Les Sentiers obscurs de Karachi date de 2022. S’il s’agit bien d’un roman aux allures de polar, il est basé sur des faits réels, l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi au Pakistan, qui a provoqué la mort de 13 personnes, dont 11 ingénieurs et employés français de la Direction des constructions navales (DCN) quand le bus militaire qui les transportait a été pulvérisé devant l’hôtel Sheraton par l'explosion d'une mine magnétique placée sur le bus, sans doute déclenchée à distance. Longtemps, jusqu’en juin 2009, l’attentat a été attribué à Al-Qaïda mais depuis, des représailles à l'encontre de la France organisées par les services secrets pakistanais est l’hypothèse la plus privilégiée. En France, cet attentat a donné son nom à l'affaire politico-financière liée à la vente de de sous-marins au Pakistan qui aurait donné lieu à des rétrocommissions pour financer illégalement la campagne présidentielle de 1995 de l'ancien Premier ministre Edouard Balladur. Toutes les victimes étaient originaires de la base navale de Cherbourg. Vingt ans plus tard, un jeune journaliste local, Jef Kermal fils d’un ingénieur rescapé, décide de mener une enquête pour désigner les coupables.
Le début du roman est difficile, sachez-le. Il débute par une introduction fracassante, l’attentat proprement dit, c’est dur et terrible. Puis viennent les éléments de base de l’enquête que je viens de vous résumer d’une complexité retorse qui expliquent (en partie) la non-résolution de l’affaire. Il faut s’accrocher pour suivre les fils de ce sac de nœuds et se remémorer ce que les médias de l’époque en disaient. Quand Jef part à Karachi, le roman prend un rythme de croisière plus simple et je n’en dirai pas plus sur son enquête…
On pourrait se plaindre du début difficile à suivre ou encore de la fin un peu simpliste (?), il n’empêche que c’est un très bon bouquin.
Il est bon parce que tiré de faits réels où des morts n’ont pas eu justice et qu’on enrage. Il est bon car la vie n’est jamais simple, tous les acteurs de ce livre souffrent à des degrés divers : les Français de leurs morts ou de leurs blessures irréparables, d’amitiés qui se sont brisées au fil des années, de choses tues, de la fameuse « raison d’Etat ». Les Pakistanais eux aussi se trimballent des fardeaux épouvantables, il n’est question que de chantages et de jeu de d’influence où la vie est en jeu, avec l’armée et les services secrets en tireurs des ficelles ou d’extrémistes musulmans pourrissant la vie de tous et de toutes.
Ce roman complexe est à l’image de ce pays et de cette ville en particulier, Karachi « la tentaculaire, l’oppressante », « cette mégapole du désordre » où la chaleur est étouffante, encombrée de « milliers de taxis, camions, rickshaws et motos », la promiscuité dans les ruelles et les marchés. La transpiration vient au front rien qu’à la lecture.
Cas de conscience entre morale/dignité humaine et patriotisme ; rôle du journalisme ; raison d’état ; et une très belle amitié à distance entre deux hommes qui se sont connus dans des circonstances exceptionnelles, l’un Français et l’autre Pakistanais, tels sont les principaux thèmes de ce bouquin très émouvant.