Saint-Nazaire

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En deux mots
Né en face de Saint-Nazaire, l’écrivain-voyageur nous raconte la naissance de cette ville sous le Second Empire, son essor autour des chantiers navals qui auront vu défiler des paquebots de prestige, sa destruction par les Alliés parce qu’elle abritait la base des sous-marins allemands, puis la ville moderne, croisement d’aventuriers et d’écrivains invités sous son égide.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La ville de tous les voyages

Patrick Deville fit un petit écart à son projet Abracadabra pour nous proposer ce « roman sans fiction » sur Saint-Nazaire. On y découvre l’histoire de cette ville, celle des chantiers navals et de ses paquebots de prestige. On y croise aussi des dizaines d’écrivains invités par l’auteur avant de larguer les amarres, enchantés par l’érudition et la plume voyageuse de l’auteur.

« Il est toujours agaçant d’être né quelque part. On ne choisit ni le siècle ni le lieu. Pas non plus la langue maternelle. Il est davantage ridicule de s’en prévaloir, n’y étant pour rien. » Il n’y a rien à objecter aux premières lignes du « roman sans fiction » que nous propose Patrick Deville, mais on pourrait ajouter qu’en revanche le siècle et le lieu vous façonnent et déterminent vos choix de vie. Né en face de Saint-Nazaire, on imagine la fascination de l’enfant pour les lumières de la ville se reflétant dans le bras de mer qui le sépare du Lazaret de Mindin où il a grandi.
Lycéen, il gagnera son établissement en bateau avant que le grand pont en S ne soit érigé, faisant ainsi se rejoindre « la rive de l’enfance et celle de la vieillesse ». Avec le temps qui les séparées écartées, il deviendra nazairien et participera à l’essor culturel de la ville en organisant la venue de nombreux auteurs du monde entier en résidence dans la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs (MEET). Mais au moment de sa création, en 1987, il sillonnait le monde pour son grand projet éditorial Abracadra et les douze romans qu’il doit composer. « Pas davantage que je n’envisageais alors de demeurer longtemps dans la région, je ne pouvais imaginer que la découverte de cette maison allait bouleverser ma vie pendant les trente années qui allaient suivre. »
Avec Joël Batteux, maire de 1983 à 2008, il aura beaucoup sillonné la ville, partagé des anecdotes, suivi les projets d’urbanisme et vu les chantiers navals traverser périodes d’euphorie et de crise, mais aussi de propriétaires. Des chantiers nés dans les années 1860 avec le Second Empire, quand la France était une puissance coloniale et se devait de disposer d’une flotte aussi militaire que marchande.
C’est de là que les trois Jules, Michelet, Verne et Grandjouan, ont vu se construire leurs œuvres respectives. C’est là aussi que les Allemands vont décider d’installer leur base de sous-marins durant la Seconde Guerre mondiale. Une décision lourde de conséquences puisque les Alliés n’auront de cesse de vouloir détruire cet endroit stratégique, réduisant ainsi une grande partie de la ville en poussière.
Un peu comme Le Havre qu’arpente Maylis de Kerangal dans Jour de ressac, Saint-Nazaire a du se reconstruire sur les ruines et a choisi de longues lignes droites et quadrilatères pour relier le port et le centre-ville, pour rattacher le poumon économique et le cœur de la ville qui bat en fonction de l’activité des chantiers.
Avec Patrick Deville comme guide, on va suivre l’épopée des grands paquebots construits ici, du premier paquebot, l’Impératrice Eugénie, lancé le 24 avril 1864 au plus grand paquebot du monde L’Harmony of the Seas, lancé en 2016, en passant par le France, le Normandie ou encore le Queen Mary 2. Avec l’écrivain-voyageur, on retrouvera ces morceaux de Saint-Nazaire un peu partout sur la planète, ralliant là encore l’homme et son œuvre à cette ville de tous les départs.
Comme avec chacun de ses livres, on profite de son érudition et de ses notes prises au fil de ses découvertes pour apprendre, on suit sa plume virevoltante pour découvrir les auteurs qui sont passés par Saint-Nazaire et ont témoigné de leur expérience. Et si on se découvre l’envie à notre tour d’arpenter les rues de Saint-Nazaire, on a surtout la furieuse envie de larguer à notre tour les amarres !

