Résumé :" Il n'y a pas mort d'homme. " C'est ce qu'on ne cesse de répéter à Annalie, 17 ans, qui découvre un jour un graffiti raciste sur la porte du garage familial. L'été commençait pourtant bien : son histoire d'amour avec le beau et populaire Thom débutait enfin ! Mais le quotidien tourne vite au cauchemar lorsque Margaret débarque. La grande sœur d'Annalie, étudiante en droit de 19 ans, est bien décidée à ne pas laisser ce crime sous silence. Derrière cette insulte de peinture rouge, elle veut montrer que les mots blessent. Annalie, elle, préfèrerait oublier... Car sur ses épaules pèse une terrible vérité. Entre amours irrésolus, conflits familiaux, secrets et quête d'identité : quelle place laisser à ses origines, quand c'est précisément ce qui vous est reproché ?
Mon avis :Quelle histoire !Celle d’un crime haineux dans une petite ville qui met en lumière le racisme sous-jacent de ceux et celles qui prétendent ne pas en être.Celle de deux héroïnes qui, chacune à leur manière, vont réagir au drame de façon diamétralement opposée.Vous lirez un roman qui fait preuve d’une maturité émotionnelle démentielle ; moi, j’ai lu un manifeste qui m’a fait énormément de bien, d’autant plus en sachant que ce titre s’adresse à un lectorat plus jeune que moi.
J’ai passé un excellent moment de lecture entre les actions et les réactions ; l’introspection des héroïnes ; et la consternation face à la situation. Tout au long de ma lecture, mon respect pour l’autrice n’a fait que grimper en flèche ! Quel courage elle a eu de verbaliser la violence subie par les personnes issues des minorités, sans détour, sans artifice d’intrigues à rebondissements, parce que c’est LE sujet de son histoire. Elle n’a pas ménagé sa peine, avec ses deux héroïnes qui luttent contre leurs contradictions et contre le racisme intériorisé, frontalement ou insidieusement.
L’autrice, sans être moralisatrice, nous propose, à travers ses deux héroïnes, une sorte de démonstration. Les deux sœurs sont les profils types des natifs de la deuxième génération issue de l’immigration : d’un côté, Margaret, militante et engagée, qui voit le biais et le vice racistes ; de l’autre, Annalie, qui refuse de mesurer la gravité du crime, dans une forme de naïveté qui relève du déni et du refoulement.
L’autrice ne s’arrête pas là. Elle ajoute une perspective intéressante en plaçant les deux personnages dans deux dimensions parallèles avec Annalie qui bénéficie d’un « white passing », c’est-à-dire qu’elle ne ressemble pas à la communauté à laquelle elle est assignée. C’est un triste sort, car cela lui permet de jouir des privilèges des Blancs sans pouvoir oublier la condition à laquelle on l’assigne… Ce qui entraîne une lutte identitaire intérieure particulièrement complexe.Pour aller plus loin, Annalie laisse entrevoir la réaction du « plafond de discrétion » : ne pas faire de vagues, acquiescer, sourire, et croire très fort que ça va passer. Mais ce n’est pas la réaction typique de la première génération d’immigrés. Chez Annalie, cela vient du fait qu’elle pense « en être ». Elle m’a rappelé « l’Arabe de service », une figure que je connais bien.
Face à cette crise intérieure, Margaret n’est pas en reste avec son histoire d’amour à la Roméo et Juliette, avec en supplément le racisme communautaire !
L’autrice est très juste. Elle navigue sur des sujets épineux et le fait brillamment parce qu’elle n’aborde que des thématiques qu’elle connaît et maîtrise. Le pouvoir des Ownvoices ! Je me suis reconnue plus d’une fois dans les réactions, les interrogations et les doutes des deux sœurs.
J’ai lu ce livre avide d’en savoir plus, tantôt bouleversée par les actions et les réactions, mais surtout reconnaissante de la verbalisation des faits. Les mots sont dits, et on le sait, la représentation est salvatrice.
Ce titre est une masterclass pour les personnes minorisées qui, sans être « triggered », lisent un témoignage qui correspond à la réalité de leur situation, de leur vie et de leur vécu. Pour les autres, c’est un livre qui vous permettra de mesurer le mal — aujourd’hui banalisé et à la mode — qui nous meurtrit : des microagressions aux crimes de haine, en passant par la violence dite ordinaire.
Au plaisir.