Un village caché dans les montagnes près du lac Sevan en Arménie. Il a été fondé par Perdj et son neveu Harout pour échapper aux massacres ottomans de 1896 avant de devenir un refuge pour les rescapés du génocide de 1915. Harout, pêcheur de son métier, est le chef du village, un homme droit et intègre, le seul à connaître le chemin pour sortir du village, aller à la ville pour commercer et en revenir, c’est vers lui qu’on se tourne pour résoudre les problèmes et c’est lui qui applique ses lois qui peuvent être sévères.
De nouveaux rescapés échouent au village avec parmi eux, Nakhchoun, une très belle jeune femme enceinte. Elle a été violée par les Turcs (« Ils avaient violé la chanteuse vierge du monastère des Saints Apôtres de Mouch sur la route qui menait de Van à Erevan ») et ça créé des remous et des tensions dans la communauté : son futur enfant sera l’enfant d’un ennemi ! Cet enfant doit-il vivre ? Et cette Nakhchoun comment peut elle endurer ce déshonneur et s’autoriser à vivre ? L’intransigeant Harout semble compréhensif ici, ce qui n’est pas dans ses habitudes…
Un très beau roman basé sur le contexte historique des souffrances subies par les Arméniens : « A la fin du XIXe siècle les Turcs se livrent aux premiers massacres contre le peuple arménien (1894-1896) faisant entre 80 000 et 300 000 morts. En avril 1915, le gouvernement Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman décide d’en finir avec la minorité arménienne vivant dans l’actuelle Turquie et organise déportations et massacres où périssent entre 1 200 000 et 1 500 000 Arméniens, perpétrant ainsi un génocide qui est souvent considéré comme le premier du XXe siècle. » [Wikipédia]
Le livre est superbe car il est magnifiquement écrit, poétique avec une ambiance très particulière qui mêle le récit proprement dit aux contes et pratiques culturelles locaux. Pour le dire autrement, il risque de déplaire à ceux qui aiment les romans très carrés avec des histoires clairement énoncées. Si le roman repose sur les souffrances, les plus sensibles peuvent néanmoins le lire, elles sont discrètement évoquées et sans s’appesantir.
Un roman où il est question de survie et de résistance avec ce village-sanctuaire mais où la cohésion de la communauté n’est pas une mince affaire. Ici on peut envisager une nouvelle vie mais sans oublier pour autant son passé, ses racines. Un passé lourd de traumas.
PS : les termes arméniens auraient mérité une traduction en bas de page, mais rassurez-vous ils n’empêchent pas la compréhension du texte.
« Oui, les rescapés vivaient longtemps ici, comme s’ils avaient oublié de mourir, comme s’ils le faisaient exprès pour que la terreur subsiste au village. La vie les abandonnait, mais la terreur jamais. Comme un chien fidèle, elle s’accroupissait auprès d’eux, léchait leurs mains et se frottait contre leurs pieds. Même lorsqu’ils n’étaient plus, même si les portes de leurs maisons étaient closes, cela ne changeait rien, la terreur ne s’éloignait pas. »
Traduit de l’arménien par Nazik Melik Hacopian-Thierry