Le prix Médicis à Julia Deck

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe
Premier prix littéraire de l'automne attribué à une femme, le prix Médicis a été remis décerné ce mercredi 6 novembre à Julia Deck, 50 ans, pour le roman autobiographique que, fille unique, elle a consacré à sa mère, "Ann d'Angleterre" (Seuil, 256 pages). Elle l'a emporté au troisième tour par cinq voix contre quatre à Thomas Clerc ("Paris, musée du XXIe siècle", Minuit).   Présentation de l'éditeur. En avril 2022, la mère de Julia Deck est victime d’un accident cérébral. Selon les médecins, ses chances de survie sont infimes. Mais la patiente déjoue les diagnostics. Commence alors un long cheminement, dans l'espoir d'une convalescence, à travers le dédale des établissements de soins. En parallèle, Julia Deck raconte, sur un rythme vif et non dénué d’humour british, la vie de cette femme issue d'une famille ouvrière anglaise, passionnée de littérature, qui s'est élevée socialement, est venue habiter en France, tout en continuant d'entretenir un rapport complexe avec sa famille d'Angleterre. Car au milieu de son histoire, Julia décèle une étrangeté, peut-être un secret – un point aveugle dans le récit de sa filiation. Mais à cette interrogation, seule sa mère, précisément, pourrait répondre. Ce texte splendide, qui questionne les liens entre l’écriture et la vie, est aussi un geste d’amour bouleversant d'une fille envers sa mère.
   Pour lire en ligne le début d'"Ann d'Angleterre", c'est ici.
    Le prix Médicis du roman étranger est allé au Guatémaltèque Eduardo Halfon, pour "Tarentule" (traduit de l'espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, Quai Voltaire, 208 pages), au huitième tour par quatre voix contre deux à l'Autrichien Josef Winkler ("Le champ", traduit de l'allemand (Autriche) par Bernard Banoun, Verdier). Présentation de l'éditeur. En 1984, deux jeunes frères exilés aux États-Unis retournent au Guatemala, au cœur de la forêt de l'Altiplano, participer à un camp de survie pour enfants juifs où les envoient leurs parents afin qu'ils n’oublient pas leurs racines. Mais un matin, les enfants, réveillés par des cris, découvrent que le camp s'est transformé en une chose bien plus sombre.
Les raisons et les ramifications de cet épisode de l'enfance du narrateur ne commenceront à s'éclaircir que des années plus tard au fil de rencontres fortuites – à Paris avec une lectrice de Salinger devenue avocate, ou à Berlin avec un ancien instructeur en chef du camp, aux yeux d'un bleu changeant, qui se promenait avec un serpent dans la poche et une énorme tarentule sur le bras.
Entrelaçant passé et présent, réalité et fiction, Eduardo Halfon tisse un récit foisonnant de symboles pour toucher du doigt les fondements de son identité: le cadre strict et rigoureux de la religion juive et le giron enveloppant et maternel du Guatemala.
Le prix Médicis de l'essai a été attribué au premier tour par six voix à l'Allemand Reiner Stach pour le troisième tome de sa biographie de Franz Kafka, "Les années de jeunesse" (traduit de l'allemand par Régis Quatresous, Editions du Cherche Midi, 800 pages). Présentation de l'éditeur.Le dernier tome de la monumentale biographie de Reiner Stach: les années de jeunesse et de formation, ou comment Franz devient Kafka.
Conclusion de la vaste enquête biographique de Reiner Stach, ce troisième tome est consacré aux années 1883 à 1911, de la naissance de Kafka à la veille de sa grande percée créatrice. Années d'enfance et de silence, années de balbutiements, de premières tentatives littéraires et de lente maturation.
 
Autant qu'un récit de formation, ce volume est le portrait d'une ville et d'une époque. La ville: Prague, avec son conflit historique de plus en plus brûlant entre Allemands et Tchèques, qui place les Juifs entre le marteau et l’enclume. L'époque: le tournant du XXe siècle, où la montée des conflits sociaux, des idéologies et de l'antisémitisme, les bouleversements intellectuels, scientifiques et technologiques font peu à peu tomber les structures sociales anciennes.
 
C'est au milieu de ces ruptures que naît et grandit Franz Kafka, enfant isolé pris entre le conflit avec son père et la pression de l'autorité scolaire. Il trouve bientôt dans l'écriture une échappatoire qui, à terme, le ramènera au monde et lui permettra de dénuder la vérité de son époque et de la nôtre. De son premier projet de roman à l'ouverture décisive de son journal, on voit ici, au fil d'une narration virtuose, Franz devenir Kafka.
    Jury:  Anne F. Garréta (présidente), Marianne Alphant, Michel Braudeau, Marie Darrieussecq, Patrick Grainville, Dominique Fernandez, Andreï Makine, Pascale Roze et Alain Veinstein.