David Joy : Les deux visages du monde

Par Lebouquineur @LBouquineur

David Joy, né en 1983 à Charlotte en Caroline du Nord, est un écrivain américain. Une licence d’anglais et un master spécialisé dans les métiers de l’écrit en poche, encouragé par son professeur Ron Rash, il se lance dans l’écriture. Il vit actuellement en Caroline du Nord et quand il n’écrit pas, pratique la pêche, la chasse et les activités manuelles. Son nouveau roman, Les deux visages du monde, vient de paraître.

Après avoir vécu à Atlanta, Toya Gardner, une jeune artiste afro-américaine, revient dans sa petite ville natale de Caroline du Nord. Décidée à dénoncer l'histoire esclavagiste de la région, elle organise des actions provocatrices comme enduire de peinture rouge la statue d’un héros local, ce qui va diviser la communauté. Au même moment, Ernie Allison policier du comté, arrête un homme étranger à la région qui se révèle être un suprémaciste blanc et découvre dans son véhicule un carnet contenant une liste de notables de la ville appartenant au Ku Klux Klan. Décidé à éclaircir cette affaire, il se heurte à sa hiérarchie et le roman prend un tour dramatique quand il sera très sévèrement passé à tabac et qu’un crime viendra frapper la communauté…

Un roman absolument superbe où la forme et le fond s’allient pour nous livrer cet excellent bouquin.

Oui, c’est un livre sur le racisme, un de plus me direz-vous et vous n’auriez pas tort, mais ici et c’est ce qui en fait sa force, David Joy le traite avec beaucoup plus de subtilité que nombre de ses confrères, car rien n’est jamais simple, rien dans la vie est tout noir ou tout blanc, si j’ose écrire.

La forme tout d’abord, c’est l’écriture magistrale de Joy, très visuelle, extrêmement précise qu’il s’agisse de la faune et la flore locale, des armes, des travaux manuels ruraux ou de bricolages divers, l’écrivain sait de quoi il parle. Et ce style qui happe le lecteur, l’enveloppant de toutes parts, comme un plaid douillet dans lequel il se laisse fondre… Waouh !

Les personnages sont terriblement attachants, pour le meilleur comme pour le pire : Ernie Allison le policier du comté qui va frôler la mort ou Coggins le vieux shérif proche de la retraite. Mais ce sont les portraits des femmes qui vont apporter leur poids de pathos à ce drame épouvantable : Toya Gardner, la jeune artiste, « venue dans les montagnes pour retrouver ses racines, savoir d’où elle venait et de qui elle descendait », chez Vess sa grand-mère, vieille amie avec son défunt mari de Coggins, plus tard interviendra Dayna la mère de Toya quand l’émotion sera à son comble ; et je n’oublie pas Leah Green, l’inspectrice qui se démène pour faire avancer l’enquête.  

Le fond, c’est le racisme et l’héritage du passé esclavagiste, les suprémacistes qui ont abandonné les guignolesques robes blanches à capuche pour agir dans l’ombre sous des aspects respectables. Ce racisme qui tel un coin planté dans la communauté est un point clivant entre les générations. Il y a les racistes avérés (« L’arbre qui possède les racines les plus profondes dans ce pays est l’arbre du suprémacisme blanc »), mais il y a aussi et surtout celui qui est non intentionnel, sans méchanceté mais réel, le plus douloureux pour ceux qui en sont l’objet.

Un roman époustouflant que vous n’avez pas le droit d’ignorer et que j’ai refermé les larmes aux yeux.

« - Je suppose qu’il arrive un moment où l’on prend conscience que se taire revient à acquiescer. (…) Tu sais, ça m’a toujours fait mal, la façon dont partout ailleurs dans ce pays les gens veulent croire que le Sud a comme qui dirait le monopole du racisme. Comme si ça existait qu’en un seul endroit. Mais j’ai un scoop pour toi, cette saloperie est aussi américaine que la Bud Light et le base-ball. »

David Joy   Les deux visages du monde   Sonatine – 423 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Yves Cotté