Le chant des pentes

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En deux mots
Après avoir entendu un message en rêve, Gayané décide de quitter son village dans la montagne pour gagner l’alpage du Grand Lac, malgré les avertissements des villageois persuadés d’un grand danger. Accompagnée de quatre compagnons, son périple va se transformer en quête initiatique.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les voyages forment la jeunesse

Sous couvert d’un récit de voyage en montagne, Simon Parcot nous offre un conte initiatique, philosophique et poétique. Sur les pas de la jeune Gayané et de ses compagnons de route, elle va trouver la clé de son mutisme et le chemin vers la liberté.

Dans le village, on a appris au fil des ans à vivre en autarcie, à se méfier des étrangers avec la ferme conviction que le monde au-delà du col était hostile. Alors, on se contente de ce que l’on a et l’on vit avec les enfants qui naissent frappés d’une étrange affection, restant sans voix.
Pourtant Gayané, l’une des victimes, entend un appel dans son rêve. Un siffleur lui chante que si elle prend la route et qu’elle gagne les hauteurs, elle pourra retrouver sa voix.
Après en avoir parlé à Hélias, elle décide de partir en direction de l’Alpage du Grand Lac avec lui et lance un appel aux villageois susceptibles de se joindre à eux pour « savoir si ces siffleurs existent en dehors des rêves, pour percer nos légendes, pour étendre nos pâtures, pour tenter de résoudre le mutisme de vos fils et filles. »
Trois volontaires vont se joindre à eux pour l’expédition : « Bien avant l’aube, Gayané, Hélias, la Mule et Bomberas s’engouffrèrent dans la forêt, guidés par Maniolos (…) L’obscurité était telle que la nuit semblait doublée d’une autre nuit, la nuit de la forêt, plus sombre que la première. Elle descendait des montagnes, coulait entre les arbres et ruisselait sur leurs peaux comme l’encre sur la page. »
Au fil de leur parcours semé d’embûches, la conversation va bon train. Et si Gayané reste mutique, la langue de ses compagnons de voyage se délie. Les siffleurs existent bien et n’ont rien d’hostile. Ce serait même le contraire. Un secret que Maniolos va lui révéler en l’encourageant à trouver sa voie.
Sur ce chemin initiatique, les yeux de Gayané se décillent à mesure que les siffleurs lui adressent leur message. Arrivés au grand lac, elle va plonger et se (re)découvrir. Dans l’eau « la pesanteur s’annula, le poids de ses os disparut, elle ferma les yeux puis les rouvrit sur le ciel dans lequel tournoyaient les aigles. Ici, il n’y avait ni peur, ni village, ni violence, ni regards qui forçaient à baisser la tête ; ici, le glaive de l’idiotie des hommes n’entrait pas en sa chair ; ici, les moqueries des places ne l’esquintaient plus ; ici, ses cordes se déliaient, et sans doute allait-elle pouvoir parler, chanter, crier. »
Après Le bord du monde est vertical, Simon Parcot nous offre un conte philosophique toujours ancré dans la montagne, toujours servi par une écriture riche de poésie et de sensualité.
Cet appel à dépasser la peur de l’étranger, à s’ouvrir aux autres cultures et à refuser les mensonges sur lesquels certains entendent construire un futur résonne beaucoup dans un monde incertain. Alors oui, il faut avoir le courage de dépasser la peur et tracer de nouveaux sillons. Car, « si on ne soigne pas les plaies, elles gonflent en silence, si on retient les larmes, elles finissent par former un puits, si on étouffe les cris, ils ressortent sous la forme de flammes de dragon ! Si on ne reconnaît pas les morts, ils reviennent hurler dans les rêves ! Enfin, si on empêche une langue de se dire, on coupe la parole à nos enfants ! Alors malheur, malheur à ceux qui nient ! »

Le chant des pentes
Simon Parcot
Éditions Le Mot et le Reste
Roman
176 p., 18 €
EAN 9782384314348
Paru le 30/08/2024

Où ?
Le roman est situé dans un village de montagne qui n’est pas situé précisément.

