Prix littéraire « le Monde » 2024
En deux mots
Emma Fulconis aime courir sur les sentiers de l’arrière-pays niçois. La championne en herbe voit sa carrière s’achever quand elle est attaquée par le chien d’un ami. Revenue au village, après hospitalisation et rééducation, elle comprend que son drame s’inscrit dans une histoire plus ancienne, quand les harkis ont rejoint la France.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
La course de sa vie
Dans « L’agrafe », Maryline Desbiolles met en scène une jeune femme courant dans l’arrière-pays niçois. Victime d’un accident, elle va mettre un terme à une prometteuse carrière d’athlète et se replonge dans la chronique familiale. Un puissant roman d’émancipation.
Très jeune Emma Fulconis a montré des prédispositions pour la course à pied. C’est simple, au village on ne l’a jamais vue marcher. Elle gambadait, volait, courait. Alors sa mère l’a inscrite au club d’athlétisme de Nice où elle a fait merveille, accumulant les podiums et les médailles, autant dans les concours que dans les courses de sprint. Mais ce qu’elle préférait, c’était parcourir la campagne autour de son village de L’Escarène, dans l’arrière-pays. Plusieurs fois sur son chemin, elle a croisé le fils Goiran. Un jour il lui a fait écouter la musique qu’il aimait, celle de Christine and the queens. Cela l’étonnée, mais l’aussi rapprochée de Stéphane. Aussi, le jour où il l’a invitée à la maison, elle a immédiatement accepté. Mais à peine entrée dans la maison, le chien des Goiran a attrapé sa jambe et l’a broyée. « Des petits morceaux d’os se sont éparpillés et fragmentés sous les crocs du chien. Il faut envisager une reconstruction complète du fût osseux par vis et cerclages, Sale fracture ouverte qui nécessite une opération d’urgence » et une longue rééducation. Après trois mois d’hospitalisation, suivie de séances à l’hôpital de jour de Vence, elle peut retrouver les siens, désormais claudicante. « Sa jambe gauche ne sera plus jamais intègre. Le chien a été euthanasié, le père de Stéphane sera reconnu responsable du dommage que l’animal a causé et condamné à indemniser la victime. »
Alors il est temps de revenir sur cette phrase prononcée par le père Goiran le jour du drame, « Mon chien n’aime pas les Arabes ». Alors il est temps d’interroger l’oncle Akim, renommé JP, quand il est arrivé en France avec sa famille, passant avec les autres harkis d’un camp à l’autre avant de s’installer à L’Escarène. Alors, il est temps de revenir sur le lynchage perpétré là. Alors, il est temps de partir, de quitter cet endroit chargé de drames.
Il fallait toute la poésie et le sens de la formule, de Maryline Desbiolles, allant chercher jusqu’à la racine des mots, pour faire de ce roman une course vers l’émancipation. Face au racisme et à la xénophobie, Emma va faire une force de sa différence. Et de sa volonté inébranlable un chemin vers la liberté. Avec la grâce d’une ballerine, la voilà en route vers une nouvelle vie.
L’Agrafe
Maryline Desbiolles
Sabine Wespieser Éditeur
Roman
152 p., 18 €
EAN 9782848055377
Paru le 29/08/2024
Où ?
Le roman est situé dans l’arrière-pays-niçois, à L’Escarène, ainsi qu’à Nice, Vence et Lyon. On y évoque aussi Tazmalt en Kabylie puis le camp du Larzac et de Rivesaltes.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Emma Fulconis : on ne voit qu’elle à L’Escarène, dans cet arrière-pays niçois où elle est née. Prompte, rebelle, elle a toujours galopé dans les collines. Enfant, on la surnommait « l’athlète ». Mais un jour, sa vie bascule : son ami Stéphane Goiran, avec qui parfois elle écoute de la musique lors d’une halte, l’invite chez lui. Là, à peine la porte franchie, un chien énorme se jette sur elle, et lui lacère le péroné, également appelé « l’agrafe ». S’ensuivent des mois d’hôpital et de rééducation, à l’issue desquels il est clair qu’Emma ne courra plus jamais.
L’accident ne l’arrête pas dans son élan. Hantée par la phrase du père Goiran expliquant pourquoi il n’a pas retenu son molosse – « Mon chien n’aime pas les Arabes » –, elle tente de comprendre ce qu’elle sait déjà, mais dont on ne parle pas. Tenace, elle va surtout trouver en elle la ressource d’un nouveau mouvement.
