Finaliste du Prix Goncourt 2024
En lice pour le Prix du roman des étudiants France culture
En deux mots
À l’image de ces îles qui disparaissent, englouties par le réchauffement climatique, la mémoire du père de la narratrice s’enfonce dans la nuit. Alors, il y a urgence à tenter de le retrouver, le recréer. C’est dans son atelier à l’abandon qu’elle va mener sa mission, faisant parler objets et documents.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Avant que les souvenirs ne disparaissent
Hélène Gaudy raconte la quête qu’elle a menée pour retrouver la vie de son père. En déambulant dans son atelier de peintre, en faisant parler les objets, en allant à la chasse aux souvenirs. Un hommage émouvant, une leçon d’écriture.
L’image est parlante. La mémoire du père de la narratrice est comme l’île qui porte son nom, au sud de la Louisiane. Elle s’enfonce doucement, jour après jour, et va bientôt disparaître. Comme on a renoncé « à construire les digues qui auraient pu la protéger », l’Isle de Jean-Charles est en train de sombrer. Alors, il y a urgence à sauver tout ce qui peut encore l’être.
« Mon père m’a toujours dit qu’il n’avait pas de souvenirs d’enfance. On n’a pas de souvenir de ce qui dure en soi, de ce qu’aucune digue n’arrête. De ses premières années, et même de sa jeunesse, ne lui restent que des images flottantes, comme s’il s’était construit sur du sable, sur un sol inondé et spongieux, et je le vois – son corps compact, petit mais tellement dense, et le poids de sa main comme du plomb dans la mienne – planté droit dans un sol qui sans cesse se dérobe ».
Pour sa fille, il va falloir partir comme une exploratrice vers ce père artiste peintre amnésique. Tenter de rassembler les souvenirs, les lieux – « lui qui aime tant les paysages ne m’a rien dit ou presque de ceux qu’il a habités » –, les impressions et la « multitude de branches singulières » qui le constituent. Un voyage fait d’incertitudes et de doutes, un voyage incertain.
« Je me demande si mon père et moi nous sommes vraiment découverts. Si nous ne nous sommes pas reposés sur la certitude tranquille que nos vies finiraient par se rencontrer. »
C’est dans l’atelier de l’artiste, aujourd’hui déserté, que sont rassemblés œuvres et objets qui ont accompagné, façonné, construit sa vie. Et qu’il a précieusement gardé.
C’est aussi là que les documents et les photos témoignent d’une existence commencée en 1938 – mon père est tout petit au début de la guerre. La guerre est le commencement de sa vie – et qui défile entourée de ses parents, eux aussi acteurs de cette chronique, car ce sont eux qui l’éduquent, lui inculquent des valeurs.
L’homme qui se construit au fil des ans va toutefois conserver quelque chose de son âme d’enfant. Il restera volontiers joueur, inventant le nom de la petite ville où il habite, Muzainville, afin de pouvoir en écrire l’histoire avant de s’en émanciper. Puis viendront les premières amours et l’épisode traumatique de la Guerre d’Algérie qui va laisser des traces que n’effaceront pas tous les voyages qui suivront, ni l’œuvre picturale. Impossible dès lors de faire le tri entre la sentinelle et l’anarchiste, l’archiviste et l’activiste. « Que reste-t-il aux enfants de ces histoires à peine vécues par leurs parents, de cette électricité qui le parcourt, le soir, quand il est seul, et ne trouve au matin aucun corps conducteur. »
Hélène Gaudy s’interroge et nous interroge. Mais elle sait aussi combien le fait de rassembler les faits et les histoires permet de donner un sens à cette vie qui s’en va. Un hommage magnifié par une plume étincelante et de superbes images. Alors le travail de l’auteure prend tout son sens.
« Écrire c’est prendre la main sur ce travail de tri, choisir de quoi notre mémoire sera faite, Je veux mon père dedans. Je veux tout garder. Mais lui, il écrit ailleurs, à côté. »
NB. Tout d’abord, un grand merci pour m’avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
Archipels
Hélène Gaudy
Éditions de l’Olivier
Roman
286 p., 21 €
EAN 9782823621150
Paru le 21/08/2024
Où ?
Le roman est situé principalement en France, à Paris. On y cite aussi Menton, Dreux, Belle-Île et la Beauce, notamment à Poisvilliers, Pierres, Chartres, Trouville, Caen, Lisieux, Nogent, Blois, Châteauroux, Le Puy, Aubenas, Avignon, Arles, Marseille, Orange, Les Saintes-Maries-de-la-Mer, Vaison-la-Romaine, les gorges du Tarn, Les Eyzies, Lascaux puis Oran et Kenadsa en Algérie avant Houlgate et Cabourg. Puis viendront le Liban, la Syrie, Jérusalem, Byblos ou encore l’Égypte et l’île Callot.
