Alia Trabucco Zerán : Propre

Par Lebouquineur @LBouquineur

Alia Trabucco Zerán est née en 1983 à Santiago du Chili. Fille du cinéaste Sergio Trabucco et de la journaliste Faride Zerán, Alia Trabucco Zerán est avocate et éditrice. Elle a étudié le droit au Chili et l’écriture à New York. Elle termine actuellement un doctorat de littérature à Londres. Elle est également l’autrice d’un essai sur les femmes assassines. Propre, son nouveau roman, vient de paraître.

Un roman qui démarre très fort : « Et le dénouement de cette histoire, vous voulez vraiment le connaitre ? La fillette meurt. » Et Estela Garcia, femme d’une quarantaine d’années, de se lancer dans un long monologue, enfermée dans une pièce vitrée d’où on ne sait pas très bien si elle s’adresse à un policier ou un psychiatre qui lui est invisible, rôle imprévu que le lecteur se voit endosser ! « Je crois vous avoir entendus de l’autre côté de la vitre. Je parle de vous, qui prenez des notes, qui me jugerez à la fin ». Malaise.

Lentement Estela va dérouler le récit qui mènera au drame au bout de sept ans. Venue de Chiloé à Santiago du Chili, répondant à une petite annonce, elle est embauchée par un couple bourgeois, Juan Cristobal Jensen, chirurgien, « un homme plutôt vulgaire, avec un début de calvitie précoce » et sa femme Mara Lopez à quelques jours de son accouchement. Ses tâches sont banales, faire les courses et les repas, laver et repasser le linge, puis quand naitra Julia, la fillette, s’en occuper durant la journée quand les parents sont au travail. La confession d’Estela se poursuit comme une reconstitution judiciaire où elle tente d’expliquer par tous les actes et évènements en amont du drame ce qui pourrait en expliquer la cause, se déclarant coupable du décès de l’enfant, se répétant sans jamais dire la même chose exactement, recommençant ses phrases.

Le lecteur déjà dans ses petits souliers depuis les premières lignes est de plus en plus troublé par les propos de la bonne, ses pensées (souvent elle se voit comme si elle était extérieure à son propre corps, « Comme si je n’étais plus dans mon corps ; comme si j’étais déjà partie ») et ses actes (elle ramasse des cailloux qui finiront dans le mixeur qui va exploser). Pour le dire plus abruptement, elle ne semble pas psychologiquement très stable, tiraillée entre ce job fait pour l’argent qu’elle peut envoyer à sa mère et son profond désir de quitter la grande ville pour retrouver sa campagne.  

La tonalité du roman va s’alourdir avec la gamine qui refuse de manger, fait des caprices et plus tard ira jusqu’à se casser exprès un doigt pour ne pas faire de piano, épuisée par les activités imposées par son père qui la voit enfant précoce.

La mort est très présente dans ce récit, imaginée, crainte par avance, mais aussi bien réelle, un chien errant (confident d’Estela ?) qu’elle devra achever, puis sa mère dont elle n’apprendra la mort que plusieurs jours plus tard et enfin la fillette. Au loin, par inadvertance, nous apprenons que le pays est livré aux émeutes, écho à la différence de classe entre Estela et ses patrons, la bonne n’étant qu’une ombre dans la maison, ce qui l’enfonce encore plus dans sa solitude.

Un roman psychologique légèrement mystérieux, un peu angoissant par son atmosphère pesante et son drame annoncé d’emblée, très réussi grâce à l’écriture parfaitement adaptée au propos.