J'ai toujours eu beaucoup de respect, pour ne pas dire de l'admiration, pour tous ces artistes qui sont capables d'aller au bout de leurs idées, même si les œuvres qu'ils préparent ou le style qui est le leur échappent complètement aux canons en vigueur. C'est ainsi que j'ai eu le plaisir de découvrir un album publié chez Kana, intitulé Le chant de la femme cryptée, réalisé par un auteur espagnol du nom de Jimi Macias. Les premières retour sur le sujet avait été contrastés; certains me l'avaient conseillé chaleureusement, d'autres m'avait mis en garde. Il faut dire que le dessin n'a en effet rien de conventionnel. Aussi bien la mise en page que le trait en lui-mêmen qui lorgne clairement du côté du manga, dégagent une énergie folle, une envie permanente de s'éclater et d'épater, avec une mise en couleur extrêmement saturée et un langage visuel aussi moderne qu'inventif en bien des points. Une surprise visuelle qui est aussi déroutante, car ne respectant pas l'académisme attendu dans une bande dessinée, quand on n'a pas trop l'habitude de se confronter à des styles ou des ambitions qui sortent du cadre. L'histoire se déroule en Espagne au début du 22e siècle, dans un pays qui politiquement a connu bien des vicissitudes. L'héroïne s'appelle Azabache, elle est récemment sortie de prison et depuis elle écume les bars en tant que chanteuse de copla. Azabache a également une associée (Carmina) avec qui elle prépare des mauvais coups et qui est devenue aussi sa compagne. Lorsque celle-ci disparaît, l'histoire s'accélère et notre chanteuse se retrouve impliquée dans une série de meurtres commis par un tueur en série qui s'en prend aux femmes. Elle va devenir malgré elle le témoin crucial de l'enquête, grâce à une technologie ultra moderne qui permet de se relier directement à la psyché des victimes et de vivre à travers leurs yeux quelques-uns de leur derniers instants. Un peu comme devenir "une boîte noire humaine" pour rassembler les indices qui jusqu'alors ont été négligés.
Le récit qu'a concocté Jimi Macias peut surprendre par son rythme, mais surtout par sa chronologie, car il ne fonctionne pas exactement de manière linéaire. Ou en tous les cas, il oblige le lecteur à se concentrer sur les nombreux retour en arrière, flashbacks ou immersions dans la psyché des victimes, qui fonctionnent comme autant de pistes parallèles permettant de faire avancer l'intrigue. Par contre, on peut saluer la volonté de surprendre jusqu'au bout, et en effet, le final est capable de déjouer les attentes. Certains ont pointé du doigt la présence d'aspects caricaturaux, que ce soit à travers l'image ou les traditions que l'on se fait de l'Espagne ou des éléments narratifs, qui ne semblent là que pour respecter/recopier les codes du genre. Mais il est clair également que l'auteur entend en jouer et s'amuser avec. Le verbe est important car c'est un peu ce qui transparaît de cet ouvrage : un artiste qui se fait plaisir, qui n'a aucune idée sur la manière dont le public va adhérer à ce qu'il est en train de produire, mais qui le fait, pour aller au bout de son idée et proposer quelque chose à son image. Un pari relevé avec l'aide de Kana, qui n'a pas reculé, cela dit en passant. Le tout forme un voyage sous acide, est traversé par une lumière stroboscopique aveuglante et ressemble à un des ovnis du neuvième art de cette rentrée, entre mangas certes, mais aussi d'autres formes d'expression. Impossible de mesurer les effets avant de l'essayer, c'est si singulier !
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