Quand ?
Le roman se déroule de nos jours, avec des retours en arrière jusqu’en 1938.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Aux confins de la Louisiane, une île porte le prénom de mon père. Chaque jour, elle s’enfonce un peu plus sous les eaux. »
Il a fallu que son esprit vogue jusqu’à l’Isle de Jean-Charles pour qu’elle se retrouve enfin face à son père. Qui est cet homme à la présence tranquille, à la parole rare, qui se dit sans mémoire ? Pour le découvrir elle se lance dans un projet singulier : lui rendre ses souvenirs, les faire resurgir des objets et des paysages.
Le premier lieu à arpenter est l’atelier où il a amassé toutes sortes de curiosités, autant de traces qui nourrissent l’enquête sur ce mystère de proximité : le temps qui passe et ces grands inconnus que demeurent souvent nos parents. Derrière l’accumulateur compulsif, l’archiviste des vies des autres, se révèlent l’homme enfant marqué par la guerre, l’artiste engagé et secret. Peu à peu leur relation change, leurs écritures se mêlent et ravivent les hantises et les rêves de toute une époque.
À travers cette géographie intime, Hélène Gaudy explore ce qui se transmet en silence, offrant à son père l’espoir d’un lieu insubmersible – et aux lecteurs, un texte sensible d’une grande beauté.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Collateral (Johan Faerber)
France culture (La conversation littéraire)
Diacritik (Julia Simon)
En Attendant Nadeau (Gabrielle Napoli)
Addict Culture
Non fiction (Anne Coudreuse)
Blog Le clavier cannibale
Blog Les lectures de Cannetille
Blog Littéraflure
Blog froggy’s delight
Hélène Gaudy présente « Archipels » © Production Librairie Mollat
Les premières pages du livre
« BAYOU
Aux confins de la Louisiane, une île porte le prénom de mon père.
Chaque jour, elle s’enfonce un peu plus sous les eaux.
J’ai appris, en même temps que son existence, qu’elle s’apprêtait à disparaître.
Par curiosité je suis allée voir, sur un logiciel de cartographie virtuelle, à quoi elle ressemblait : à peine une terre, juste un ruban survivant parcouru des lacis immobiles d’une eau pâle. À peine une île, un réseau de rives poreuses, ligneuses, enchevêtrées. L’Isle de Jean-Charles, oubliée des Amériques, bout du bout du bayou.
Des poteaux croisent la ligne d’horizon, doublée par des fils électriques. Du bleu, du bleu, des pierres, quelques touffes d’herbe, rien pour faire concurrence à la mer irisée des rejets des industries pétrolières.
La bien nommée Island Road est un cordon qui surnage entre le ciel et l’eau, reliant l’île à la côte dans un matin vaste et éclatant, immortalisé par la mauvaise photographie des camions de Google. De temps en temps, un panneau tente de rappeler que le temps existe, le temps et la distance, que quelque chose un jour viendra briser cette droite, ce bitume, cette lumière. Ce que le dernier panneau a un jour indiqué est effacé – une surface blanche, muette, maculée de rouille ou de terre.
Autour de la route, aucune échappée. Rien que des arbres en rideaux, des arbres d’espèces inconnues, au feuillage épais, dont mon père ne m’a pas appris les noms puisque ensemble nous n’avons jamais traversé l’Atlantique, juste marché, dans les très vieux dimanches, au cœur des forêts de l’Yonne, où parfois à l’aube nous ramassions des champignons.
Un pick-up est garé sur le bas-côté. On se demande où a bien pu disparaître son propriétaire puisqu’il n’y a nulle barque échouée sur le rivage, nulle silhouette saisie sur le bord de la route. Ce véhicule : la trace d’un pur évanouissement.
Si j’avais dû imaginer un lieu pour mon père, donner un tour géographique à son visage, à sa présence la forme d’une île, j’aurais choisi un paysage d’un vert plus printanier, moins sourd, des falaises imprenables et des vallons aimables, des forêts semées d’essences simples et rustiques, d’arbres de peintures naïves.
Une île fermée comme un poing, secrète comme les poèmes qu’il a toujours écrits sur de minuscules feuillets volés aux marges des papiers officiels, découpés à la main et fourrés dans les poches de ses chemises à carreaux, ces poèmes griffonnés n’importe où, au risque de se faire prendre pour un espion par les autres passagers du bus, ces poèmes polis comme des pierres, où aucun mot ne manque, où aucun n’est de trop, dont chaque phrase est limpide mais dont le cœur reste insaisissable, ces poèmes où j’ai toujours été persuadée que dormait une énigme dont la résolution m’apparaîtrait un jour si je persistais à les lire.
