Connemara propose une immersion dans une relation amoureuse qui est tout sauf romantique. Elle fait même partie des rares histoires d'amour sans romantisme, que j'ai lues et je me demande même si ce n'est pas la seule. Je n'ai rien éprouvé lors des rencontres entre Hélène et Christophe, pas de picotements, pas de coup au cœur, rien de chez rien. J'ai observé ce couple à la fois comme entité et réunion de deux êtres qui se font un revival adolescent en mode parties de 5 à 7 de jambes en l'air, sous fond de remise en question de leur existence aux abords de la quarantaine, tant d'un point de vue affectif, personnel que professionnel pour Hélène, sportif pour Christophe.
Connemara se glisse dans la lignée romanesque de son auteur, Nicolas Mathieu, à savoir une volonté d'ancrer son intrigue dans la sociologie d'une région (celle de Cornécourt dans l'Est de la France, celle de la région parisienne intra et extra-muros de Paris) et d'une relation, d'incarner des personnages dont l'action est muée en fonction de différents paramètres : avancée dans l'existence, vie de famille (conjoint.e, enfant.s, parent.s), proches, relations professionnelles et/ou sportives, évolution professionnelle. D'Hélène et de Christophe, on découvre deux itinéraires (de celle qui est partie, de celui qui est resté dans la ville de leur adolescence), celui d'une transfuge de classe, celui d'un homme empêché qui a poursuivi le cheminement familial en gardant toutes ses attaches.
Si Connemara ne se dissocie pas des lieux de vie avec un contraste entre Paris-région parisienne et Cornécourt, cet écrit riche en nombre de pages et en thématiques abordées met en lumière le choc des pouvoirs genrés en milieu professionnel, le tissu de liens familiaux à construire, à déconstruire et à reconstruire au gré des amours défaites et en devenir, la diversité de rendez-vous (fêtes, repas, pots, matchs et entraînements sportifs, inaugurations) qui donnent du sens et du corps à une communauté sociale. Connemara poursuit les aller-retours entre passé et présent, ne dissociant pas la vie d'un habitant des enjeux politiques d'époque (élections présidentielles de 2017, restructuration administrative des régions) jusqu'à emprunter certaines péripéties intimes.
Connemara doit son titre à un emprunt d'une chanson illustre et populaire de Michel Sardou, fédératrice en temps de fêtes et indicatrice d'un ancrage culturel, d'un paysage et d'êtres humains marqués par une terre en (r)évolution, au gré de la désertification rurale et des départs d'entreprises et d'industries, où on loue lors d'un discours de mariage une agence de crédit pour financer la fête, où les amours décousues et volatiles ne renforcent pas la confiance en soi ni l'épanouissement.
De cet écrit riche et profondément féministe, Nicolas Mathieu dresse deux personnages très habités porteurs chacun de leur vérité et de leurs envies. Avec son regard aiguisé et une écriture fantastiquement intelligente, il dresse également une évolution féminine singulière en proie à une affirmation et à une reconnaissance que ce soit par Hélène ou Lison, de celles qui décident le cours de leur vie, aidées par des discours maternels rappelant l'essentiel. La chute finale est juste remarquable.
De Connemara, je retiendrai de nombreuses images mais surtout l'explication de mon attrait pour ce que me raconte Nicolas Mathieu et la façon dont il le raconte : le côté incisif et éclairé de son écriture, sa façon très accessible de décrire les événements et de nourrir ses arguments sociologiques. On peut adhérer ou pas à ses idées (je ne suis pas toujours complètement convaincue), mais j'apprécie la justesse du tempo et surtout l'efficacité des tournures qui en deux lignes très souvent disent tout !
Editions Actes Sud
En LC avec Ingannmic (je suis en retard de deux jours, désolée, désolée, désolée ... et merci pour cette LC qui m'a permis de sortir ce roman de ma PAL
Participation au challenge Monde ouvrier et Monde du travail (vie d'un cabinet de conseils)
du même auteur : Leurs enfants après eux, Rose Royal / La retraite du juge Wagner,