Quand ?
Le récit n’est pas situé dans temps.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sur ce carré de papier aux coins mangés par le temps, des bergers et des bergères, des chasseurs et des chasseuses, des colporteurs et colporteuses avaient tracé des lignes et des courbes afin de mettre le monde en carte. Il s’agissait pour eux de rendre compte de l’immensité de la montagne et de la profusion de la nature par des signes et symboles. Mais le monde ne tient pas en carte. Il déborde et fuite de tous les côtés, emporte dans sa profusion de brume et de pluie, de neige et de vent, de soleil et d’odeurs, tous les plans et toutes les prévisions, car la nature ne peut se résumer à des formes géométriques, elle est un délire de fougères, de racines et de fleurs qui explosent toutes les cases et les mesures.
Dans un paisible village montagnard, la jeune Gayané souffre de mutisme comme la plupart des enfants. À la suite d’un rêve, elle décide de prendre la route en direction de l’Alpage du Grand Lac que les villageois croient hanté par les siffleurs, des êtres mi-humains mi-vautours. Guidée par Maniolos, le doyen des bergers, aidée par Hélias, son ami interprète, et accompagnée de la Mule, une contrebandière, elle entreprend une ascension initiatique à travers la Forêt et l’Alpage pour atteindre la Montagne Lumineuse. Au milieu d’un hameau en ruines, alors que « la nuit est désormais vide de lune », Maniolos va lui révéler un secret. Seule dans la montagne, Gayané devra alors faire face à son histoire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Franceinfo Culture (Ariane Combes-Savary)
Actualitté (Louella Boulland)
Le Petit Bulletin (Raphaëlle Poyet)
Blog Au Vent des Mots

Les premières pages du livre
« CE QUE NOUS APPORTE L’AURORE
Nous vivons dans la vallée, bien loin au pied des alpages. Le village est petit, rares sont les habitants.
Nos maisons sont plantées dans d’épais entrelacs d’arbres qui tapissent le fond du vallon.
Au milieu des arbres navigue la brume. La brume nous constitue, elle gomme les contours du monde, nous évite les certitudes et forme l’origine de nos rêves. En elle vivent la foudre, les chocards et quelques anges ou démons qui serpentent entre les éclairs.
Lorsque la brume se déchire, elle dévoile au-dessus de notre village la Forêt, pleine de mousses et de ronces. Puis, la Forêt laisse place aux pentes douces de l’Alpage du Grand Lac, un vaste tapis d’herbe dans lequel est fichée une perle d’altitude, le Grand Lac aux eaux pures. Parfois, les panaches remontent jusqu’à se désagréger dans le ciel. Alors, nous pouvons apercevoir les contours de La Montagne Lumineuse, blanche et belle comme un rêve, bien qu’elle demeure tachée de sang.
La Montagne Lumineuse est une apparition, une source, une sainte, une figure tutélaire, un dieu nourricier, un taureau ailé, une vache sacrée. Le soleil ruisselle sur ses pentes, ses pentes coulent vers les herbes, puis les herbes, abreuvées de glace fondue vont dans les estomacs de nos chèvres et moutons. Les ventres les transforment ensuite en un lait blanc et lumineux que nous buvons au terme du printemps. Nous relevons la tête, chassons de nos visages les larmes de l’hiver et absorbons avec vigueur ce nectar plein de neige et de soleil, la tête tournée vers la Montagne, le cœur reconnaissant envers ces pentes lointaines qui guérissent nos gorges et nourrissent nos enfants.
Au-dessus de la Montagne Lumineuse, quelques démiurges s’amusent à peindre le ciel de mille couleurs. À l’aube ou au crépuscule, ils lignent l’horizon de plusieurs touches de rouge, de bleu, de jaune et de vert, qui descendent des nuées pour habiller les yeux de nos enfants. Ces derniers vont ensuite par les ruelles en courant, les iris bariolés de ciel, riches de ce que nous apporte l’aurore.
La Montagne Lumineuse marque la fin de notre univers. Après elle est le Monde. Mais peu d’entre nous s’aventurent jusqu’à lui. Car le Monde est plein de fureur.
Il éclate en des lambeaux de ferraille qui blessent les arbres. Il brise les pierres et scie les racines de nos croyances. Il lacère nos oreilles de bruits stridents. Il vide nos cœurs de grâce, salit le lait de la Montagne et gomme toutes les couleurs de l’aube.
Heureusement, cette fureur passe rarement les cols. Ainsi nous demeurons en paix dans notre petit village, bien loin au pied du Grand Lac, à l’abri du feu, du fer et de la violence.
***
L’été, les villageois se retrouvent sur la place de l’église et conversent de la garde des bêtes, du travail aux champs, des glaciers qui craquent et du retour des loups. Sur les toits en ardoise de la chapelle, nos morts se chamaillent et nous regardent dans l’attente que de futures générations de Tombés les rejoignent. L’été, nous faisons la fête : les enfants naissent, les femmes louent la clarté de la lune, les jeunes se rencontrent, les anciens s’enivrent de vin et de soleil, ce qui les maintient en vie longtemps (le plus vieux d’entre eux, dit-on, aurait même vécu jusqu’à deux cent treize ans, mais là est une rumeur sans fondements que l’on se lègue pour accentuer la dimension merveilleuse de nos existences). Lorsque l’aube arrive, nous nous endormons ensemble dans les champs, ivres de fatigue et d’amour, plein de gratitude envers cette vie qui, pendant l’espace d’une nuit, nous a semblé digne d’être vécue.
L’automne, la neige saupoudre les sommets. Le soleil se cache derrière les montagnes, la lumière baisse, le froid revient, les bouleaux de feu allument mille brasiers. Nous nous emplissons de mélancolie, pensons aux vestiges de l’été, tournons le regard vers l’hiver, cet immense mur blanc qui se dresse à l’horizon et dont nous redoutons la venue. Nous égorgeons nos bêtes, les lames de nos couteaux annulent leurs vies, les agneaux s’envolent légers vers le ciel tandis que leur viande prend pour nous une valeur et un poids. Coupables mais soulagés, nous salons les carcasses, regrettons les sacrifices, ralentissons les battements de nos cœurs, glissons en nos chalets, puis nous rapprochons un peu plus du centre de la terre, où le silence nous attend.

