Paul Lynch, né en 1977 à Limerick, est un écrivain irlandais. Il a obtenu en 2023 le prestigieux Booker Prize pour son cinquième roman, Le Chant du prophète, qui vient de paraître.
Irlande. A Dublin la famille Stack pourrait être heureuse, Larry le père est enseignant et adjoint de la secrétaire générale du syndicat des enseignants d’Irlande, Eilish la mère est une scientifique et ils ont quatre enfants s’étageant de bébé à adolescents. Hélas, depuis deux ans le NAP (National Alliance Party) est au pouvoir, « un parti qui a l’intention de transformer notre pays en Etat policier » avec le GNSB, une police particulièrement musclée. L’Etat s’accapare lentement tous les pouvoirs, l’état d’urgence est décrété, des rumeurs commencent à circuler, des gens seraient arrêtés et disparaîtraient, des syndicalistes par exemple. Quand Larry est convoqué au commissariat l’inquiétude monte et lorsque Eilish n’a plus de nouvelles de lui, la peur prend le relai.
Roman époustouflant, très dur et éprouvant, le roman de l’année 2024 pour moi.
La suite du récit sera pour Eilish une chute allant de Charybde en Scylla, l’épopée tragique d’une mère héroïque. La situation s’aggravera de jour en jour, les libertés sont restreintes, manque de nourriture, circulation contrôlée, arrestations arbitraires, disparitions etc. Eilish doit faire des pieds et des mains pour élever ses enfants qui vont lui causer de multiples problèmes supplémentaires, entre un bébé qui l’accapare, des adolescents qui se comportent comme tels sans mesurer l’importance réelle de le situation, puis plus tard quand l’un d’eux s’engagera dans la résistance. Et comme si ce n’était pas assez, elle doit aussi gérer son père habitant seul un autre quartier et qui perd la tête. Ayant toujours en tête son chagrin immense, Larry dont elle n’a pas de nouvelles, Larry auquel elle parle mentalement pour se convaincre qu’il vit toujours, « mais chaque fois qu’elle pense à lui, il subsiste si peu de choses, une ombre, voilà ce qu’il est devenu, une absence qui a pris la place qu’occupait l’amour ».
Les combats entre forces de l’ordre et résistance vont s’intensifier, les bombardements vont obliger Eilish et ses enfants à fuir et c’est le drame auquel le monde actuel nous a habitué, population en exil, migrations avec leur cortège de périls pour un final haletant.
Le récit est terrible et Paul Lynch le rend encore plus dramatique par son écriture collant parfaitement à la situation. Des dialogues sans tirets inclus dans le texte, texte qui mêle l’action, les pensées d’Eilish, ses rêves, ses souvenirs qui chamboulent la chronologie, une densité qui accroît la tension et rend la lecture suffocante ; le lecteur est pris dans cette course folle, cette fuite éperdue et éprouvante qui disloque la famille chaque jour un peu plus.
Une dystopie terriblement effrayante car trop proche d’une réalité crédible quand le totalitarisme n’est plus si loin de nous, qu’il vienne de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.