Saint-Nazaire
Patrick Deville
Éditions du Seuil
Roman sans fiction
168 p., 17 €
EAN 9782021575347
Paru le 11/10/2024

Où ?
Le roman est situé principalement à Saint-Nazaire et dans la région, mais aussi à travers le monde en suivant les voyageurs qui en viennent ou en partent.

Quand ?
L’action se déroule du Second Empire à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans ce « roman sans fiction », Patrick Deville revient sur le territoire de sa naissance, Saint-Nazaire et ses environs. Il y a l’ancien lazaret de Mindin où l’auteur a passé son enfance ; il y a le pont en S suspendu à soixante mètres au-dessus des flots et dont il a vécu l’apparition et les effets sur la perception de l’espace ; il y a les chantiers navals où furent construits le Normandie, le France, et tant d’autres paquebots comme le Queen Mary 2.
On navigue entre le présent et la profondeur du temps, depuis la fondation du port en 1860 jusqu’à nos jours.
Saint-Nazaire est la métaphore des rêves d’aventure, des départs, des exils, mais aussi un havre de paix et d’accueil face à la mer et ses forces parfois déchaînées.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
L’École des lettres (Norbert Czarny)

Les premières pages du livre
« Les deux rives
Il est toujours agaçant d’être né quelque part. On ne choisit ni le siècle ni le lieu. Pas non plus la langue maternelle. Il est davantage ridicule de s’en prévaloir, n’y étant pour rien. Je ne suis pas né à Saint-Nazaire. Peu s’en fallut.
Un enfant ballotté par la guerre devint mon père. Après la fuite à pied sur les routes de l’exode depuis le Nord avec sa mère et sa sœur, le camp de triage des réfugiés à Paris, leur envoi dans le Midi, les maquis du Lot jusqu’à la libération de Cahors, il avait trouvé un emploi dans le Lazaret de Mindin en face de Saint-Nazaire. Cet ancien lieu de quarantaine pour marins infectés, devenu camp de prisonniers après la reddition allemande, assemblait depuis un hôpital psychiatrique et un asile de vieillards. Si on y mourait beaucoup personne n’y naissait.
Ma mère s’était installée là après leur mariage en janvier 1957. Ils habitaient une aile de la « Porte monumentale » qui donnait sur le fleuve. Traverser celui-ci en décembre sur les flots houleux pour gagner la maternité de Saint-Nazaire était déconseillé. Elle choisit celle de Paimbœuf, sur la rive gauche, à quelques kilomètres par la route en amont. Pendant une petite semaine, je fus paimblotin.

À vol d’oiseau, notre Lazaret était à mi-chemin des deux ports de Paimbœuf et de Saint-Nazaire, celui de la marine en bois et celui de la marine en fer, celui de l’avenir et celui du passé.
Depuis longtemps la partie était jouée. L’Empereur descend la Loire en août 1808, vient inspecter à Paimbœuf le chantier de la frégate La Méduse. Depuis mai c’est la guerre d’Espagne qu’allait écrire Chateaubriand et peindre Goya. Elle est mal engagée. La construction de la flotte de guerre prend du retard. Napoléon traverse l’estuaire debout à la proue du canot impérial, la main droite à plat sur l’estomac, coiffé du bicorne et scrutant la rive nord. Il y retrouve ses ingénieurs navals Groleau et Goury : « Paimbœuf ne peut se prêter qu’à la construction de frégates, la pointe de Mindin sur la rive gauche et Bonne-Anse sur la rive droite se refusent à tout établissement maritime. L’anse de Saint-Nazaire est la seule disposée pour recevoir le bassin projeté. »
Passé le glorieux temps des armateurs et des charpentiers de marine, Paimbœuf était à la fin de ces années cinquante une ville pauvre autour de son usine de produits chimiques Kuhlmann. De l’autre côté de l’estuaire, les saint-simoniens sous le Second Empire avaient ouvert de vastes chantiers navals et lançaient des paquebots transatlantiques. Plus tard le Normandie entre les deux guerres. On y bâtissait le France quand je naissais à Paimbœuf. Mais c’est plus tard qu’on apprend tout ça, plus tard qu’on lit la bibliothèque, plus tard qu’on découvre, étonné, que ces lieux existaient avant qu’on ne les vît soi-même.