L’hiver, la neige recouvre les contours du monde, et nous, nous nous collons aux murs de nos maisons en protection du froid, du vent et de la nuit. Prisonniers d’un temps sans horloges, nous nous contons de folles histoires de diables et de bergers, de tempêtes et d’ascensions infinies, quand dehors le gel mord et les hommes meurent en glissant sur de longues plaques de gel. Lorsque la terre accepte de s’ouvrir, nous déposons nos défunts en elle et couvrons leurs tombes d’épis séchés en attendant que reviennent les fleurs. Leurs corps alourdissent un peu plus le sol, et nous, nous pestons et maudissons l’existence, ce long et absurde tissu de souffrances qui se termine par la mort.

Nous buvons beaucoup. Par habitude d’abord, pour supporter la pesanteur des nuits d’hiver et le poids des morts dans la terre gelée, mais par exception aussi, pour nous relier au cosmos lors de danses nocturnes et estivales. Car nous n’entassons pas le surplus de nos récoltes dans les greniers et ne le convertissons pas en argent, comme le font les gens du Monde plein de fureur. Nous dilapidons plutôt nos richesses en communions avec la foudre, les anges et démons qui habitent les brumes. Nous célébrons les unions et les naissances, appelons le soleil afin qu’il revienne autour de nos brasiers. Nos boissons égayent nos cœurs farouches. Elles nous rendent notre liberté, réveillent nos fauves, forment les contours de nos folies et de nos rêves. Parfois, elles nous procurent une telle ivresse que les bords des montagnes ondulent, et que nos corps se diluent jusqu’à s’accoupler avec les étoiles.

Au printemps, la neige fond et la nature ressuscite. La neige devient herbe et l’herbe devient lait, ce même lait ensoleillé qui coule de la Montagne Lumineuse pendant l’été. Nos prêtres bénissent les vaches en les aspergeant de gouttes d’eau et de lumière mêlées, la nature crie sa victoire sur le néant, puis crible les alpages de fleurs aux couleurs de pétrole et de soleil que mangent ensuite nos chèvres et nos moutons.

C’est à cela que nous reconnaissons le printemps

À la blancheur des agneaux qui vont par les pâtures

Aux commissures dorées de nos bêtes qui mangent les cris de victoire du soleil

Lors de cette heureuse période, les mésanges nous visitent. Elles dansent, souvent en couple, au moment du déjeuner, et égayent nos repas de leurs chants.

Le chant des mésanges est beau
Il éclaircit davantage le jour

Parfois, l’une d’elles prend son envol pour traverser la rivière qui coule au milieu de notre village. Elle disparaît alors dans un amas de feuille, laissant son amie prostrée sur la plus haute branche du poirier. Puis les mésanges se taisent, et le silence revient.

