L’enlèvement de Sarah Popp

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

En deux mots
Sarah Popp est en Lituanie, invitée à une manifestation littéraire. Les conditions météo l’empêchant de prendre son avion du retour, elle prolonge son séjour. Après quelques jours, elle va croiser un ancien voisin qui la séquestre pour l’obliger à écrire sa biographie. Elle va s’exécuter, tout en cherchant les causes de cet enlèvement.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La romancière contrainte à écrire sa biographie

Dans un étourdissant roman à plusieurs strates, Rose-Marie Pagnard joue avec les temporalités et la fiction. La romancière suisse qu’elle met en scène, séquestrée en Lituanie pour l’obliger à rédiger sa biographie, joue avec malice de l’effet-miroir.

Sarah s’apprête à quitter la Lituanie où elle était venue participer à un festival littéraire, ravie de ses rencontres et de ses échanges. Mais à l’aéroport de Vilnius le froid et la neige tombée en quantités impressionnantes empêchent tout vol pendant quelques jours.
L’écrivaine doit prendre son mal en patience et malgré les conditions climatiques décide de découvrir le pays. Elle monte dans un bus, s’arrête au hasard, trouve une serveuse sympa qui propose de lui trouver une jolie chambre chez une dame charmante parlant un peu le français. Le contretemps s’avère finalement assez agréable. Jusqu’au jour où un mystérieux personnage apparaît. Il s’agit en fait monsieur Anders qui était son voisin dans la petite ville suisse où elle a grandi. L’ami de son père Andrik a suivi sa carrière et ses œuvres. S’il est en Lituanie, c’est aussi pour retrouver sa famille qui a fait fortune en cultivant et commercialisant des cornichons.
S’il s’immisce dans la vie de Sarah, c’est qu’il veut qu’elle mette ses talents de romancière au service de la réalité. Il veut qu’elle écrive sa biographie, en mettant l’accent pour sur les injustices qu’elle a subies, l’ostracisme dont elle a fait preuve et le drame qu’elle a vécu alors qu’elle attendait son premier enfant. Une demande qui tourne vite à la menace puis à la séquestration dans sa maisonnette roulante.
Sarah va finalement s’exécuter et raconter cette terrible année 1963, quand elle a été contrainte d’arrêter ses études et de fuir à Bâle avec Tobias, son futur mari car à l’époque une fille-mère était une paria.
Ce faisant, elle essaie de comprendre ce qui a pu motiver le vieil homme a cet acte fou, lui qui était l’ami de la famille et en particulier de son père Andrik. Ne serait-ce pas l’envie de lire sa propre histoire ?
Avec beaucoup de finesse – et autant de poésie – Rose-Marie Pagnard se joue des temporalités, nous raconte la vie de Sarah jusqu’à cet funeste année 1963, son périple lituanien et sa rencontre avec la famille Anders, ses années bâloises auprès de Tobias, son mari musicien et de sa fille Matild.
Elle joue aussi avec sa propre biographie en mettant en scène une romancière qui cherche à percer malgré tous les obstacles qu’elle rencontre. Elle parvient à placer quelques nouvelles dans des publications. Plus tard, elle sera aussi journaliste. Et c’est à cette époque, un peu avant La Période Fernandez que j’ai fait sa connaissance. Nous avons même travaillé tous deux pour l’hebdomadaire suisse Coopération, dont le siège était précisément à Bâle où vit Sarah.
Après Peter Stamm mettant en scène un écrivain dans le très réussi L’heure bleue voici donc le second roman venu de Suisse et interrogeant l’acte d’écrire, la réalité et la fiction, la recherche du mot juste. Et c’est tout aussi réussi !

L’enlèvement de Sarah Popp
Rose-Marie Pagnard
Éditions Zoé
Roman
192 p., 00 €
EAN 9782889074341
Paru le 4/10/2024

Où ?
Le roman est situé principalement en Lituanie, du côté de Vilnius et Šiauliai et en Suisse, à Bâle ainsi que dans une petite ville qui n’est pas nommée.

