En deux mots
Un petit garçon s’offre une escapade au cinéma avec sa mère. Mais, ayant pris du retard, ils se hâtent de rentrer pour ne pas fâcher leur mari et père. En route, à travers bois, ils vont faire une rencontre qui va marquer l’enfant.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
« Si jamais j’apprends un jour que t’en es toi aussi »
Dans ce récit initiatique mené au pas de course, Tristan Duverne raconte comment un garçon naît à la sensualité, comment il découvre en traversant en toute hâte un bois qu’il n’est plus seul.
Il faut se dépêcher de rentrer pour ne pas énerver le mari et père qui ne sait rien de l’escapade de sa femme et de son fils, partis à Saint-Nazaire pour une séance de cinéma. S’ils ont pris du retard, c’est que l’enfant a été pris d’une envie pressante à l’issue de la séance et son passage aux toilettes leur a fait manquer le bus. Il leur faut désormais regagner la Baule à pied. Un parcours qui ressemble vite à un chemin de croix pour le gamin qui subit les invectives de sa mère et la honte d’avoir voulu trop vite terminer sa grosse commission et ne pas avoir pris le temps de s’essuyer correctement.
Pourtant, il aime au-dessus de tout ces séances de cinéma avec sa mère qui a décidé que son avenir passait par une solide culture générale et qui ne lésinait pas sur l’achat de livres et de disques et sur la culture cinématographique. L’occasion aussi pour elle d’admirer les acteurs, comme Charlton Heston, fascinant dans ce Ben Hur qu’ils viennent d’apprécier tous deux. Un plaisir qui va sans doute lui valoir un accueil houleux. Aussi rien qu’à l’idée de cette engueulade à venir, elle devient hystérique et se lâche sur son fils, désormais appelé l’enfant triste. Il faut dire qu’elle déguste, victimes de la violence d’un homme qui ne se prive pas de donner des coups, avec toute une liste de synonymes bien intégrés dans son vocabulaire, les dégelées, les roustes, les trempes, les branlées.
Est-ce aussi pour échapper à cette violence que l’enfant s’échappe dans un monde propre, dans une vie intérieure riche ? Jusqu’à finir par se rebeller. Il n’entend plus obéir à tous les ordres, toutes les injonctions proférées avec morgue. Il a vu de la lumière dans le bois. Et s’il sait qu’il ne doit pas s’arrêter, il comprend qu’il n’est plus seul, qu’une nouvelle voie s’ouvre à lui.
C’est avec ce sentiment d’urgence et dans un rythme haletant que Tristan Duverne raconte l’odyssée de ce garçon qui va devenir un homme, si libérer de ses chaînes et s’assumer pleinement. Les monstres et les fantômes de l’enfance s’effacent alors pour aller à la rencontre de ces hommes qui partagent son envie, son plaisir.
La traversée des bois
Tristan Duverne
Éditions Maurice Nadeau
Premier roman
120 p., 17 €
EAN 9782862315645
Paru le 13/09/2024
Où ?
Le roman est situé à Saint-Nazaire et à La Baule, en particulier dans le quartier d’Escoublac.
Quand ?
L’action se déroule de de 1966 à 1972.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Il est très tard ? » avait demandé l’enfant.
Le car, à l’autre bout de la place, ne changeait plus de vitesse, s’éloignait en laissant seulement chuinter ses pneus sur la chaussée détrempée ; le raffut de son moteur diminuait.
« Plus que tu ne penses ! » fut la réponse.
