Houba ! Oubliez l'animal si sympathique (et globalement inoffensif) que des générations de lecteurs ont rêvé posséder sous forme de peluche. Dans El Diablo, Lewis Trondheim et Alexis Nesme revisitent les origines possibles du Marsupilami (en tant qu'espèce), en plongeant le lecteur à l’époque des conquistadors. Le récit débute forcément sur un galion espagnol, dirigé par le capitaine Santoro, alors que la famine pousse l’équipage à tirer au sort un malheureux qui sera sacrifié pour être mangé. José, un jeune mousse plein de vivacité, refuse son triste sort et finit enfermé à fond de cale. Une terre inconnue apparaît presque aussitôt à l’horizon, ce qui offre une lueur d’espoir à tout l'équipage, et un peu de répit. À terre, José est envoyé en avant par le capitaine pour essuyer les premiers dangers, un rôle d'éclaireur malgré lui qu’il endosse avec bravoure. Entre ça et servir de pitance à des marins poussés au cannibalisme, le choix est assez rapidement fait. Au cœur de cette jungle luxuriante, José rencontre un animal étrange : jaune, tacheté de noir et doté d’une longue queue. Cet « esprit de la forêt » est blessé par Santoro, mais un lien mystérieux se tisse entre le jeune mousse et la créature, qu'il respecte et le fascine. Au cours d'une série de péripéties où l'humour permet de rendre les enjeux moins cruels, José est capturé par les Indiens Chahutas, réducteurs de têtes. Pourtant, il découvre que cette tribu, bien plus protectrice que hostile (tout est une question de point de vue), vénère l’animal, ancêtre du célèbre Marsupilami, comme une entité sacrée. Le lien chamanique qui semble s'être instauré entre José et l’esprit de la forêt permet à Trondheim d’explorer des thèmes adultes et toujours d'actualité : on y parle cupidité des hommes face à la nature, on dénonce la quête effrénée de l’or et de la gloire, on parle magie, avec les liens invisibles qui unissent les êtres.
Tout cette histoire alterne entre humour, action et petites saillies intelligentes qui ajoutent de la profondeur à une lecture accessible à plusieurs niveaux. Car El Diablo dépeint aussi un choc des cultures entre les conquistadors avides et les Chahutas attachés à leur terre et leurs traditions. Le noms des protagonistes changent mais l'histoire rejoue inlassablement la même triste pièce. La première chose qui frappe quand on prend en main cet album, c'est le dessin, mais aussi la couleur, absolument splendide. Il a d'ailleurs fait l'objet d'une pré publication dans le magazine Spirou et dès la couverture annonçant le premier épisode, les lecteurs savaient à quoi s'en tenir. Que ce soit la jungle luxuriante, les personnages tous croqués sous la forme de caricatures réjouissantes et sympathiques, ou bien sûr la version inédite de l'ancêtre du Marsupilami, à mi-chemin entre la bête féroce pour certaines cases, mais aussi le gros chat de compagnie à d'autres moments, tout est une invitation à la lecture. Une réussite graphique totale d'un bout à l'autre, qui bien entendu est en l'état un argument de vente massue en faveur de l'ouvrage. Fabrice Nesme a fait un travail formidable qui sublime le scénario de Trondheim, lequel est parvenu à distiller avec expertise les ingrédients nécessaires pour une adhésion familiale. El Diablo est une ode à l’évasion et à l’imagination, tout bonnement. Entre hommage au personnage à la longue queue et réflexion sur notre rapport à l’inconnu (et notre avidité congénitale qui nous pousse à la prédation), cet album vibrant et enlevé, publié chez Dupuis, séduit de la première à la dernière page.
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