Une île avec du relief, des vallées, des plages, une île d’enfance puisque la sienne semble ne jamais finir, avec ce que l’enfance a aussi d’escarpé, d’obscur – avec ses gouffres, ses grottes, ses ravins, ses zones d’ombre.
L’Isle de Jean-Charles est menacée par les aménagements des rives du Mississippi, le réchauffement, les forages pétroliers, la mer qui l’érode et rogne ses contours. On a renoncé à construire les digues qui auraient pu la protéger. On l’a sciemment laissée sombrer. Ici vivent encore les derniers Amérindiens francophones, devenus les premiers réfugiés climatiques d’Amérique. Leurs légendes, rarement écrites, circulent dans les voix de ceux qui vieillissent, se disséminent à mesure que les maisons de bois sont soufflées par les ouragans.
L’île garde ses histoires enfermées dans ses noms : au sud, le lac Tambour et le lac Chien, les baies Bourbeux et La Peur, la marina de la Pointe-aux-Chênes, des noms comme l’écho de récits qu’on aurait oubliés et dont ne resteraient, perdus dans une géographie liquide, que l’ombre d’un chien ou la peau d’un tambour qui cogne sur le cœur.
Ceux qui vivent là, et tout ce qu’ils vont perdre, les saisons, les gestes, les détails et les bêtes, échappent à l’image.
De plus en plus souvent, j’y retourne. Sur l’écran, je regarde défiler le paysage avec une attention qui est aussi une inquiétude. L’illusion du mouvement donne l’impression de prendre, à l’œil nu, la mesure de sa dissolution, comme s’il pouvait s’effacer au moindre instant d’inattention.
La presque totalité de l’île a déjà été avalée par les eaux, disséminée, limon, poudre, sable, éclats de pierre et de bitume, fragments baladés par le fleuve et les crêtes des vagues du golfe du Mexique. On ne sait où commence l’océan, où s’arrête la rivière. Bientôt, on ne saura plus où s’arrête ni où commence la terre.
*
Mon père m’a toujours dit qu’il n’avait pas de souvenirs d’enfance. On n’a pas de souvenir de ce qui dure en soi, de ce qu’aucune digue n’arrête. De ses premières années, et même de sa jeunesse, ne lui restent que des images flottantes, comme s’il s’était construit sur du sable, sur un sol inondé et spongieux, et je le vois – son corps compact, petit mais tellement dense, et le poids de sa main comme du plomb dans la mienne – planté droit dans un sol qui sans cesse se dérobe.
Depuis que je pense à l’île, je pense à lui.
À sa présence tranquille, jamais interrogée.
À son mystère trop proche pour soupçonner son étendue.
À l’amnésie qui couvre sa vie d’une couche si solide qu’on la prend pour une peau.
Lui qui aime tant les paysages ne m’a rien dit ou presque de ceux qu’il a habités. J’ignore les décors de sa vie, les images qui l’ont constituée. Dans ce terreau instable, sans aucune racine visible, ont poussé une multitude de branches singulières : ses passions nombreuses et successives, sa parfaite indifférence pour son propre corps, ses vêtements et son apparence, qui le poussait à dire à ma mère, quand elle s’achetait un pantalon, Mais enfin tu en as déjà un, ses curieuses manies culinaires, mixtures odorantes fermentant au frigidaire, sa barbe désormais presque blanche, si associée à son visage que je ne peux dévisager sans malaise, sur les photos de sa jeunesse, cet imposteur à la peau nue, aux joues roses, mon père, petite silhouette trapue surmontée, en hiver, d’une chapka qui lui tient les oreilles au chaud et lui donne l’air d’un vieux Russe perdu en plein Paris, rescapé d’une période indéfinie tant il semble traverser les époques sans rien sacrifier à leurs exigences, refusant de posséder une carte bleue, un téléphone portable, s’obstinant à vivre comme il a toujours vécu, seulement contraint de retrancher à ses activités celles que la fatigue rend pénibles mais continuant à courir les lieux qui satisfont sa curiosité toujours vaillante, ne développant aucune acrimonie contre le monde tant qu’il peut se frayer, dans ses marges, une place qui lui convient.
Un homme enfant qui ne sait rien de son enfance, à la fantaisie inébranlable et au sérieux inquiet, un homme qui, toute sa vie, s’est efforcé de sauver ce qu’il pouvait sauver alors que son propre passé lui reste inaccessible.
Depuis toujours, il glane, il entasse. Avec ses trouvailles, il se construit des murs, des montagnes, pieds de nez à l’arasement, à la dissolution, à l’oubli, partie émergée d’une île qui seule garde contact avec les profondeurs dans lesquelles il s’enfonce, et dont je n’ai jamais rien su.
