Mes vrais enfants

Par Mana_


Née en 1926, Patricia Cowan finit ses jours dans une maison de retraite. Très âgée, très confuse, elle se souvient de ses deux vies. Dans l’une de ces existences, elle a épousé Mark, avec qui elle avait partagé une liaison épistolaire et platonique, un homme qui n’a pas tardé à montrer son véritable visage. Dans son autre vie, elle a enchaîné les succès professionnels, a rencontré Béatrice et a vécu heureuse avec cette dernière pendant plusieurs décennies. Dans chacune de ces vies, elle a eu des enfants. Elle les aime tous… Mais lesquels sont ses vrais enfants : ceux de l’âge nucléaire ou ceux de l’âge du progrès? Car Patricia ne se souvient pas seulement de ses vies distinctes, elle se souvient de deux mondes où l’Histoire a bifurqué en même temps que son histoire personnelle.

Pourquoi ce livre ? Tout est parti d’un pari avec mon libraire préféré ! En réalité, on parlait tranquillement des nouveautés : il en a comparé une à Katherine Arden, autrice qu’il affectionne et qu’il a ensuite comparée à Jo Walton. Le bât a blessé, étant donné que j’ai très vite abandonné le catalogage que représente pour moi Morwenna. Bref, le fameux libraire m’a parlé de Mes vrais enfants et m’a dit tel quel : “je t’assure que tu vas aimer. Autrement j'arrête ma carrière de libraire !” (et il est le président de la coopérative, ahah). Autant je n’avais pas envie qu'il perde son métier, autant j'étais maintenant très curieuse de lire ce bouquin sur lequel il pariait son avenir… à tel point que je l’ai entamé trois jours après son achat.
La mise en contexte fut pour moi très difficile. On suit l’enfance et l'adolescence de notre protagoniste, Patricia. Sans aller jusqu'à m’ennuyer, ce début a manqué d'intérêt à mes yeux, même si cette phase introductive est en réalité nécessaire pour la suite. Un petit élément déclencheur, qui fait tout le sel de l’intrigue, survient environ à la page 75 et là, je n’ai plus lâché mon livre de la journée. Oui, il fut lu sur un jour et donc oui, j’ai adoré cette lecture !
Autre travers de Trish et Pat, Jo Walton confronte ici une vision traditionnelle de la société à une autre plus moderniste. Dans un premier temps, j’ai adoré le procédé employé pour déterminer qui est qui dans chaque chapitre. Sans être original, c’est surtout le fait que l’autrice ne nous prend pas par la main pour nous expliquer son système qui m’a beaucoup plu : il appartient au lecteur d’être vigilant.
Au cours de ma lecture, j’ai été davantage intéressée par le personnage de Pat. Celle-ci va à contre-courant de tout avec son amie et possède de bonnes idées pour franchir les différents obstacles, que ce soit les institutions ou le regard des autres.La famille moderne qu’elle se compose et les sentiments qu’elle développe pour ses proches en font quelqu’un de passionnant à suivre, tout comme son métier et sa spécialisation, tout comme ses guides touristiques sur un pays méditerranéen. L’accélération finale m’a mis un coup au cœur : en plus de pointer du doigt la connerie humaine vis-à-vis des couples non-hétéro, Jo Walton dresse le paysage d’un monde brisé par les guerres et le nucléaire. Des dénonciations vitales glissées en arrière-plan tout au long de l’intrigue, qui prennent toute leur ampleur dans les tous derniers chapitres.
Tricia connaît une vie plus classique, supportant un ménage qui ne reste à la surface que par l’existence de la progéniture. Si son quotidien reste morne la majeure partie de sa vie, le gros tournant de son histoire porte là aussi une ode à la féminité et à l’émancipation. La force de ce possible devient alors éclatante.
La conclusion de ce périple hors du commun est parfaite. Ouverte et tendancieuse, le lecteur est, à son tour, libre de choisir sa propre fin, libre de laisser parler sa préférence et son affection.
Je me suis profondément attachée aux personnages, notamment parce que Jo Walton construit son intrigue comme un récit de vie, ce que pouvait être le quotidien d’une femme à l'époque. Ma préférence va pour Pat, libérée et rayonnante, mais Trish aura également gagné mon estime. Les autres personnages sont plutôt nombreux, étant donné que chacune fonde sa famille. Je les ai tous adorés, en dehors du mari dépeint comme le connard de l’histoire. J’ai une profonde estime pour Michael, qui aura tout sacrifié pour ce couple de lesbienne hors norme. Ce livre est un message de féminité, sans toutefois enfoncer la cause masculine avec des hommes uniquement mauvais.
Mon libraire a comparé le style de Jo Walton à celui de Katherine Arden et, avec le recul, je suis entièrement d’accord avec lui. C’est doux, posé, dans une ambiance très cocon, malgré les différents thèmes posés. C’est également cette douceur qui m’a conduite à le lire d’une traite.


18/20