. J’en ai vu qui s’allongent même sur la pierre tombale, la serrent fort comme le corps d’un amant. Ils prient ou pas, parlent, sanglotent, se taisent. Ils apportent des fleurs, des objets, des galets ou rien du tout. Ils pensent à tout, à rien, à leur vie, à celle qui fut la nôtre aussi. Ils font un vœu. Parfois ils déposent une lettre ou un morceau de papier sous une plaque ornée d’oiseau, rose, vélo, ballon de foot, papa, maman frère ami, de jolies phrases, de tendres mots auxquels nous ne répondons pas parce qu’on n’écrit pas au pays des morts qui restera là. Caché. Secret.
L’amour est immortel.
Extraits
« — Alors à ta santé, Ange ! Et à notre rencontre, ajouta-t-elle en soutenant mon regard.
Il ne m’en fallut pas davantage pour tomber amoureux. Deux jours plus tard, elle venait s’installer chez moi, bousculait pour mon plus grand bonheur mes habitudes de célibataire endurci, transformait sans crier gare mon antre solitaire en un nid douillet dans lequel je me sentis renaître.
La baise, les clopes et la bibine à toute heure, en voilà une qui ne pouvait que me comprendre et me combler. » p. 52
« Les morts ne dorment pas. Les morts errent l’âme en peine dans un espace infini, atemporel, entre les roches moussues, les forêts profondes, les collines floues. Dans les rues grises, portés par les oiseaux et les vents. Les morts ressassent des regrets éternels. Les morts ne versent pas de larmes ni n’éclatent de joie. Les morts paient pour leurs erreurs passées, le cœur pourri de honte. Les morts ne peuvent pas oublier. » p. 133
À propos de l’autrice
Virginie Ducay © Photo DRVirginie Ducay trouve son inspiration dans les œuvres de Mary Shelley, des sœurs Brontë ou encore de Virginia Woolf. Ses nouvelles et ses romans questionnent la fragilité humaine, l’indicible, l’amour et la folie. Originaire de Corrèze, elle vit en Bretagne. Après le succès de son premier roman, Attendre Anna, Virginie Ducay revient avec un deuxième roman détonant, Pour toi, Mina. (Source : Éditions La Part Commune)
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