Il fallait le talent de Maryline Desbiolles pour nous mener, au rythme même de la course empêchée d’Emma, sur le chemin d’une aveuglante réalité : celle d’un pays où les blessures de la guerre d’Algérie sont tapies dans les mémoires. Pour autant, même boiteuse, exhibant crânement sa cicatrice, jamais Emma Fulconis ne cessera d’aller de l’avant, exerçant sur nous, de son invraisemblable grâce, un charme puissant.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France Culture Le Book Club
France Bleu (Toujours à la page)
Podcast Rentrée littéraire CDE (Présentation de Sabine Wespieser, extrait lu par l’autrice)
Les premières pages du livre
« ON NE VOIT QU’ELLE
On ne voit qu’elle. Même très petite, de loin, à l’assaut dérisoire de la pente. Minuscule battement dans l’après-midi étincelant du mois de janvier. Ce début d’après-midi, épinglé de lumière, qui pourrait ne jamais finir. Argenture des collines dont la marne grise s’effrite sous les chaussures, herbes sèches mordues par le gel qui crépitent dans le pré, ruisseau brillant comme une aiguille au fond du ravin : par exception, il a plu un peu la veille. On ne voit qu’elle. On l’a vue si souvent courir par ces travers que d’abord on la voit courir quand bien même c’est impossible. Elle se déplace, c’est entendu, et assez vite, mais d’une manière saccadée, capricante. Une vraie chèvre désormais plutôt que le cheval qu’elle fut, il n’y a pas si longtemps, et étrangement plus accordée, ainsi boiteuse, à ce territoire heurté, ses dénivellations brusques.
Vu d’ici, d’un peu haut, tout le paysage converge vers elle, petit point claudicant, vif-argent, comme si la brillance de ce début d’après-midi y était condensée et portée à incandescence. Le petit point claudicant pourrait fusionner avec le paysage s’il ne le détraquait pas plus encore. S’il ne le blessait pas, serait-on tentés de dire, comme on sait de quel malheur procède cette boiterie.
Toujours, on l’a connue qui courait. Notre mémoire nous joue des tours, on exagère, mais il nous semble qu’elle ne marchait jamais comme vous et moi, qu’elle ne pouvait circuler qu’à toute allure, qu’elle ne pouvait faire autrement que débouler, pourvue à la naissance de sandales ailées ou, carrément, de petites ailes vissées aux tendons d’Achille, pas des ailes de famille, son frère n’en est pas pourvu, son frère cadet qui avait été un bon gros bébé, puis un enfant placide qui regardait sa sœur avec des yeux ronds. Ce n’est pas qu’elle soit sèche ni anguleuse quant à elle, mais prompte, vive, virevoltante, et même depuis l’accident. Elle disait qu’elle aimait le vent. Souvent elle se cabrait, mais au vent elle consentait. Ce n’est pas un pays de vent.
Tout juste des reliquats de vents, des vents modestes, petit sirocco, petit vent du sud, un mistral de rien du tout, parfois le levant, au pire la tramontane, rare, mais glacée, qui peut apporter la neige. Ce n’est pas un pays de vent. Elle l’attendait d’autant plus. Le vent la faisait rire. Au moindre battement de volet, elle sortait en trombe de la maison, secouait sa crinière de cheval et hennissait dans le vent. C’est peut-être le vent qui lui a donné le goût de galoper. Elle a gardé le goût, elle a gardé l’ardeur, elle s’échine dans la broussaille, elle se taille un chemin comme un qui fend du bois, même si elle a mal, ce qu’elle ne supporte pas, ce qui la met en rage, elle ne prend pas son mal en patience, la douleur ne lui fait gagner aucun ciel, la douleur lui a juste arraché ses ailes de naissance, et on l’entend jurer et pousser des grognements qui n’ont rien d’angélique, plutôt ceux des bêtes à soies et à sabots qui fouissent le sol de leur boutoir. Les anges sont à l’église Saint-Pierre-ès-Liens, la ribambelle d’anges bleus de la crèche toujours exposée bien après Noël et l’Épiphanie, comme oubliée dans un coin, mais qui s’éclaire encore quand on s’approche, pas souvent, l’église est vide, démesurément vide, démesurément baroque, on est déjà en Italie. L’église est somptueuse, mais ne couronne pas le village tout en viaduc, ponts et surplombs, la frontière est suspendue, elle vacille bien plus que les ouvrages d’art. L’église ne couronne pas, elle est dans le creux qui pourrait avoir été imaginé comme le purgatoire, ou du moins l’accalmie de L’Escarène. Toponyme qui lui va comme un gant, mais répandu dans le Sud-Est, et désigne l’arête, la partie la plus raide de la montagne, à laquelle on accède comme par les degrés d’une échelle. Scala, scarena, Escarène. La route du col de Nice est ici l’échelle.
