Un adolescent amoureux

adolescent amoureux

RL-automne_2024  adolescent amoureux

En deux mots
Quand il arrive dans la classe, c’est comme une déflagration. Pour le narrateur, celui qu’il appelle Arture est l’objet de tous les fantasmes. D’un dessin ramassé dans une poubelle jusqu’aux habits imprégnés de l’odeur de l’être aimé, on va suivre toutes les étapes de ce parcours initiatique.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Chronique d’un amour interdit

Si pour son second roman Robin Josserand poursuit son exploration de l’homosexualité, il le fait ici de façon plus universelle en racontant les souffrances du jeune narrateur. À 17 ans, sa passion amoureuse se heurte à de multiples obstacles. Une initiation difficile.

Le narrateur a 17 ans, l’âge de passer le bac, mais aussi l’âge où la sexualité devient une priorité. Aussi quand un nouvel élève arrive dans sa classe, il est immédiatement subjugué par ce beau ténébreux aux allures de mauvais garçon.
Dès la première heure de cours, il ne peut s’empêcher de le fixer, de suivre chacun de ses gestes. Et quand, à la sortie du cours, il jette à la corbeille le dessin qu’il vient de griffonner, notre amoureux transi se précipite pour le récupérer et l’afficher dans sa chambre.
Dans les jours qui suivent, il ne profiter de chaque rencontre, chercher par tous les moyens l’occasion de se rapprocher de celui qu’il a nommé Arture. Une quête qui va virer à l’obsession, mais une quête douloureuse, car il ne sait pas si cet amour est partagé.
Tous les signaux qu’il envoie, en jouant le mimétisme, vont rester sans réponse. Pourtant, ce n’est pas faute de s’investir. Quand il apprend qu’Arture joue du saxo dans un club de jazz, il se met à écouter tout le répertoire et se met lui aussi au saxo puis à la batterie. Il va aussi venir écouter régulièrement Arture, mais sans attirer l’intérêt de ce dernier. Pire encore, Arture semble s’intéresser à une fille, de quoi désespérer le jeune homme qui a bien compris que dans sa ville, à l’envers du monde, l’homosexualité restait un tabou. Et sa famille n’est pas en reste, à commencer par son père qui n’hésite pas à vilipender les pédés.
Autant physiquement que psychologiquement, cette impossibilité de dire et de vivre cet amour va laisser des traces. « Je gâche délibérément, et avec obstination, les plus belles années de mon existence. » Quand il ne reste guère que la masturbation et les sites pornographiques considérés ici comme des bouées de sauvetage.
Après Prélude à son absence, couronné par le Prix du roman gay, Robin Josserand brosse le portrait de tous ces adolescents confrontés à l’amour et à la difficulté de le partager, voire de l’exprimer. Derrière le désir refoulé, il y a toute la souffrance causée par les non-dits, par cette intuition – sans doute juste –que le fantasme ne dépassera jamais le stade de l’envie.
C’est en courts et incisifs chapitres que l’auteur laisse éclater sa frustration, dit sa colère et son mal-être, mais rend surtout avec beaucoup de justesse cet âge de la vie où tout est ouvert et où tout est si difficile. Une belle confirmation du talent de narrateur de Robin Josserand qui sait parfaitement rendre l’atmosphère étouffante de cette petite cité de province, décrire la rigueur familiale, souligner l’incompréhension, voire l’hostilité des camarades de classe et l’indifférence d’Arture. Un cocktail explosif !

Un adolescent amoureux
Robin Josserand
Éditions du Mercure de France
Roman
152 p., 17 €
EAN 9782715264335
Paru le 22/08/2024

Où ?
Le roman est situé principalement dans une ville de province qui n’est pas précisément située.

Quand ?
L’action se déroule dans les années 2000.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Ma première fois serait une telle ivresse qu’en vérité je crois que je ne la supporterais pas. Toucher un garçon tient du merveilleux et de l’extraordinaire. Je gâche délibérément, et avec obstination, les plus belles années de mon existence. Celles-ci sont d’ailleurs déjà nimbées d’une mélancolie insupportable. Mais c’est plus fort que moi, je ne peux rien faire contre ma lâcheté. Ni contre cet amour bizarre. »
Dans une ville où tout lui paraît gris et terne, le narrateur, lycéen en terminale, attend l’occasion de fuir un destin étriqué. Avec l’arrivée d’un élève atypique, A., une échappée semble enfin possible. Plus âgé que ses camarades, A. dégage un parfum d’interdit, cultive des manières de voyou et envoie tous les signaux d’une virilité grisante. Très vite, il devient une légende, une rumeur qui focalise tous les regards. Pour l’approcher, le narrateur devra négocier avec son désir clandestin et élaborer des stratégies afin que ses fantasmes deviennent réalité.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Franceinfo Culture (Mohamed Berkani)
Actualitté (Louella Boulland)
Philosophie magazine (Arthur Dreyfus)
20 minutes
Blog Mes p’tits lus
Blog Hans & Sandor