Quand ?
L’action se déroule de nos jours ainsi qu’en 1963 et les années qui ont suivi.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sarah Popp, écrivaine, est en Lituanie pour un festival de littérature. Son séjour prend un tour imprévu quand, à cause de la neige, le vol de retour est annulé, puis qu’elle tombe sur monsieur Anders, son ancien voisin. Ce vieil homme aussi tendre que fou n’est pas là par hasard : il l’a traquée pour la convaincre d’écrire sur une chose qui lui est arrivée, il y a bien longtemps, dans la petite ville où elle a grandi. Sarah refuse. S’engage alors une virée rocambolesque dans la forêt lituanienne.
À sa manière malicieuse, Rose-Marie Pagnard révèle ce que risquaient, dans les années soixante, les jeunes filles amoureuses. Son roman, inquiétant, onirique et traversé de fulgurances, est autant une réflexion sur l’écriture de soi qu’une déclaration d’amour à la fiction et à son pouvoir de réenchanter la réalité.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog de Francis Richard

Rose-Marie Pagnard présente « L’Enlèvement de Sarah Popp » © Production Éditions Zoé

Les premières pages du livre
« Elle se blottit sous l’édredon avec sa fatigue et sa joie, les pieds glacés, le cœur en feu. Se répétant que le Festival de littérature a pris fin ce soir, que désormais il s’appellera souvenir, jaune d’or, vert sapin, rouge sang, les couleurs du drapeau de ce pays.
Comme elle a aimé voyager à travers la Lituanie en compagnie d’autres écrivains ! Aimé se battre contre le froid, venir à bout des nuits férocement noires, aimé aussi parler français, allemand, anglais, ses grosses lunettes de soleil sur le nez ! Maintenant, dans ce lit, rien que de penser au lendemain, à l’avion qui traversera le ciel et la déposera en Suisse, Sarah Popp a envie d’embrasser cette modeste chambre d’hôte, les trois petits tapis bigarrés étendus à la queue leu leu, la vitrine bourrée de minuscules animaux sculptés dans de l’ambre, la poignée de la porte, ses bottes qui ont l’air de l’attendre.
Se réjouir lui trouble la tête, s’ajoute à cela qu’elle a trop bu, juste une gorgée de vodka, puis une autre, et une autre… on est tous attendris, on se regarde dans les yeux, on essuie une larme, on désire marquer le bout d’une aventure et brusquement il est passé minuit, la fête est finie, chacun rentre dans sa pension, oui, les choses se sont passées ainsi, et Sarah est arrivée dans cette chambre presque à genoux de fatigue et de toasts portés aux merveilles de l’écriture.
Dehors, une rafale chasse l’autre, la neige tombant et tombant encore comme d’une machine de théâtre atmosphérique. La température chute en un rien de temps. Dans cette petite rue du vieux Vilnius, le silence est une ivresse et l’ivresse une sensation de mouvement, cette chambre comme poussée déplacée dans l’espace en direction d’on ne sait quoi de vacillant, une maison de fous, un pré de hautes herbes pliées sous l’orage.
Les yeux déjà fermés, Sarah essaie de se rappeler le chemin à suivre, à l’aube, pour atteindre la gare routière, et le numéro du bus pour l’aéroport, oh ! comment je fais, comment ? Dans son sommeil, on lui montre les quatre points cardinaux : il surgira un taxi, une bonne étoile, une lumière. Dors !