*
Un après-midi d’octobre, j’ai pris rendez-vous avec mon père. Un rendez-vous, c’est étrange, ça brise, d’un coup, le couple fusionnel que forment mes parents, toujours ensemble dans l’appartement où j’ai grandi, comme si rien, jamais, ne devait changer.
Nous nous retrouvons à la table d’un café ensoleillé, assis l’un en face de l’autre, comme deux vieux amis, dans la rumeur d’un match de foot retransmis à la télé. Il ne porte pas ses lunettes, le bleu de ses yeux est intense, un peu trouble. Bien sûr, il a vieilli. Ça ne me frappe que là, dans ce café, comme si ce moment partagé venait soudain se ficher dans notre temps commun et en dévier le cours.
Il suffirait de traverser la rue pour s’asseoir où nous nous asseyons toujours, endosser nos rôles familiers. Mais ce jour-là, tout est différent : j’ai dû faire un détour par la Louisiane pour le voir, lui, en face de moi.
Il y a la lumière singulière de l’automne, très vaste, très douce. D’un coup, il me semble sorti des préoccupations habituelles, familiales, et le temps redémarre comme une photographie se transforme en un film – oui il a été jeune et oui il va, aussi, continuer à vieillir.
Je me demande s’il me voit différemment des autres jours, s’il discerne toujours dans mes traits l’enfant que j’ai été puis l’adolescente fuyante, les absences, les agacements, et cette gentillesse neuve que j’ai appris à lui offrir avec le temps. Si tous ces visages cohabitent ou s’il lui arrive de me voir comme une inconnue qui aurait grandi à l’abri de son regard. Je pense à mon fils, au visage qu’il m’offre chaque jour et qui chaque jour remplace les précédents, dans cette dissociation miraculeuse qui les fait revenir tous alors qu’un seul, unique, s’impose à chaque instant.
Je hausse la voix pour couvrir celle du commentateur sportif, et parce que mon père entend mal, depuis longtemps. J’étais petite encore quand nous l’avons progressivement exclu de nos blagues, de nos confidences. Il fallait toujours répéter, expliquer, on ne pouvait se parler du tac au tac, alors il a fini par s’extraire des conversations, s’installant de bonne grâce dans un silence épaissi par nos soins. Puisqu’on le déclarait trop rêveur pour la vie quotidienne, il s’en est poliment désinvesti, au point d’être rongé par l’anxiété quand il lui fallait passer un coup de fil, choisir un vêtement, remplir un papier. Il s’est construit, lentement, son monde parallèle, son rempart contre l’autre, celui qui demande d’entendre et de prendre position.
Je n’ai pas eu la patience de chercher le lieu où il se retranchait, de m’y tenir avec lui. J’étais si proche de ma mère que je l’ai laissée faire le lien, parler à sa place. Il a fallu attendre tant d’années pour se retrouver ainsi, simplement, l’un en face de l’autre.
*
Ces derniers temps, je m’arrête sur des mots, des phrases, des images. Quelque chose dans les livres, les films, l’observation des passants dans la rue, les actualités, le flux, quelque chose, sans cesse, me fait signe. Je photographie. Je souligne. Tout s’est écoulé sans bruit mais désormais il faut retenir. Accumuler. Relier.
Dans L’Île, de l’écrivain italien Giani Stuparich, je corne une page. Le livre raconte l’histoire d’un fils et de son vieux père gravement malade. Ils partent ensemble sur l’île où le père a passé sa jeunesse, pour ce qu’on imagine être leur dernier voyage.
Le père se souvient du jour précis où il a « découvert » son enfant. Je souligne ce mot-là, découvert, alors qu’ils vivaient ensemble depuis des années – le père n’avait tissé que peu de liens avec son fils, lui qui aimait avant tout les départs. Un jour, au beau milieu de la cuisine, il le découvre : debout sous la lumière crue du plafonnier, garçonnet d’une dizaine d’années dont les grands yeux humides sont braqués droit sur lui. Il décèle dans ces yeux-là quelque chose qui s’accroche à son regard, qui lui répond, et décide brusquement de l’aider à s’élever dans le monde, de l’y accompagner.
Je me demande s’il y a ainsi des moments, des lieux comme détachés net du cours de nos vies, où l’on découvre son père, sa mère, son enfant. Des instants qui nous lient avec la brutalité d’un coup de foudre et font qu’enfin, sur le tard, la rencontre se fait. Peut-être passe-t-on parfois sa vie entière à attendre ces instants-là, à les guetter, à tenter de réunir les conditions de leur surgissement, puisqu’on ne se remet sans doute jamais tout à fait de n’avoir pas découvert sa mère, son père ou son enfant.