Robin Josserand présente « Un adolescent amoureux » © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Lors du premier cours, le garçon arrive en retard et s’installe au dernier rang en faisant crisser sa chaise sur le carrelage. Mes camarades, occupés à remplir des formulaires inutiles, s’interrompent pour le toiser. Le professeur de français cherche son nom dans la liste : « A. ?» Ce dernier acquiesce puis se met à regarder par la fenêtre, et j’ai la sensation que ses yeux brillent dans la nuit en plein jour. Il paraît plus âgé, comme si, chanceux, il quittait l’enfance avant nous. Le professeur déclare qu’il est nouveau, qu’il faut lui faire bon accueil, avant de passer à autre chose en reprenant ses affaires ennuyeuses. A. porte une chemise à carreaux rouge déchirée au niveau du coude sur un t-shirt noir d’où dépassent quelques poils roux. Ses lèvres sont gercées, il a une barbe de trois jours et ses cheveux longs lui donnent un air d’Indien. Il renseigne lui aussi les papiers avant de poser son front sur la table, observe à nouveau dehors et roule une cigarette à la vue de tous. Le professeur nous dicte ensuite les premiers vers d’un poème de Rimbaud que nous nous apprêtons à étudier. En les copiant, je m’applique beaucoup. Rapidement lassé, A. retourne sa feuille et se met à dessiner un visage dont je distingue mal les traits. Une figure lacérée au stylo-bille. De ce que je peux apercevoir, le portrait est strié de minuscules blessures. Insatisfait, l’auteur raye finalement son œuvre avec des gestes violents et se met à se balancer sur sa chaise en souriant. Le professeur, qui ne lui a rien dit, m’interpelle en me demandant pourquoi je me retourne sans cesse, et toute la classe se met à rire.
À la fin de l’heure, le garçon froisse la feuille qu’il jette à la poubelle. Je m’arrête en sortant de la salle et me penche en faisant semblant de relacer ma chaussure. Je pioche le dessin dans la corbeille et le glisse dans mon sac.
Au cours suivant, A. retourne s’installer au fond. Personne n’ose s’asseoir à côté de lui. La professeure d’anglais nous assomme avec un discours barbant sur l’importance de l’année qui vient. C’est apparemment notre avenir qui se joue là. Rapidement, le jeune homme s’endort. Je suis au deuxième rang et je le regarde encore.
À la pause, alors que tout le lycée se retrouve devant le portail pour fumer, je me tiens à distance, juste en face, contre le mur du gymnase. Seul aussi, A. allume un gros joint qu’il n’a pas le temps de finir et qu’il glisse entre deux mailles du grillage.

Le professeur de sciences nous fait ensuite asseoir par ordre alphabétique dans une salle désuète avec une estrade où je me retrouve à côté d’un garçon qui fait comme si je n’existais pas. Nous devons, là aussi, remplir une fiche d’informations futiles. Puis c’est le même laïus pendant deux heures. J’imagine qu’A. dessine toujours, mais là, je ne le vois pas, il est dans un angle mort.
À midi, je traîne un peu dehors, devant la grille. Lorsque je me résous enfin à aller manger, je croise, dans la file d’attente de la cantine, des camarades de l’année précédente qui me saluent. Le brouhaha du réfectoire me fait un peu peur. J’attrape un plateau, un yaourt et des tranches de pain. Je n’ai pas faim. J’avance jusqu’à une table pleine de miettes, mal débarrassée, à l’écart. Il va falloir reprendre l’habitude de manger seul.

Dans le bus qui me ramène chez moi, j’examine le dessin. De minutieux entrelacs progressivement recouverts de traits impétueux. Une figure sévère dont une partie est restée dans l’ombre. Par endroits, le stylo a percé la feuille. Les yeux sont devenus des trous. La bouche s’apparente à un envol de corbeaux au milieu du visage, les cheveux, à un bouquet de biffures. Malgré tout, la douceur de ce croquis m’émeut. C’est le portrait d’un jeune homme à la beauté quelconque, le genre de garçon que je désire tous les jours.
En rentrant, ma mère me pose quelques questions à propos de cette première journée. Je m’éclipse pour aller punaiser le dessin sur le mur de ma chambre, au-dessus de la frise avec les trains, une relique de mon enfance. Je découvre, derrière l’œuvre, le poème rempli de fautes. « Comme je descendais des fleuves impassibles, je ne me sentit plus guidé par les halleures, des peaux rouges criard les avait pris pour cible… »
Plus tard, elle fait irruption dans ma chambre et, connaissant mes piètres talents de dessinateur, s’étonne en me demandant qui a bien pu croquer ce drôle de visage. Je garde le silence. Elle n’insiste pas et m’embrasse sur la joue. Je fais mes devoirs puis je me branle en étant le plus silencieux possible car les murs de cette maison semblent avoir des oreilles.