UN DIMANCHE SANS AVION
À l’aéroport de Vilnius, tous les vols sont annulés. Trop de neige, trop de gel. Vous devrez patienter pour votre retour en Suisse. Combien de jours ? demande Sarah. Trois ? Dehors il fait encore nuit, mais derrière la paroi vitrée du hall, sous les lampes à gaz, des créatures sans visage, des machines, attaquent des montagnes blanches et luisantes. Des femmes se tiennent des deux mains à leur pelle à neige et restent là, en plein vent. Il est six heures du matin et la vie pousse toute l’humanité en avant. Et ce froid : net, pur comme une décision prise au réveil quand rien n’est encore arrivé, quand on se sent d’un coup libre d’attendre sur place ou de bouger, libre d’être raisonnable ou faible, faible comme pendant une maladie d’enfant et en même temps enfiévrée de fantaisie.
Puisque l’avion ne décolle pas, je vais m’envoler d’une autre façon : c’est incroyablement rapide, cette décision, comme si elle avait d’un petit coup de l’ongle brisé sa coquille et distingué dans le brouillard une caravane de vieux tableaux colorés attendant qu’elle, Sarah Popp, leur coure après et se penche aimablement sur leurs histoires invraisemblables. En vérité on ne voit pas bien loin, même pas loin du tout, la lumière du hall blesse les yeux, les pieds souffrent, le départ reporté secoue le cœur. Pourtant, cette onde voluptueuse ? Un amour subit de la neige, des minuscules piquants tombant d’un tamis spatial sur son visage.
Devant le distributeur de cigarettes, elle jette un coup d’œil sur son reflet dans la vitre : longue femme aux longs cheveux bruns sous un bonnet de fourrure brune. Elle aura cinquante-neuf ans à Noël, Tobie et leur fille Matild lui jureront tu ne changes pas, un mensonge sincère capable en un instant d’effacer les petites rides, les paupières rouges… la sveltesse et la façon de bouger, ça oui, pas de changement. Elle sort du hall, reprend un bus qui la ramène à la gare routière de Vilnius et là, elle monte dans un autre de ces véhicules, au hasard.
Elle s’assied à l’avant, son sac de voyage et son sac à dos sur le siège à côté, son manteau jeté par-dessus. Une jeune femme lui offre aussitôt des boulettes de pommes de terre, des cepelinai fourrées au fromage, le conducteur chante, la radio à plein tube pour tous les passagers. Des tronçons de pipeline bleu violet sautent dans la lumière des phares de chaque côté de la route, comme des dauphins dans la buée des vitres.
Un garçon placé de l’autre côté du couloir fait semblant de lire tout en l’observant la bouche ouverte. Sarah lui dit en français : vous pouvez tourner les pages, ça ne me dérange pas ! Il sursaute, son livre glisse et rebondit sur les bottes de Sarah, la couverture bien visible, avec en lettres dorées : Harry Potter à l’école des sorciers. Sarah lui demande s’il étudie le français, elle se sent maternelle, c’est un beau garçon de quinze, seize ans, le nez fin comme une lame de neige durcie, les mains fines et blanches aussi. Français difficile, j’apprends à lycée, j’aime histoires Potter. Il le lui confie en se rapprochant, elle pourrait toucher la peau rose de son crâne où le peigne a séparé ses cheveux blonds. Ils se parlent avec l’air de se comprendre parfaitement. À un moment de leur drôle de conversation, l’éclairage intérieur du bus s’éteint (pas les phares, obligatoires dans ce pays). Ce changement de lumière envoie de petites décharges dans les corps, les yeux doivent faire connaissance avec les bandeaux de lumière rosée qui bordent l’horizon avant de voguer dans le ciel blanc. Touriste ? demande en français le garçon. Sarah n’éprouve en général pas le besoin de dire ce qu’elle fait, mais voilà qu’elle répond j’écris des romans de fiction, des histoires imaginaires, et qu’elle s’excite, regarde de tous les côtés comme pour s’assurer qu’à part cela, la réalité, la réalité réelle existe.
Les histoires inventées, les aventures d’Harry Potter, les occupent agréablement, le garçon et elle, pendant une demi-heure peut-être. Quand ils ne se parlent pas, elle regarde le paysage, se tourne pour voir la route qui s’allonge derrière le bus. Une fois elle remarque un véhicule blanc, qu’elle prend d’abord pour un camion ordinaire avant de deviner une sorte de maisonnette collée derrière la grosse cabine du conducteur, lequel reste caché par l’angle de vue. À un arrêt, le garçon en vitesse rassemble ses affaires, il se retourne sur le marchepied, a juste le temps de crier dans le vacarme du moteur sudie ! écrivez ta vie, vieille madame ! À son tour elle crie sudie ! adieu ! bonne chance ! pliée de rire.
Le bus repart. Sarah secouée par les mots de ce petit malin et par l’accélération. Le calme revenu, le balancement régulier de cette boîte roulante l’endort. Elle rêve. On lui ordonne de remplir un formulaire, mariage, études, enfance, ses yeux brûlent dans la fumée d’un feu de camp, comment est-ce possible, comment ses gentils collègues du Festival ont-ils pu l’abandonner ? Mais ils l’ont fait, vous voyez ? l’ont simplement laissée à l’ancien poste militaire russe de Zokniai, près de Šiauliai, et ce type bien rasé, en capote brune et casquette brodée de petits aéroplanes lui fait les yeux doux, tu ne veux pas coucher avec moi ? Elle jette le formulaire dans le feu, se sent courir les jambes folles entre des milliers de croix, pourries, décorées, superstitieuses, épouvantables, son manteau vole dans la neige, elle dit je n’en peux plus de ces trucs religieux macabres, pas besoin, n’en ai tout simplement pas besoin…
Elle se réveille de ce rêve et regarde le paysage, les champs de plus en plus lumineux, les pipelines, le tracé droit de la route, les tas de neige sale. Elle mange du pain de seigle tartiné de myrtilles, la femme aux boulettes de viande, depuis que le garçon est parti, veut partager toutes ses provisions avec Sarah. Elles échangent des sourires, chacune papote dans sa langue, Sarah dit que son mari est pianiste, et aussi cuisinier à temps partiel dans une école privée, oui oui, cuisine ! manger ! Elle sort avec ces mots toute une gamme de gestes un peu ridicules, elle s’amuse.

