Tombe la neige (et les météores)

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Les météores – Histoires de ceux qui ne font que passer (Jean-Christophe Devenez – Tommy Redolfi – Editions Delcourt)

5h46 du matin. L’obscurité de la nuit est encore totale, mais Hollie est déjà prête à démarrer sa journée. Elle attend le bus pour partir travailler. D’habitude, elle prend sa voiture, mais son véhicule est tombé en panne la veille. Autant dire qu’elle n’est pas rassurée lorsqu’elle voit arriver de loin un type grand et large, qui marche vers l’arrêt de bus. Elle est même à deux doigts d’appeler les secours quand le géant lui sourit. Finalement, il n’est pas si effrayant que ça. Après avoir dit bonjour à Hollie, il lui précise que le bus 34 de 5h46 passe toujours à l’heure. « Mon nom, c’est Floyd », ajoute-t-il. « Pardon si je ne vous reconnais pas. C’est parce que j’ai des blancs, des fois. Je croise des gens, je discute et puis, pffuiit, ça s’en va. » Hollie et Floyd sont deux des habitants d’une petite ville de province, quelque part dans l’immensité du Canada. Une ville en perpétuelle hibernation, particulièrement lorsque la neige recouvre tout, comme c’est le cas pour le moment. Hollie est infirmière à domicile. Il y a des patients chez qui elle aime se rendre, comme Maggie, une vieille dame qui aime le café fort et les livres. Il y en a d’autres chez qui c’est plus compliqué: Mister Philipps, par exemple, un vieil homme acariâtre et résigné, qui passe son temps à lui faire des remarques racistes et condescendantes. Quand Hollie le soigne, il lui parle de son mari qui l’a quittée ou de son fils adolescent, ce qui a le don de l’énerver. Il faut dire que l’infirmière s’inquiète beaucoup pour son fils Elijah, qui est à l’âge où on pense surtout à faire des bêtises pour impressionner ses copains et copines. Floyd, de son côté, a de plus en plus d’absences, y compris dans son travail chez le géant d’ameublement Aeki. Son mentor Gary, un ancien alcoolique, s’occupe bien de lui, mais combien de temps Floyd va-t-il pouvoir continuer à vivre de manière autonome avant de devoir retourner dans un centre spécialisé? Hollie, Elijah, Floyd, Gary, mais aussi Casey, Sammy ou Charlie: autant de vies entremêlées, autant d’êtres humains qui tentent tant bien que mal de survivre. Mais alors que chacun de ses personnages mène sa petite existence dans cette ambiance cotonneuse et mélancolique, un événement imprévu vient tout perturber. Une météorite, détectée par des astronomes amateurs, se dirige tout droit vers la Terre. Et si la fin du monde était pour demain?

« Les météores » est un album inattendu. Tout d’abord sur la forme, puisqu’il s’agit d’une bande dessinée de 300 pages publiée dans un format à l’italienne, c’est-à-dire en horizontal. Mais aussi sur le fond, puisqu’il s’agit d’un roman graphique choral très réussi, dans lequel on se passionne pour des personnages profondément humains, avec chacun leurs défauts et leurs failles. Blessures d’enfance, solitude, vieillesse, regrets, mélancolie, ennui, envie d’ailleurs… dans ce récit d’une grande sensibilité, le scénariste Jean-Christophe Deveney et le dessinateur Tommy Redolfi nous plongent dans des histoires de vie poignantes, avec tout ce que ça implique en termes d’injustice et de souffrance, mais aussi de joie et de solidarité. Dans cette BD, il n’est pas question de super-héros ou de faits exceptionnels, mais de la banalité du quotidien. Ce qui ne signifie pas qu’il ne se passe rien dans cette histoire, bien au contraire. La bonne trouvaille des deux auteurs est de situer leur récit choral dans un paysage où la neige est omniprésente. Cette neige, qui ne cesse de tomber sur la ville, se révèle à la fois réconfortante et pesante: elle rappelle de bons souvenirs à certains habitants, mais en même temps, c’est comme si elle recouvrait un grand manteau sur leurs souffrances et leurs blessures. Au niveau graphique, cette neige renforce à coup sûr le côté poétique des illustrations signées par Tommy Redolfi. On l’aura compris: « Les météores » est une BD qui plaira à tous ceux qui aiment les récits sensibles et mélancoliques. C’est un album à lire bien au chaud chez soi, pendant que la pluie ou la neige tombe dehors, en écoutant de la musique triste. Ces « histoires de ceux qui ne font que passer », comme le précise le sous-titre, sont à coup sûr l’une des toutes bonnes surprises de cet automne.