Béatrix n’est pas le premier roman qu’on ouvre de Balzac. C’est pourtant dans celui-ci qu’on apprend, comme si on ne le savait déjà, que « Saint-Nazaire est séparé de Paimbœuf par l’embouchure de la Loire, qui a quatre lieues de largeur. La barre de la Loire rend assez capricieuse la navigation des bateaux à vapeur ; mais par surcroît d’empêchements, il n’existait pas de débarcadère en 1829 à la pointe de Saint-Nazaire, et cet endroit était orné des roches gluantes, des récifs granitiques, des pierres colossales qui servent de fortifications naturelles à sa pittoresque église et qui forçaient les voyageurs à se jeter dans des barques avec leurs paquets quand la mer était agitée, ou quand il faisait beau d’aller à travers les écueils jusqu’à la jetée que le génie construisait alors ».
On comprend que Stendhal aurait bien aimé s’enfiler un petit remontant avant de tenter à son tour l’aventure.
Parce qu’on est resté des années immobile à regarder glisser les bateaux devant l’étroite fenêtre d’une aile de la Porte monumentale du Lazaret ouvrant sur le fleuve, qu’on demeure fasciné par ce cadre rectangulaire de l’enfance, on cherche, au fil des pages et des rayonnages.
Dix ans après Balzac, et un an après Stendhal, à l’été de 1839, le jeune Jules Verne s’enfuit de la maison paternelle à Chantenay en aval de Nantes. Il a onze ans, embarque comme mousse à bord de la Coralie. Il veut aller jusqu’aux îles et rapporter un collier de corail pour sa cousine Caroline. Son père le rattrape à la première escale de Paimbœuf. C’est un an plus tard que l’enfant verra la mer pour la première fois, « voici Saint-Nazaire, son embryon de jetée, sa vieille église avec son clocher d’ardoises », l’enfant exulte, « enfin j’avais vu la mer, ou tout au moins la vaste baie qui s’ouvre sur l’Océan entre les extrêmes pointes du fleuve ».
Verne éprouve le même vertige à contempler les lieux de ses devanciers. Il lira le Voyage autour du monde de Louis-Antoine de Bougainville un siècle avant lui. La Boudeuse croisait entre Saint-Nazaire et Mindin, s’en allait découvrir l’île de Tahiti.

Ces « roches gluantes » selon Balzac protégeaient une « église pittoresque » dont Grégoire de Tours mentionne au sixième siècle qu’elle abritait des reliques de saint Nazaire : tout cela, église et roches et reliques, a disparu dans le creusement des écluses qui allait faire de ce lieu l’île artificielle du Petit-Maroc, peut-être par la déformation du breton Ti Ar-roc’h, « la maison sur la roche », ou la présence de sardiniers marocains. Les seuls étrangers étaient alors des marins-pêcheurs. La vie était austère et âpre, méfiante de l’extérieur.
De cet isolement, Balzac encore est le témoin. Il écrit que « les habitants de ce territoire, que vous verrez découpé comme une dent sur la carte de France, compris entre Saint-Nazaire, le bourg de Batz et Le Croisic, s’accommodent assez de ces difficultés qui défendent l’approche de leur pays aux étrangers ». Longtemps ces paysans du marais de Brière qui deviendraient ouvriers aux chantiers navals se sont sentis à l’écart du monde. Saint-Nazaire était une ville qui ne faisait rien pour séduire, un lieu de labeur et de vent, une ville plus tard meurtrie, rayée de la carte par les bombardements alliés de 1943, parce que la base sous-marine nazie était indestructible, une ville plus tard redessinée à angles droits par l’urbaniste Noël Le Maresquier, jusqu’en 1978. »