Et elle l’avait prononcée avec cette vivacité qu’il connaissait trop bien, l’arrogance nerveuse et tremblante de la ménagère habituée aux éclats conjugaux, le ton affreux des femmes fortes et dévouées que la vie rompt tous les jours à ses accrocs de fortune, et qui doivent menacer de disparaître, de disparaître ou de tuer pour échapper aux coups, aux dégelées, comme disent leurs hommes dans ces cas-là, aux roustes, aux trempes, aux branlées. »
Années 60. Une mère et son petit garçon reviennent du cinéma. Il est tard, la nuit tombe et il fait froid. Ils rentrent chez eux à pied, en empruntant une route qui traverse une pinède au sommet d’une dune. Ils ont menti au père, et sont allés voir Ben Hur en cachette. Cette route qui les ramène chez eux, sa mère le lui a dit, elle est dangereuse. Là, dans la forêt, des êtres rodent en attendant leur proie. Cette traversée est une traversée métaphorique qui voit un enfant passer des limbes de l’innocence à la conscience de son identité sexuelle. Les images souvent hallucinées mènent à la frontière entre onirisme et réalité, créant de page en page une atmosphère étouffante, qui rappellera aux lecteurs l’épouvante de certaines nuits de leur enfance, peuplées de sorcières et d’ogres.
Ce récit d’enfance de Tristan Duverne, allégorie d’une homophobie tenace et archaïque, déchire la nuit et lève le voile sur des croyances encore à l’œuvre aujourd’hui.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« La mère, ce jour-là, un dimanche, l’avait emmené au cinéma.
Le père ne s’en occupant pas, mais alors pas du tout, rien de rien, il fallait bien que ce fût-elle, la mère, qui se mêlât de lui donner une éducation, à son fils, n’est-ce pas ? …
Et qui sait : il y avait peut-être même urgence ?… Le goût des belles choses, des choses élevées, des valeurs et des univers prestigieux, rien ni personne n’assurait que ça ne s’attrapait pas tout petit, et qu’après…
Alors de l’ambition, elle en avait pour deux, la mère, et ne lésinait pas sur les moyens, ça non ! Elle ne regardait pas au coût, se sacrifierait, s’il le fallait ! En tout cas, elle faisait l’impossible, trouvait des stratagèmes et réalisait des miracles d’économie… Trop chers, les bouquins ? Inabordables, les 33-tours ?… On trouverait à mégoter sur autre chose, voilà tout… L’eau, le gaz, la lessive, la boustifaille, peu importait !
Ce que le père ne saisissait pas, lui, et n’entraverait jamais, trop con, trop cuit, c’est que pour tirer d’affaire son gars, le sens le plus aigu des priorités s’imposait !… L’idée l’en obsédait, elle… Les pissouzes, pas pareil : on trouverait toujours à les refourguer. Bien ou mal, tôt ou tard, on en serait un jour débarrassé, il ne pouvait pas s’agir du même investissement… Mais le fils, lui ! … Ce qu’on misait dessus, avec un peu de chance ce serait peut-être autant de gagné en reconnaissance quand le temps serait venu de penser à leurs vieux jours… Sa gratitude leur vaudrait normalement ses bons soins… Normalement… Si tout allait comme sur des roulettes… Il n’y avait donc rien que de parfaitement logique à viser haut, voire très haut, et à se soucier activement d’en faire quelqu’un…
Quelqu’un de bien, alors ?… Bah !… « Quand t’es bon, t’es con ! », air connu !… Quelqu’un suffirait : avoir égard aux autres pour quoi faire ?… De l’instruction, surtout ! Du savoir !… Et des façons, s’entend : les bonnes manières, comme elle dit toujours, elle, la mère, jusque dans la présentation ! Propre sur soi, ça compte plus qu’on ne croit… Jusque dans la présentation, mais aussi, jusque dans le bagout : aux beaux parleurs personne ne résiste jamais, ça peut rapporter gros… Salamalecs, que tout cela ? Peut-être… On dirait ce qu’on voudrait… Mais savoir s’essuyer les pieds sur le paillasson, saluer d’un coup de menton martial, s’imposer soi-même sans l’aide de personne, inspirer du respect et de la méfiance à ces messieurs, charmer ces dames, s’asseoir dans les salons sur le bout des fesses et faire tourner sa petite cuiller convenablement au milieu de sa tasse en causant sport ou culture et jamais politique, surtout pas politique, se tenir à table en se servant du bon couvert, ça ne fait pas que vous poser son homme, ça vous le case souvent aussi, y a que les péquenauds pour en douter !…
Voilà ce qu’était son crédo, à elle.