Je me demande si mon père et moi nous sommes vraiment découverts. Si nous ne nous sommes pas reposés sur la certitude tranquille que nos vies finiraient par se rencontrer et si cela n’a pas été la meilleure manière de faire en sorte que rien ne se produise ; que nos trajectoires continuent à se dérouler l’une à côté de l’autre, de peur, peut-être, de découvrir à quel point nous sommes semblables.
Parfois, il faut des miroirs lointains pour regarder tout près.
L’île a ouvert une brèche, réveillé une urgence.
Il était temps, vraiment, de prendre rendez-vous.
*
Je n’ai rien de très intéressant à dire, s’empresse-t-il de préciser.
Sans doute se demande-t-il ce que nous faisons là, dans ce café. Je revois ses mains qui se serrent. Les taches sur sa peau. Son sourire – ce bon vieux mélange de contentement et de timidité.
Je suis fâché avec mes souvenirs, ajoute-t-il gentiment, désolé de ne pouvoir mieux me satisfaire.
Il me confie qu’il se sent perdu, « déboussolé ». Il résume : ce n’est pas une très bonne période. Chaque phrase se rapportant à sa personne suscite un léger mouvement de tête, des paupières qui se baissent. Toujours, mon père contourne la parole, ou la parole contourne mon père.
Quand je me questionnais sur mes études, il me disait souvent que j’étais douée pour les langues. Mon anglais était pourtant plus que moyen et mes quelques mots d’allemand et d’espagnol, vite oubliés après le collège. Mais aucune réalité n’avait le pouvoir d’affaiblir cette certitude qu’il ne cessait de répéter, têtu et sûr de lui : j’étais douée pour les langues, je devais l’être. Peut-être attendait-il surtout que je mette des mots entre nous. Que je traduise ses silences.
Dans l’école d’art où il a longtemps enseigné, il paraît qu’il passionnait ses élèves. Cette éloquence est toujours restée pour moi un mystère. L’homme qui parlait ainsi devant un auditoire ne pouvait être tout à fait mon père. Je rêvais d’entendre cette langue qu’il inventait pour les autres, mais quand j’ai fini par étudier là où il travaillait, je suis arrivée trop tard : il venait de prendre sa retraite.
Je croyais encore aux vocations et aux coïncidences. Je n’ai pas soupçonné une seconde que le choix de cette école avait quelque chose à voir avec lui, ni qu’une fois de plus je l’avais manqué.
Nous nous sommes habitués aux silences parce qu’ils ne durent jamais. Ce sont des silences qui attendent. Toujours, quelqu’un entre dans la pièce, toujours quelqu’un finit par parler à notre place. Mais aujourd’hui, il n’y a personne. Nous sommes seuls.
J’ai imaginé lui dire : Il y a une île qui porte ton prénom.
Une île qui chaque jour disparaît un peu plus.
Sous les eaux.
Oui, sous les eaux, tu as bien entendu.
J’ai deviné la légère perturbation qui traverserait ses yeux, les plis qui se creuseraient au-dessus de son nez à l’idée que je le voie comme une terre gorgée d’eau qui chaque jour s’imbibe, flanche.
J’ai craint qu’il s’en inquiète, d’autant que l’inquiétude est sa pente naturelle, mais quand je finis par lui en parler, ça a plutôt tendance à l’amuser. La serveuse passe, deux cafés allongés réchauffent nos mains jointes, j’y fais sombrer un sucre et puis l’île se diffracte – se change en archipel. Il évoque Jakarta, où il a un jour atterri et qui, elle aussi, est en train de se noyer, au point que l’Indonésie va devoir changer de capitale. Nous avançons, comme ça, d’île en île, et les voyages de sa jeunesse nous ramènent, comme le long ruban d’une spirale dont le centre serait l’immobilité la plus totale, à sa crainte de ne plus pouvoir se déplacer.
Pour lui qui a parcouru le monde, qui aime tant la marche à pied, les distances semblent peu à peu s’allonger. À quatre-vingts ans passés, il sent son cœur faiblir, le souffle lui manquer, restreignant son périmètre, reléguant ses lieux familiers à l’extrémité invisible de longues rues qui s’étirent.
Chaque fois qu’il retranche une activité à sa vie, il a le sentiment qu’il ne renouera plus jamais avec elle.
« Jamais » est un mot qu’il prononce très souvent.
Je ne ferai plus jamais ci, plus jamais ça.
Ma mère relativise, elle trouve qu’il dramatise.
Lui, il se ferme. Et il répète : « Plus jamais. »
Mon père, dont les voyages m’ont tellement fait rêver, m’avoue sa difficulté à se rendre ne serait-ce que jusqu’à son atelier, à quelques rues de chez lui, près des arcades de briques qui relient la Bastille à la gare de Lyon. Dans ce rez-de-chaussée ouvrant sur une verrière où il a peint pendant des années s’accumulent de multiples strates de livres et d’objets.
