Harry Exton est un button man (en VO). Traduit en français, cela donne, en gros, un exécuteur. Le genre de type dont il fait bon ne pas croiser la route. Et qui s'est laissé prendre au piège du Jeu, majuscule de rigueur. Pour faire simple, Harry accepte de risquer sa vie (et de prendre celles de ses adversaires) sur commande. Il reçoit régulièrement un coup de fil de la part de ceux qui se font appeler les voix et qui lui donnent des instructions, pour une nouvelle partie cruelle et mortifère. En échange des sensations fortes que Harry procure à celui qui lui organise la partie, il est bien sûr largement rémunéré. L'appât du gain et la perspective de se mettre à l'abri, une fois pour toutes, est un excellent ressort pour un individu qui ne présente pas le moindre scrupule, qui ne peut pas être défini ou résumé par des concepts aussi simplistes et réducteurs que le bien ou le mal. Tout comme cette bande dessinée, écrite par Alan Wagner. Il n'est pas question ici de délivrer un message sur la violence aveugle ou stipendiée, juste d'observer Exton en action, prisonnier du Jeu qu'il n'a pas le droit de quitter. Certes, l'envie de faire un pas de côté finit par être la plus forte, mais comme un de ses congénères participants le lui avait fait remarqué, l'hypothèse n'est guère plausible. Du coup, la dernière partie d'adieu d'Exton relève du guet apens et de la réunion antisportive : à quatre con un, seul pion d'une chasse à l'homme déséquilibrée dont il va toutefois se sortir, non sans encombres. Blessé, l'exécuteur trouve refuge chez un psychiatre, qu'il menace d'une arme alors qu'il entreprend de lui raconter tout ce que nous venons de résumer. Le lecteur ne s'y trompera pas et devinera au ton et à l'atmosphère pesante que le praticien n'est probablement pas un simple professionnel choisi par hasard, et les dernières pages de ce qui constitue la première partie (sur trois) de l'œuvre ne feront que confirmer cette déduction. On croit avoir déjà atteint le paroxysme de la tension et de l'action et on se trompe lourdement. La seconde partie (Delirium a par ailleurs publié cette histoire dans trois tomes séparés, par le passé) s'annonce encore plus terrifiante et mouvementée, avec Harry exfiltré aux Etats-Unis, où un sénateur véreux lui fournit de faux papiers et vie aisée, en échange de sa participation au Jeu en terre américaine.
Exton, le personnage central, devient de plus en plus fascinant à mesure qu’on tourne les pages. Au fil de son existence, il a même la chance de connaître quelques instants de relative tranquillité, qu’il aurait pu exploiter pour tenter de se reconstruire. C'est le cas au début de Les Proies, troisième volet de cet ouvrage. Hélas, entre un peu de déveine et une tendance presque compulsive à chercher les ennuis, il finit toujours par retomber dans ses travers. Et, inévitablement, c'est le Jeu qui le rattrape. L'ultime partie de cette sombre trajectoire est particulièrement marquante : Exton, désormais désigné comme la cible à abattre aux yeux de tous les autres gros joueurs, devient le gros lot final d'un tournoi qui ressemble à une chasse à l'homme dramatique. En parallèle, un film inspiré de tout ce que nous venons de lire s’apprête à sortir en salle et brouille la frontière entre plusieurs niveaux de fiction, que juxtapose le scénario de Wagner. L’exécuteur suprême finira-t-il par être lui-même exécuté, ou la proie ne fera-t-elle qu'une bouchée de ses chasseurs ? La réponse s’étale sur plusieurs dizaines de pages intenses, où des affrontements explosifs se succèdent. Dans tout ce chaos, notre héros — qui n’en a jamais été un — transforme une forêt glaciale en un véritable champ de bataille, une zone de guerre dont personne ne ressort indemne. Son territoire, un cimetière pour les autres. Il faut saluer ici le travail remarquable du dessinateur, Arthur Ranson, qui insuffle une ampleur vibrante à chaque planche. Les cadrages sont inventifs et variés, souvent focalisés sur de petits détails ou des éléments en apparence secondaires. Cette approche met en lumière le caractère désespéré et aléatoire de ces duels mortels, où la vie humaine ne vaut qu’un paquet de billets promis par une voix anonyme au bout d’un téléphone. La couleur se révèle souvent glaciale, le trait raffiné et chirurgical; impossible de ne pas être happé par un binôme qui fonctionne à merveille et ne nous laisse jamais le moindre moment de répit (tout comme c'est aussi le cas pour Exton). Initialement prévu pour être publié dans un magazine britannique qui a rapidement cessé de paraître, L’Exécuteur a finalement trouvé sa place dans les pages de la célèbre revue anthologique 2000 A.D.. Habituellement orienté vers la science-fiction, l'hebdomadaire a su reconnaître le génie de cette œuvre, portée par un humour anglais à la fois froid et sarcastique, savamment distillé, qui fait mouche. Retrouver les trois parties réunies dans une belle intégrale est un pur plaisir. Cette brique compacte retrace la trajectoire mortifère d’un homme programmé pour tuer, mais qui tente désespérément d’échapper à son propre sort. Tout en se révélant extrêmement doué pour ce à quoi on le condamne, au point d'inverser in fine les rôles et d'alimenter un carnage qui ne cesse jamais. C’est l’un de ces cadeaux de fin d’année pour lesquels on ne peut que remercier l’éditeur Delirium et sa passion inébranlable pour la bande dessinée de genre venue d’outre-Manche. Qui regorge de trésors : la preuve !
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