SE LAISSER CONDUIRE ET SIMPLEMENT PENSER
Entre Sarah et Tobie circulent des questions à propos de tout. Sens de l’existence humaine, faits d’actualité, et cetera. Que ressent celui qui décapite un homme ? Que ressent la mère de celui qui décapite un homme ? Les pleurs sont-ils aussi nécessaires que la parole ? Pourquoi ma Sarah, ma Sarahline, trouve-t-elle si affreuse l’incinération des morts ? Qu’est-ce qu’une prémonition et dans quelle mesure faut-il en tenir compte ? L’imagination préfère-t-elle la beauté ou le mal ? Comment se crée la musique dans le cerveau d’un compositeur ? D’où vient la fantaisie inventive de notre fille Matild ? Les premiers humains ont-ils d’abord eu conscience du sucré ou du salé ? Et ainsi de suite.
Pour elle-même, Sarah ajoute : pourquoi notre cuisine mesure-t-elle douze mètres de long la journée et seulement deux la nuit ? Sarah répond : parce que, la nuit, j’y viens seule, pour calmer mes cauchemars et mes jambes, j’y viens et je reste dans un petit coin, une crypte culinaire, une clarté tombe sur le plan de travail de Tobie, six bocaux d’olives luisent, paisible compagnie, oh ne t’aventure pas dans les ténèbres derrière, reste là, et je mange un petit fruit vert, ou noir, j’aime dévisser et revisser les couvercles en métal si doux. Oui, la cuisine se réduit alors à un espace de presque rien, cette cuisine dont il reste beaucoup à dire.
Ce dimanche matin, à l’aéroport, Sarah a téléphoné à Tobie pour l’informer qu’elle n’arrivera que dans deux ou trois jours à Bâle. Qu’elle l’aime. Que la neige et le froid font bourdonner les oreilles, montent aux cuisses, qu’elle retourne à Vilnius avec l’envie de prendre un bus pour explorer les environs, je ne sais pas trop, a-t-elle dit. Qu’elle l’aime tant. Oui, les bus circulent sur la neige et le verglas, les autres véhicules aussi, elle a confirmé, et Tobie s’est pris la tête, là-bas en Suisse, dans sa cuisine, il s’est demandé si les conducteurs dégonflaient légèrement les pneus de ces véhicules pour rouler dans la neige, comme le font les Finlandais.
— Sarah, Sarahline, tu es seule ? a voulu savoir Tobie.
— Mmm.
— Alors seule pendant trois jours, troisjourstroisjourrrr ????
Ça caracolait dans l’écouteur, entre Bâle et Vilnius. Sarah a lancé :
— Je te porte en moi.
En espérant qu’il ne s’inquiète de rien. Mais Tobie au contraire a semblé tout à coup s’enthousiasmer pour ce retard, avant qu’ils raccrochent il a répété promène-toi, accepte ce qui arrivera.
J’ai mal compris, a-t-elle pensé sur le moment. Elle trouve délicieux et éprouvant de l’aimer dans cette solitude inattendue. Quelquefois – elle y pense dans ce bus lituanien pris au hasard –, quelquefois quand elle roule seule en voiture en dehors de la ville, elle s’envole dans ces deux sensations, elle se réjouit d’arriver à la maison et en même temps elle aimerait que le voyage, les changements de vitesse, la musique à la radio, le paysage, que cela ne s’arrête jamais. Voilà pourquoi je ne dois pas être malheureuse de rester encore un peu dans ce pays, se rassure-t-elle. Pourtant, à l’aéroport, les derniers mots de Tobie, ce qui arrivera, lui ont donné des frissons, elle a fabulé, a imaginé Tobie la tenant par les cheveux au-dessus d’un creux dans un champ où ils s’étaient aimés avant leur mariage et lui criant qu’il s’en va pour toujours, qu’il la laisse tomber… Voyons, Sarah Popp, tout va bien, sois simple !
Sa tartine lituanienne à la main, Sarah essaie de se détendre, elle pense maintenant à Matild, se demande si Tobie l’a informée qu’elle rentrait plus tard en Suisse. Leur fille Matild souvent injoignable. Depuis un mois elle tourne au Japon avec son Théâtre des Robots, une toute petite formation, elle et trois hommes, tous fascinés par la robotique, acteurs-nés, combineurs-nés, bruiteurs, chanteurs, marionnettistes »