Souvent, il pense à ces reliques qui reposent, là-bas, sans personne pour les voir : ces strates entre lesquelles il ne parvient plus à établir de lien, de direction, comme si tout cela n’avait servi à rien ou comme s’il ne parvenait plus à voir à quoi ça sert. Ces choses qui s’accumulent, ces choses auxquelles il a tenu, auxquelles il tient encore, et qui désormais le menacent.
Qu’est-ce que tout cela deviendra « après », quand il ne sera plus là ?
Derrière cette question qui l’obsède, je devine la crainte que cette montagne qu’il a mis sa vie à construire finisse par s’écrouler sur moi.
*
Il y a des pans entiers qui meurent, dit mon père, et par « pans » il désigne tout autant ces falaises d’objets et de papier que les périodes de sa vie dont elles sont les traces : pan de la peinture, de la sociologie, de la poésie, pan des pays lointains, pan de la politique, et me revient la rumeur des réunions du soir que je guettais silencieuse derrière les murs de ma chambre, les rires et les voix des adultes qui s’élevaient, parlant marxisme et mondes meilleurs, nécessité de garder communs les combats qui inexorablement se scindaient, je ne comprenais rien, alors, au contenu de leurs échanges, tout au plus en percevais-je l’intensité et une forme de secret.
La politique, donc – un pan.
Tous ces livres lus, toutes ces réunions enflammées.
La politique, répète-t-il, j’en suis loin, maintenant.
Bien d’autres pans s’élèvent, là-bas, à l’atelier, reflets de ses passions successives, de ses centres d’intérêt aussi pointus qu’éclectiques, masques africains, éditions originales des surréalistes, cadrans d’horloges, carafes en grès, mêlant le précieux et le trivial, l’exemplaire unique et le tract récupéré, dans la même accumulation qui enfouit mieux que le vide, qui masque et qui garde au chaud.
C’est là comme un témoignage, dit-il.
C’est un dépôt, ou un vestige.
Quand je peignais, j’y étais bien. Maintenant, ça m’angoisse.
Je suis un touche-à-tout. Ça part en eau de boudin.
Et puis moi je sais pas vendre.
Je suis tellement attaché.
Je peux sentir sa tristesse. Mais je ne peux la sentir qu’en écrivant ces mots. En face de lui, dans ce café, en face de lui, je n’ai rien senti. La tristesse s’est déposée, sédimentée dans les paroles prononcées puis couchées sur le papier, avant de déferler avec un temps de retard.
On dit que l’eau suit son chemin, qu’elle profite de la moindre faille, du moindre creux pour pénétrer les toits, les murs, les maisons, et puis qu’elle s’infiltre où elle peut, selon des lois connues d’elle seule. Nos tristesses font pareil, qui se propagent en différé, et souvent nous traversent sans se reconnaître.
Combien de fois ses élans n’ont-ils trouvé en moi qu’une fuite, une gêne ?
Combien de fois mes tentatives d’entrer dans son monde se sont-elles soldées par une incompréhension, une crainte ?
Nous sommes là, dans ce café, et sa tristesse ne m’atteint pas, pas encore, elle fait son chemin, sa tristesse d’avoir tant essayé de sauver ce qui pouvait l’être, et que rien ne se perde, ni les corps transparents des stylos vides, ni les nombreux lampadaires halogènes récupérés, ni aucune des reliques minuscules de mon enfance, dessins, petits mots, et même les traces, trouvées dans la rue, de parfaits inconnus, il ne jetait rien, gardait tout précieusement, et cela nous agaçait, et cela nous faisait rire, et maintenant tout cela forme monts et falaises dans l’obscurité seule d’un rez-de-chaussée où personne ne va plus.
Je lui ai dit, j’irai à l’atelier, et j’ai vu son visage s’éclairer. Un tour de clé dans la serrure et les halogènes s’allumeront tous en même temps selon un mécanisme soigneusement étudié.
Y entrer. Regarder les objets. Ça, oui. Davantage que les mots échangés qui l’intimident, qui lui font peur. Mais s’il faut des mots pour y faire la lumière, alors des mots, vraiment, c’est le moins qu’on puisse faire.
*
Au cœur de ce douzième arrondissement de Paris qui semble toujours éteint, endormi, il suffit de gagner le canal, le port, tout proche, de l’Arsenal, pour que quelque chose s’ouvre et c’est déjà la mer, avec ses plaisanciers qui sortent des bateaux en robe de chambre vers la capitainerie, une mer en miniature, vite circonscrite par le bassin rectiligne, vite cernée par la ville, un rectangle lumineux brisant l’ombre tranquille des rues adjacentes.