Le silence, encore le silence

Au milieu du silence, il y a le torrent et la Montagne Lumineuse

Qui suinte de sang en son sommet

Voilà ce qui arrive, dans notre petit village, bien loin au pied du Grand Lac.

Des humains se racontent des histoires, des mésanges se parlent, l’une d’elles traverse le vallon puis le silence revient.

Ce sont des choses que les gens du Monde trouvent futiles. Mais les gens du Monde ne peuvent comprendre.

Car le Monde est plein de fureur.

Il se fissure en un bruit d’apocalypse, les hivers n’y existent plus, le silence est un souvenir, les mésanges y sont mortes, les humains ont oublié le langage des bêtes. Certains franchissent les cols menant à nos villages, mais ceux qui y parviennent ne restent pas longtemps. Le silence de nos vallées les renvoie à la vanité de nos existences, des corbeaux nichent en leurs têtes et installent chez eux une tristesse qu’ils ne parviennent pas à surmonter. Lorsque le ciel redescend sur la terre chargé de brumes et de pluies, ils fuient pour retrouver le Monde. Quant à nous, nous revenons alors à la vie paisible que nous décrivons. »

Extraits
« C’est pourquoi, nous avons décidé de partir avec Gayané en direction de l’Alpage du Grand Lac, pour savoir si ces siffleurs existent en dehors des rêves, pour percer nos légendes, pour étendre nos pâtures, pour tenter de résoudre le mutisme de vos fils et filles. » p. 35

« Bien avant l’aube, Gayané, Hélias, la Mule et Bomberas s’engouffrèrent dans la forêt, guidés par Maniolos qui allait d’un pas lent au milieu des fougères. Le berger était emmitouflé dans sa cape aux mailles serrées et portait sur son dos un sac en toile de jute sur lequel était accrochée une louche pour remuer la soupe du soir. L’obscurité était telle que la nuit semblait doublée d’une autre nuit, la nuit de la forêt, plus sombre que la première. Elle descendait des montagnes, coulait entre les arbres et ruisselait sur leurs peaux comme l’encre sur la page. Ils avancèrent plusieurs heures ainsi, à suivre avec confiance la lanterne du guide, en pensant que la nuit allait s’estomper. Mais la nuit était restée accrochée aux branches pendant si longtemps qu’ils crurent que le soleil avait déserté, que les ténèbres avaient triomphé, que gagneraient les moustiques, les sangsues, les chauves-souris et autres suceurs de sang. » p. 46

« Gayané continua à nager jusqu’à atteindre le centre du lac où elle se retourna sur le dos. À nouveau, la pesanteur s’annula, le poids de ses os disparut, elle ferma les yeux puis les rouvrit sur le ciel dans lequel tournoyaient les aigles. Ici, il n’y avait ni peur, ni village, ni violence, ni regards qui forçaient à baisser la tête ; ici, le glaive de l’idiotie des hommes n’entrait pas en sa chair ; ici, les moqueries des places ne l’esquintaient plus ; ici, ses cordes se déliaient, et sans doute allait-elle pouvoir parler, chanter, crier. » p. 75

« Mais rien ne S’oublie et rien ne se nie ! Rien ne s’enterre et rien ne se perd ! Si on ne soigne pas les plaies, elles gonflent en silence, si on retient les larmes, elles finissent par former un puits, si on étouffe les cris, ils ressortent sous la forme de flammes de dragon ! Si on ne reconnaît pas les morts, ils reviennent hurler dans les rêves ! Enfin, si on empêche une langue de se dire, on coupe la parole à nos enfants ! Alors malheur, malheur à ceux qui nient ! » p. 109

À propos de l’auteur
PARCOT_simon_DRSimon Parcot © Photo DR

Simon Parcot est écrivain et philosophe de sentiers. Il réside et puise son inspiration dans le massif des Écrins où il a écrit son premier roman Le Bord du monde est vertical (Le Mot et le reste, 2022 ; Le Livre de poche, 2024) qui a été lauréat et finaliste de nombreux prix. En 2023 paraît Carnet de Guides (Glénat), un documentaire graphique et littéraire sur le métier de guide de haute montagne. Le Chant des pentes est son second roman. (Source : Éditions Le mot et Le reste)

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