Joker folie à deux : joker ennui à deux ?

Par Universcomics @Josemaniette

 Que lève la main le premier d'entre vous qui ressentait le besoin impérieux de voir une suite au Joker de Todd Phillips ? Qu'on l'aime ou pas, ce film semblait abouti artistiquement parlant, suffisamment singulier et bien troussé pour mériter un titre à part dans la longue collection des adaptations cinématographiques de nos chers comics. Une des plus audacieuses, des moins stupides. Des plus pertinentes, rapportées à l'époque. Et puis voilà, Folie à deux, Harley Quinn, et le grand patatrac au box office. D'ailleurs, ne vous y trompez pas, Joker : Folie à Deux n'est pas la comédie musicale annoncée. Certes, il y a bien des séquences musicales – on voit même le Joker et Harley Quinn reprendre To Love Somebody des Bee Gees en duo, avec une petite touche à la Fred Astaire et Cyd Charisse – mais ce serait une simplification grossière de s'arrêter là. Clarifions les choses : les scènes chorégraphiés ne sont que des échappées mentales du Joker, des visions isolées, presque des clips hors contexte qui n’ont aucune connexion avec l'intrigue principale (c'est d'ailleurs souvent le traditionnel cheveu sur la soupe qui vous fait faire la grimace). En revanche, lorsqu'ils chantent et dansent vraiment, ce sont des moments lucides, conscients. Le Joker, à un moment, dit même "arrête de chanter", comme s'il voulait briser un charme déjà fragile, presque à contrecœur. Le tout se déroule sous les yeux des autres personnages, qui restent impassibles, totalement déconnectés de ce délire musical (et cinématographique). En somme, la musique n'est pas là comme langage universel ou comme mode d’expression propre aux personnages, mais elle accompagne simplement deux êtres qui se prêtent au jeu de la comédie musicale, sans jamais l’embrasser pleinement, sans que cela fasse sens pour eux, surtout pour nous. Folie à Deux apparaît comme une révolution avortée, vouée à l’échec. Si la seule manière de surmonter l’aura écrasante du premier Joker était d’oser une rupture stylistique – en s’appuyant sur la folie du titre pour explorer de nouveaux territoires, notamment celui du musical – il aurait fallu oser davantage. Le virage attendu était radical, et ce ne sont pas tant les attentes qui ont été déçues, que l’intention qui s’est perdue en route, qui a sombré dans la confusion. Reste tout de même le plaisir de voir Lady Gaga interpréter They Long to Be Close to You des Carpenters, ou de la regarder danser avec un Joaquin Phoenix qui retrouve ses mouvements désarticulés. On découvre des versions inédites de leurs personnages, bien qu’enfermées dans des scènes secondaires, de faible impact. Mais malgré ce charme sporadique, Joker: Folie à Deux ne réussit pas à échapper à une impression de redondance. Et surtout, de vacuité. Pas d'émotion, pas d'empathie, pas de folie. C'est un comble !

Entre drame judiciaire et thriller psychologique, où les procès ressemblent à des séances de psychanalyse et où l’amour n’est qu’un prétexte narratif très mal amené, ce nouveau Joker semble avant tout être une sorte de méta-commentaire sur le premier film. Ramener Arthur Fleck à son état d’avant la grande révélation (même si c’est sous l’effet des médicaments) est une hérésie. Lui faire revivre cette époque révolue, effacée par sa transformation en Joker, c’est rejouer une scène déjà vue, mais sans la catharsis libératrice du premier film. On s'en contrefiche, totalement. Le film échoue aussi en enfermant le Joker dans un cadre où il n’a aucune marge de manœuvre. Il est réduit à l'état de pion dans un procès dont l’issue est inévitable, sans la moindre tension née d'une incertitude. On a presque l’impression d’être face à une intrigue qui pourrait commencer par sa fin, où chaque scène revisite et dilue les événements du premier film, en approfondissant légèrement les idiosyncrasies d’Arthur Fleck, mais sans jamais nous reconnecter à la compassion que l’on éprouvait pour lui. On l'entend rire, sans conviction, comme si même Joaquin Phoenix n'avait plus qu'à user et abuser des tics du premier film, pour tenter de sauver les meubles dans le second. En vain. Harley Quinn, quant à elle, est plus un stimulus, le déclencheur de l'euphorie qui sommeille dans le Joker, une sorte de réceptacle, reflet de l'idolâtrie fanatique des masses, qu'un personnage qu'on incarne. Harley Quinn est alors un vecteur de réflexion sur le pouvoir déformant du spectacle, qui digère et recrache des idées plutôt que des individus, des figures iconiques et aplaties, icônes starifiées sans la moindre raison valable, sans esprit critique. Lady Gaga en sait quelque chose, elle connaît parfaitement cet univers glauque, ce miroir déformant; pour autant, elle s'ennuie et nous ennuie, la plupart du temps. C'est là pourtant que Joker : Folie à Deux semblait avoir quelque chose à dire, et c'est là qu'il pouvait trouver un fil thématique commun avec le premier film, dans la distorsion de la réalité par les médias mainstream et dans la chute des idoles, qui finit par induire une violence colérique et indomptable. Le film respecte le pacte en partie, en dénonçant le cercle vicieux de la masse qui déifie puis déboulonne les statues, qui érige des géants puis les démolit. Mais Joker : Folie à Deux se contente d'effleurer le sujet, de redire ce qui avait déjà été énoncé avec plus de génie en 2019. Sur la durée, on finit par se regarder, embarrassés, avec la certitude que ce second volet, totalement dispensable, va faire aussi beaucoup de mal aux souvenirs que nous conservions du premier. Le box office semble s'être déjà chargé de la juste punition. 


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