Les lacets nombreux et la bascule vers le village.
On ne voit qu’elle, mais rien n’est caché par elle, ni renvoyé au flou de l’arrière-plan. Elle, le petit point qui s’agite dans la broussaille et contient non seulement le flamboiement du paysage mais les coups tordus.
Emma Fulconis donc, que le nom tellement d’ici
n’enracine pourtant pas, jamais, de moins en moins, elle qui semble à chaque pas se tirer du bourbier, la jeune Emma Fulconis, vieille de sa blessure et l’éternité des mois passés à l’hôpital, elle qui fut notre gloire locale et surnommée l’athlète, sobriquet qui pourrait continuer de lui aller, et peut-être mieux encore, comme le mot grec dont il vient, athlos, signifie lutte, combat, épreuve, mais personne n’ose désormais le lui lancer, tout juste si on ose lui lancer un regard ou, à la lettre, risquer un œil. Comment voir à nouveau ce qui fut quasi transparent, presque invisible, le corps parfait de l’athlète, de tout athlète, le corps qui ne la distinguait en rien de l’ensemble des athlètes. Comment voir ce qui la rend à présent si particulière, si douloureusement particulière, la jambe qu’elle ne cache pas, dont elle ne nous épargne pas la vue, continuant de porter shorts et jupes, la jambe couturée, réduite à sa plus simple expression, la peau et les os, le tibia et l’agrafe, la fibula appelée naguère le péroné, la jambe massacrée et la démarche qui en résulte, le pas chassé, si on veut, si on veut mettre des mots acceptables sur ce qui est si gauche, si contrefait.
On ne voit qu’elle. Le petit point en lequel se focalise le paysage ou, c’est selon, qui s’étend au paysage, le remplit, de sorte qu’il suffirait de crier dans la combe ou juste de prononcer le nom d’Emma Fulconis.
EMMA FULCONIS
pour qu’apparaisse le petit monde, ce bout de territoire en général et en particulier, en bloc et en détail, blessures, lumière, chatoiements du maquis, arbres maigres, chants des oiseaux, bruissements des insectes. Lumière grandissante, bientôt intenable, tandis que
se rabougrissent les arbres et diminuent le nombre des insectes. »
Extrait
« NOM FÉMININ, du latin fibula, agrafe, péroné ancienne nomenclature, os long et grêle qui face externe du tibia et assure la stabilité de la cheville. Le tibia et le péroné. Le tibia et la fibula. fibula est l’os que le chien des Goiran a broyé en attrapant la jambe d’Emma Fulconis qui tentait de s’échapper. Sale fracture. Fracture esquilleuse. Des petits morceaux d’os se sont éparpillés et fragmentés sous les crocs du chien. Il faut envisager une reconstruction complète du fût osseux par vis et cerclages, Sale fracture ouverte qui nécessite une opération d’urgence.
Cette nuit-là, on n’y était pas. Bien sûr qu’on n’y était pas, On n’est même pas allés la voir à l’hôpital où elle est restée trois mois, jamais, aucun d’entre nous, pas même Stéphane Goiran, qui devait avoir honte ou qui était lâche, sans doute les deux à la fois. » p. 43
À propos de l’autrice
Née en 1959 à Ugine, Maryline Desbiolles vit à Nice. Elle est l’autrice d’une œuvre importante, publiée jusque-là dans la collection Fiction & Cie au Seuil. Elle a été révélée au public avec La Seiche (1998), bientôt suivi d’Anchise (prix Femina, 1999). En 2022, son roman Charbons ardents a remporté le prix Franz-Hessel.
Elle a rejoint le catalogue de Sabine Wespieser éditeur en mars 2023, avec le très remarqué Il n’y aura pas de sang versé, suivi en 2024 par L’Agrafe.
Dans l’intervalle, Sabine Wespieser, dans un souci de politique d’auteur, et à l’occasion de l’exposition « Entre les lignes » au MO.CO (Montpellier Contemporain) a publié Paysage au hangar, une conversation au long cours de Maryline Desbiolles avec le sculpteur Bernard Pagès.
L’autrice, sollicitée par le MO.CO en même temps que quatre autres écrivains (Jakuta Alikavazovic, Christine Angot, Jean-Baptiste Del Amo et Daniel Rondeau) a en effet choisi de montrer Pagès et a intitulé sa partie d’exposition « Paysage au hangar ». C’est dans le « paysage au hangar », au lieu-dit La Fontaine de Jarrier, dans l’arrière-pays niçois, que les sculptures de Pagès se font et où elle-même écrit ses livres. (Source : Sabine Wespieser Éditeur)
Page Wikipédia de l’autrice
Compte LinkedIn de l’autrice
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