Dans les années 1980, l’Amérique a été frappée par une vague d'hystérie satanique, une chasse aux sorcières qui impliquait même de jeunes enfants. Soudain, le Diable semblait omniprésent, notamment dans la ville de Natalie Burns, l'héroïne (malgré elle) de ce récit. Elle et quelques gamins, plus tard surnommés par la presse et les curieux les "Six de Satan", ont accusé des enseignants d’actes horribles, prétendant que le Diable en personne en était complice, ce qui a eu des conséquences dramatiques pour toutes les personnes impliquées. En partie pour attirer l'attention sur eux, mais également influencés par le plus pervers d'entre eux, les gosses ont affabulé et brisé des vies. Des décennies plus tard, les membres de ce petit groupe qui n'a rien de reluisant se font assassiner un par un, tandis que Natalie est devenue de son côté une sorte de détective privé, qui essaie d'arracher aux sectes les jeunes adolescents qui ont le malheur de se laisser embrigader. Suite au fiasco de sa dernière mission, elle s’allie à un agent du FBI tombé en disgrâce pour essayer de sauver les survivants des six garnements, et démasquer l’assassin qui les a pris pour cible, des années après les faits. Comme dans leur précédente collaboration, Là où gisait le corps, Ed Brubaker et Sean Phillips nous livrent avec La maison des impies un roman graphique qui fait bloc. Inspiré par une hystérie collective et satanique bien réelle dont nos amis américains semblent avoir le secret – qui persiste encore aujourd’hui, d'une certaine façon, alimentée par les délires de l'internet – cet album n’est pas leur meilleure production, mais comme toujours avec le duo merveilleux (trio avec le fils de Sean, Jacob Phillips aux couleurs), vous auriez tort de ne pas y jeter un œil, tant le mécanisme narratif se révèle souvent délicieux et inspiré. Souvent, mais pas toujours.
L’histoire alterne entre le présent et le passé : dans le premier cas, l'action va de l'avant, Natalie échoue, trouve un allié, échoue à nouveau, et abat sa dernière carte, désespérée. Dans le passé, on apprend quelles sont les erreurs et les atroces mensonges qu'elle a participé à créer, et les conséquences qu'ils ont eus sur sa famille, notamment sur le petit frère, devenu complotiste invétéré et qui aura son rôle à jouer dans l'album. Le petit problème, le grain de sable dans la mécanique souvent parfaite de Brubaker, c'est que l’histoire manque un peu de cohérence sur certains points – la présence de l’agent West, qui n'a finalement pas besoin de tant de mise en scène pour atteindre son but, ou encore le mobile des meurtres, assez faible – ce qui rend les révélations finales assez vite prévisibles. La toute dernière partie est alors un peu faible, et n'a de toute manière pas assez d'espace, pas assez de pages pour se déployer convenablement. La conclusion est abrupte, au point même qu'on pourrait douter que l'album est arrivé à son terme véritable. Ce sont bien sûr des remarques qu'il faut interpréter dans une optique particulière, celle des attentes très hautes que nous avons à chaque fois envers les histoires réalisées par ce duo magique, qui même lorsqu'elle n'atteignent pas des sommets historiques (comme ici) restent bien au-dessus de la majeure partie de sortie du trimestre. D'autant plus qu'on retrouve toujours cette ambiance glauque qui puise ses racines dans les années 1980, avec des personnages qui ressemblent à des perdants magnifiques ou des paumés de la vie, servis par une narration désabusée. À défaut de retrouver un nouveau chapitre des aventures d'Ethan Reckless (comme il nous manque tellement, nous avons adoré cette succession d'albums), nous tenons avec Natalie une détective capable de devenir le centre d'intérêt de nombreuses intrigues, tout comme son homologue masculin, sauf que la conclusion de la Maison des impies nous amène à croire que ce sera difficile à l'avenir… En tous les cas, Brubaker a toujours autant de talent pour brosser des portraits attachants et en perdition apparente et Sean Philips est toujours aussi pertinent et en adéquation avec le scénariste, pour illustrer tout ça. Est-ce une faute de ne pas toujours signer "la meilleure œuvre", à chaque fois ?
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