Je marche avec mon père vers l’atelier avec l’impression de me rendre à un spectacle qu’il aurait préparé pour moi pendant toutes ces années. J’ai failli rater la représentation, j’ai failli arriver trop tard, mais je suis là, avec lui, et nous marchons, dans les rues calmes, jusqu’à la cour pavée cernée de murs blanc sale, jusqu’aux objets serrés les uns contre les autres, dans l’obscurité. Je suis peut-être la visiteuse qu’il attendait.
Il me regarde tourner la clé dans la serrure : pour revenir dans ce lieu sans lui, il faudra que j’en connaisse tous les détails, les comportements singuliers, comme cette porte qui s’ouvre à l’envers, cette clé qu’il faut tourner dans le mauvais sens.
Un jour, il m’a appris à faire du vélo. Je n’osais pas me lancer, aussi avait-il confectionné, à l’arrière de la bécane, une sorte de poignée de bois à laquelle il s’accrochait pour me courir après tandis que je pédalais.
La mémoire de l’enfance fabrique des images qui n’ont jamais existé. Je ne faisais que sentir les pédales sous mes pieds, la vitesse et la peur, maintenant je nous vois de haut comme dans un film burlesque, moi qui criais, lui qui courait comme un dératé jusqu’à se résoudre, enfin, à me lâcher.
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de gestes que mon père m’aurait appris. Sans doute y en a-t-il eu bien d’autres, injustement oubliés. Mais là, devant la porte de l’atelier, me revient cet élan, ce vertige, et l’équilibre qu’il me donnait.
*
Je suis un peu fâché avec le temps mais j’ai révisé avant de venir, dit mon père.
J’ai dû l’avoir en 1998, l’atelier.
Donc il y a eu vingt années de peinture régulière.
À l’intérieur, il m’indique l’emplacement du compteur, le levier qu’il faut pousser pour que s’allument, en même temps, la radio et les lampes, et l’atelier prend vie dans la lumière froide du début de l’hiver.
Sous la table à tréteaux où s’empilent les pigments, les bocaux, les pinceaux, il désigne un tas de sacs en plastique :
Tout ce qui est là, c’est des sacs pour transporter les toiles, s’il y a besoin un jour.
C’est des bons sacs.
Mais ça peut être foutu en l’air.
Il prépare le terrain. Il m’enseigne son absence, geste après geste, tout en m’autorisant, si je le souhaite, à tout foutre en l’air – les bons sacs, et pourquoi pas les toiles, et pourquoi pas tout le reste.
On passe des années à étaler de la peinture, à noircir des feuilles, à meubler nos intérieurs, et un jour, on se retrouve à dire à nos enfants qu’ils pourront tout jeter si nos vies les encombrent. Et on le fait comme ça, sans grands mots et sans larmes, parce qu’on voudrait qu’ils soient légers.
*
Un masque immense me fait face. À travers ses orbites vides on distingue un mur de livres truffé d’objets glissés dans le moindre creux, le plus petit espace : statuettes indiennes, empreinte d’une main disparue, lettres géantes, coquillage, ocarina, bilboquet, vachettes en terre cuite, Télétubbies en plastique, bâton touareg, dessin d’une enfant prénommée Gabrielle, tiges en fer forgé qui sont des monnaies africaines, sculpture de rien – une plume posée sur un morceau de bois dont on a depuis longtemps oublié l’usage –, bouteille de saké, morceau de dentelle, cœur en papier sur lequel quelqu’un a écrit « Jean-Charles ». La multitude m’émerveille et m’écrase. Il faudrait des années pour tout explorer.
Le grand cercle, c’est une table en bois que j’avais trouvée, dit mon père.
Il y avait des puces, avant, le long du canal, et après les puces, il y avait des choses qui restaient, alors j’ai récupéré ce grand cercle de bois, qui était couvert de peinture, et sur ce fond coloré, j’ai mis en évidence des formes.
Sa voix traîne, elle trébuche, s’échappe dans les aigus à la fin des phrases puis revient dans son lit, rivière, obstacle, rocaille.
Au début, il n’avait rien d’extraordinaire, ce rez-de-chaussée rencogné dans un coin d’une cour sombre, choisi parce qu’il y avait déjà, sur les murs, des étagères où ranger les livres qui encombraient l’appartement et surtout la chambre de mes parents, de multiples couches de livres sous lesquels ma mère disait toujours qu’elle craignait de mourir écrasée.
Quand j’étais plus jeune et qu’il m’en prêtait un, il s’enquérait fréquemment de la manière dont il se portait : Comment va mon livre ? J’en rajoutais : il était en forme, protégé de l’humidité, du soleil et de la poussière, lu juste ce qu’il faut. Ça le faisait rire mais je sentais un réel apaisement derrière l’exagération de son inquiétude. Les objets, pour lui, ne sont pas choses inertes. Il faut soit les laisser dans leur milieu naturel, soit les choyer comme des êtres vivants.