Aussi, pour son fils comme pour le reste, la mère avait-elle pris les choses en main. Décidé que grâce à elle, au terme d’une formation et d’une surveillance de chaque jour, le rejeton n’aurait l’air, contrairement à son père, ni d’un ouvrier ni d’un paysan : sûrement pas d’un pue-la-sueur et d’un moins que rien. D’un voyou ? Jamais de la vie ! Rien ne serait trop beau ni trop au-dessus de leur condition…
Car elle sait, la mère ! Elle a vu : elle sait ! Ces choses-là, chez une femelle, se sentent à peu près aussi bien que l’instant où elle conçoit – si, si : où l’enfant se fait au fond de son ventre, calé au fond de ses tripes ; où, bien avant de lui donner le jour et de s’en séparer (hélas), elle lui donne la vie, le crée de toutes pièces, pour ainsi dire, à l’instar d’un Bon Dieu ou de son équivalent… Oui, elle sait, elle a depuis longtemps compris ça, elle : la Poésie, la grande Musique, le Théâtre, les Chefs-d’œuvre du cinéma, enfin tout ça, les Beaux-Arts, quoi, puis l’Amour, la Galanterie, l’Héroïsme, bref, ce que les gens cultivés dénomment le Sublime, ce qui paraît-il élève l’humanité loin au-dessus du niveau de la bête, très loin, très haut, eh bien elle a vu que tout cela fait danser dans les yeux de son fils, de son petit homme à elle, dans ces abîmes de stupeur et d’émerveillement que deviennent ces quinquets confrontés au spectacle de la Beauté, danser des étincelles qui un jour finiront par l’embraser, qui, un jour, allumeront en lui un feu sacré, en feront un être brûlant, mieux : irradiant, une incarnation dévorante, incendiaire, de l’excellence et du talent, de la perfection, enfin qui ne vivra que pour nimber de son génie tout ce qu’il touchera et tous ceux qu’il approchera !… Elle, la mère, elle en est convaincue – absolument ! …
Descendus les derniers du car de Saint-Nazaire, débarqués dans La Baule au beau milieu de la vaste Place des Palmiers, ils s’étaient immédiatement dépêchés de mettre le cap sur la dune et sa pinède. Lançant déjà loin son regard devant elle, la mère s’inquiétait avec des grondements sourds. L’heure de la soupe avait depuis trop longtemps sonné, déplorait-elle, la panse du père devait sûrement avoir commencé de gargouiller, il allait bientôt s’impatienter, sûr ! sortir ses chopines de dessous l’évier, prendre la mouche en se piquant le nez, dire tout son compte seul dans son coin… Ça y était, ce coup-ci : on avait décroché la timbale !… On aurait voulu le faire exprès !… Ce qu’elle pouvait prédire, elle qui se croyait si maligne en risquant ses escapades somptuaires, c’est qu’on aurait droit à la sérénade en arrivant, et à une belle !… L’était trop long, ce film, aussi : bien trop long… Les Ricains, quand ils s’y mettent…
Allons, l’enfant avait compris : pas besoin de le tarabuster pour l’aiguillonner… C’était pigé convenablement, si, si : il fallait, pour avoir des chances de s’épargner le pire, accélérer tout de suite, trouver sans tarder le courage de presser le pas : de la volonté, bon Dieu, du nerf ! … Comment leur disait-on, déjà, aux fiflots ?… Il se rappelait, il se rappelait : « En avant, marche !… Une, deux ! »
À propos de l’auteur
Tristan Duverne © Photo DR
Après le recueil de nouvelles, Eddy de haut en bas (Julliard,1993), voici un premier roman autobiographique de Tristan Duverne, nouvelliste et scénariste. (Source : Éditions Maurice Nadeau)
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