Le lendemain, sitôt sorti du bus, le garçon allume un joint. Ses cheveux paraissent un peu gras, il porte la même chemise que la veille sous une veste en jean assez ample. Rapidement, il discute avec des skateurs devant le portail. Ce sont des garçons populaires qui sont invités à tirer sur le pétard. En cours de maths, il dessine toujours mais froisse la feuille qu’il glisse dans la poche intérieure de sa veste. Et il s’endort. La professeure ne lui dit rien. C’est comme s’il n’était pas là. Ou qu’il avait tous les droits. Ce jeune homme est intouchable.
Je retrouve Luc à la pause, derrière le gymnase. Je l’ai rencontré l’année précédente, pendant une heure d’étude où il m’avait longuement parlé de la combustion spontanée –on dénombre une cinquantaine de victimes au XIXe siècle, il m’avait prévenu, c’était très sérieux, il ne plaisantait pas. Luc fume beaucoup d’herbe. Il joue des airs tristes à la guitare. Il souligne ses yeux avec un trait d’eye-liner et ne porte que des habits noirs. En fin d’année, il avait fracassé son poing contre le mur de l’immeuble en face du lycée. Il est resté une tache qui n’a jamais été nettoyée, comme un rappel de cette brutalité adolescente, ou de cet éclat. Là, je le regarde se pulvériser du déodorant dans la bouche à travers son t-shirt pour planer. Le souffle court, les yeux gonflés, il me parle de cette jolie rousse qui est dans un autre lycée. Nous ne disons rien de cet été que nous avons passé seuls. Je ne lui parle pas non plus du nouveau, parce que ça n’existe pas, ça ne veut rien dire.
Après la cantine, je m’enferme aux chiottes et tire de mon sac un cahier distribué par le professeur de français sur lequel je grave aux ciseaux : « Arture ». Je décide de l’appeler ainsi, en hommage au brouillon sauvé de la poubelle, et parce qu’à mes yeux ce garçon a l’allure d’un mauvais poète. Puis je commence à écrire.

Il fume ses cigarettes roulées sur le côté, les tenant à peine, elles pourraient glisser entre ses doigts et tomber sur le trottoir. Du tabac brun avec des filtres qu’il confectionne grâce à des bouts de carton pliés qu’il fait glisser autour de son briquet ou de la boucle de sa ceinture. Il relève alors suffisamment sa chemise pour que j’entrevoie le bas de son ventre bronzé. J’aimerais en ramasser une pour y tirer une ultime bouffée, ça serait ma première fois.
Il porte un parfum bon marché. Il veut sentir comme un homme, il doit penser que c’est comme ça que sent un homme.
Son œil droit continue à briller. Toujours un peu rouge, légèrement enflé.
Il garde les mains dans ses poches. Il serre les poings quand il marche, avec cet air insolent et moqueur.

En rentrant, je planque le cahier dans une boîte, sous mon lit. Puis j’examine le dessin pour tenter d’y saisir Arture. Cette fois, le visage me paraît tuméfié, presque mort. Je me branle encore.
Le jour suivant, Luc vient s’asseoir à côté de moi dans le bus. Il relève alors la manche de son manteau pour me montrer fièrement son avant-bras : il a gravé le nom de la fille, c’est enflé, suintant, c’est dégoûtant mais c’est beau, il y a un peu de pus. Puis il se met à rire en roulant un pétard sur ses genoux. Le bus se remplit progressivement de lycéens endormis. Un arrêt brusque répand toute la préparation par terre. Mon ami se met à donner de violents coups dans son siège. Je suis habitué à ses colères.
Quelques minutes avant le début des cours, Arture arrive au volant d’une voiture qu’il gare nerveusement devant le portail. Il sort comme si de rien n’était en rangeant les clés dans la poche de son sac, puis vient serrer la main d’un garçon dont le visage est dissimulé par la capuche de son sweat-shirt. Pour se faire des amis, il ne lui a pas fallu une semaine.
À midi, il fait monter trois skateurs. Adossé au mur du gymnase, je les observe tranquillement. Ils se défoncent pendant une heure, sans ouvrir les fenêtres, dans le véhicule plein de la fumée des joints. Entre eux, il y a la complicité des trafics, l’allure tranquille de ceux qui ne sont plus sous la coupe de personne. Ces garçons-là se reconnaissent. Ce sont des adultes. Et pour eux, je suis resté un gamin. »

À propos de l’auteur
JAUSSERAND_robin_©maxime_grussRobin Josserand © Photo DR

Robin Josserand est bibliothécaire. Il vit et travaille à Lyon. Son premier roman, Prélude à son absence a obtenu le Prix du roman gay. (Source : Éditions du Mercure de France)

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