Extraits
« Tout en s’habillant, dans cette chambre d’hôtel à Šiauliai, elle avait laissé venir dans son monde intérieur la naturaliste Maria Sybilla Merian, une femme qui avait existé, un modèle de liberté féminine, de génie féminin, mais bon, Sarah s’éprend de celui-ci ou de celle-là, sans forcément en faire des personnages romanesques, le processus qui conduit à l’écriture d’un roman ne s’explique pas, il se sert de passions si incongrues! de points de vue quelquefois impossibles à défendre! Ces prénoms, par exemple, Maria Sybilla.… Si mélodieux, romanesques ! et le fait que cette femme ait quitté mari et pays, qu’elle ait en compagnie de sa fille parcouru les forêts sauvages du Surinam vêtue de larges robes, armée de filets, pinces, pièges à insectes, de pinceaux, cahiers, crayons, et cetera… ! Sarah voit une nuée de fleurs exquises et de papillons gravés sur de fines feuilles de papier, mais elle peine encore à imaginer ne serait-ce qu’une petite scène se déroulant en 1969 ! » p. 30

« son souvenir est flou, mais le fait est qu’il avait distribué trop de coupons pour le lait à des femmes qui l’avaient embobiné avec leurs histoires de famille. Une amende colossale lui était tombée dessus, et depuis, personne dans la pelite ville n’avait plus voulu l’embaucher. Il était à part, et sa femme et maintenant leur fille Sarah étaient à part aussi, bien que le temps ait passé et que son acte illégal ait été réparé les habitants de la petite ville voulaient que lui, Andrik, et sa femme et leur fille restent à part. Condamnés leur vie durant. Oui, il se pourrait qu’on doive elle et moi parler à cœur ouvert de cet acte aussi. Peut-être que les enfants morts et l’acte illégal vont obligatoirement ensemble ? S’il pouvait à cet instant exprimer à voix haute ce qui lui passe par la tête, il finirait par devenir aussi calme que ces draps suspendus dans le soir d’été. Mais avec des si, ça ne marche pas. » p. 71

À propos de l’autrice
Rose-Marie Pagnard © Photo DR – Zoé

Née en 1943 à Delémont, Rose-Marie Pagnard vit aux Breuleux (Jura). Journaliste et écrivaine, sa plume mêle les genres, les tons et les registres. Elle est la lauréate de nombreux prix. Ainsi, elle a obtenu, en 2007, le Prix de la Commission de littérature de langue française du Canton de Berne et, en 2014, un des Prix suisses de littérature pour J’aime ce qui vacille. On lui doit également La Période Fernandez (1988, Actes Sud, prix Dentan), Dans la forêt la mort s’amuse (1999, Actes Sud, prix Schiller), Janice Winter (2003, éditions du Rocher, Points Seuil), J’aime ce qui vacille, 2013, Zoé, Prix suisse de littérature) oue ncore Gloria Vynil (2021). (Source : Éditions Zoé / ViceVersa)

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