Extraits
« Un seul dîner peut affoler comme un aimant l’aiguille de la boussole. À mon retour de Berlin et avant de repartir pour Cuba, nous étions sur le port en compagnie de Christian Bouthémy, attablés au restaurant Le Skipper, au pied du Building. Je revoyais Jabbar après quelques années et rencontrais pour la première fois Christian. Nous évoquions mes souvenirs nazairiens. J’apprenais la création pendant mon absence, en 1987, de cette « Maison des écrivains étrangers et des traducteurs ». Pas davantage que je n’envisageais alors de demeurer longtemps dans la région, je ne pouvais imaginer que la découverte de cette maison allait bouleverser ma vie pendant les trente années qui allaient suivre. » p. 32

« Les passagers découvrent ce pavillon français d’une exposition universelle itinérante, la beauté de l’épure et de l’efficacité évoquée comme le « style Normandie », un équilibre des arts décoratifs et de la grande cuisine, du cubisme et de l’œnologie. Un verre à la main, ils visitent le jardin d’hiver où se déhanchent les perroquets, gagnent la salle à manger de quatre-vingt-dix mètres par deux hautes portes en bronze, un peu ivres déjà caressent les verreries de Lalique, les soieries et les tapisseries, les bois de palissandre et les laques d’or, les marbres et les aciers polis. Des dizaines de mètres au-dessous, les navigants en bleu de chauffe procèdent à la montée en puissance des turboalternateurs.
Ceux-là portent les espoirs de la Compagnie générale transatlantique et de la France entière. » p. 53

« Les capitaux voyagent plus vite en ce domaine que les navires et les avions. En 2006, trois ans après le lancement de Queen Mary 2, le groupe Alstom avait cédé les chantiers nazairiens au groupe Aker Yards. Dès l’année suivante, le norvégien en mauvaise posture avait été racheté par surprise à la Bourse d’Oslo par le sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding, avant que celui-ci, en faillite à son tour en 2014, mis en vente à Séoul, ne soit repris par le chantier Fincantieri. Celui-ci était en lien avec le groupe China State Shipbuilding Corporation. L’opération présentait le risque d’un cheval de Troie chinois.
Déjà du temps d’Alstom, qui avait voulu en 2001 recentrer son activité sur les paquebots, les chantiers de Saint-Nazaire avaient délaissé, pay transfert de technologie, la production des navires méthaniers au chantier Hudong-Zhongha de Shanghai. L’inquiétude était grande de voir de facétieux Chinois venir inscrire en cachette « Made in China » sur la quille des successeurs du France. L’État actionnaire voulait garder la main sur Je seul chantier capable de construire un porte-avions nucléaire. Fincantieri avait été peu à peu évincé, Bruno Le Maire avait annoncé en 2018 la nationalisation provisoire du chantier et s’était rendu à Saint-Nazaire. Le capital était depuis verrouillé partagé entre l’État, Naval Group, des salariés et des entreprises locales. Il avait assisté à une cérémonie des pièces d’or. Le lieu retrouvait son nom historique : « Chantiers de l’Atlantique ». À La Marine, malgré la valse des propriétaires, on avait toujours dit « travailler aux Chantiers ». » p. 144-145

À propos de l’auteur
Saint-NazairePatrick Deville © Photo Bénédicte Roscot

Grand voyageur et esprit cosmopolite, Patrick Deville dirige la Maison des écrivains étrangers et traducteurs (MEET) de Saint-Nazaire et la revue du même nom. Né en 1957, il est l’auteur d’une douzaine de romans dont le très remarqué Peste & Choléra (2014). (Source : Éditions du Seuil)

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