Une fois les rayonnages de l’atelier saturés, il s’est mis à investir le reste de l’espace. Sur les tables récupérées ou bien à même le sol, il a disposé d’autres livres, d’autres bibelots, monceaux d’objets improbables formant des murs, des renfoncements, des grottes, agencés dans le secret d’un urbanisme patient et précis, pour que rien ne tombe, pour que tout tienne – l’arrachement d’un seul de ces objets à la communauté des autres pourrait suffire à faire écrouler l’ensemble de l’édifice. Un monde à son image, mais un monde inhabitable, une seule pièce sans toilettes, sans cuisine, réduite aux seules fonctions vitales qui semblent l’intéresser : garder et regarder.
C’est l’héritage de ma mère qui a servi à acheter l’atelier, et surtout à s’offrir le vide dont elle avait besoin – à mettre à distance les livres et les objets.
Mais ce vide, elle n’en a pas longtemps profité. Une fois l’atelier rempli du sol au plafond, mon père a repris, en douce, son invasion. Il procédait par petites touches, comme ces voleurs qui dérobent quelques billets pour ne pas se faire remarquer et puis qui recommencent, jusqu’à siffler tout le magot. Un voleur à l’envers. Il truffait les murs, les étagères, et un jour ma mère avait soudain l’impression que les livres avaient avancé. Derrière chaque rangée, il y avait un autre rayonnage, et puis un autre encore. La partie immergée de l’iceberg restreignait son espace vital. Les couches recommençaient à se multiplier.
Accumuler, c’est le contraire d’habiter. C’est combler le moindre espace vide jusqu’à s’exclure soi-même, jusqu’à se remplacer.
À l’atelier, d’autres excroissances sont sorties du sol, d’autres monticules, d’autres tas. Les chemins qui les entouraient se sont peu à peu étranglés. Bientôt, il n’aurait plus été possible qu’un être humain y circule. Le lieu aurait expulsé son occupant, son constructeur.
Avant d’en arriver là, mon père a cessé de s’y rendre. Trop essoufflé, trop fatigué, il a arrêté de peindre et a tout laissé là, en l’état, comme s’il allait un jour poser de nouveau sa veste sur la chaise à bascule, saisir un pinceau, se remettre au travail. »
Extraits
« Ces mots me reviennent sans cesse. L’accumulation des preuves. Je me demande quelle théorie, quelle histoire, quel forfait mon père documente. Si le rebut, la marge finissent par tracer les contours d’une époque, témoigner de la marche du monde, ou sils persistent à lui échapper. Si mon père est une sentinelle ou un anarchiste, un archiviste ou un activiste. Quelle est la vitalité, le pouvoir de tout cela, maintenant que personne n’y pose plus son regard, et s’ils ne se tiennent pas précisément, la vitalité, le pouvoir, dans cette faculté d’exister sans hiérarchie et sans histoire. Je devrais prendre exemple sur le collectionneur de pierres. Oser l’inventaire. » p. 45
« Que reste-t-il aux enfants de ces histoires à peine vécues par leurs parents, de cette électricité qui le parcourt, le soir, quand il est seul, et ne trouve au matin aucun corps conducteur. » p. 164
« Plus un souvenir est raconté, mieux il s’enracine. Écrire c’est prendre la main sur ce travail de tri, choisir de quoi notre mémoire sera faite, Je veux mon père dedans. Je veux tout garder. Mais lui, il écrit ailleurs, à côté. S’il faut, pour graver les souvenirs, les répéter, il fait l’inverse : il les recouvre, les parasite.
Sa poésie est un système de brouillage.
Elle pirate la mémoire, elle la remplace.
Et moi qui raconte sa vie, et moi qui n’ai rien compris.
Il n’écrit pas pour se souvenir.
Il écrit pour oublier. » p. 276-277
À propos de l’autrice
Hélène Gaudy © Photo DR
Hélène Gaudy est née en 1979. Après une formation en arts plastiques, elle mène de nombreux projets liés à l’image et au paysage. Elle a publié plusieurs romans dont Vues sur la mer (Les Impressions nouvelles, 2006), Plein hiver (Actes Sud, 2014) et Une île, une forteresse (Inculte, 2016). Elle fait partie du collectif Inculte et du comité de rédaction de la revue La Moitié du fourbi. Son dernier roman, Un monde sans rivage (Actes Sud), écrit à partir des photographies lacunaires d’explorateurs polaires disparus, a figuré sur la sélection du Prix Goncourt et reçu le prix François Billetdoux de la SCAM en 2019. Elle enseigne dans le Master de Création littéraire de Paris 8. (Source : Agence Trames)
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