Dans le vrai faux appartement de Jeanne Dielman

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe
LU & approuvé

Clarisse Michaux.

  C'est un mince petit format broché. Son jaune tendre est barré d'un titre énorme, énigmatique. "La gaieté me sidère" (Editions Hourra, 72 pages, diffusion-distribution Serendip & Paon). Son auteure, Clarisse Michaux, nous en dit un peu plus dès la couverture tournée: "Poèmes en dialogue avec le film/  Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles/  de Chantal Akerman/ 1975".
  OK. On s'y lance et on se retrouve pris dans ces mots de prose poétique écrits d'un seul jet - comme le film avait été tourné. Dans un texte occupant peu ou beaucoup le blanc de la page, celle qui est née à Bruxelles vingt ans après le tournage du film nous propose un dialogue entre l'aujourd'hui de sa visite sur place au Quai du Commerce et l'hier de l'héroïne, interprétée par Delphine Seyrig. On visite l'appartement, le "vrai faux appartement" puisqu'il s'agit d'un tournage. On approche du personnage. On suit Jeanne Dielman, veuve,  et son fils adolescent. En cercles concentriques, la doctorante en philosophie attrape son sujet, lève son filet. Elle réjouit le lecteur de sa prose blanche et inventive, l'immerge dans la vie de cette anonyme partagée entre la cuisson des patates et le sexe tarifé jusqu'à une scène définitive. Et dans une finale magistrale, Clarisse Michaux explique son lien personnel avec le film de Chantal Akerman (1950-2015). Poésie, récit, philosophie, analyse, certes un Objet Littéraire Non Identifié que ce "La gaieté me sidère" mais assurément une réussite littéraire valent clairement le détour.

Remarque: pas besoin d'avoir vu le film "Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles" pour apprécier "La gaieté me sidère". A noter que Clarisse Michaux avait déjà oublié la nouvelle "Bleu parking" dans la collection "Opuscule" des éditions Lamiroy en 2020.

Présenté à Cannes en 1975, le long-métrage de Chantal Akerman "Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles" est longtemps resté confidentiel. Il fallait être cinéphile pour admirer ce récit féministe de plus de trois heures, relatant le quotidien répétitif d'une femme au foyer, qui se prostitue en fin de journée. Revanche: le film a été consacré en 2022 par des critiques du monde entier "plus grand film de l'histoire", dans un classement établi par la revue anglaise Sight and Sound.

 

 Pour lire en ligne un extrait de "La gaieté me sidère", c'est ici.