Découvrir le brutalisme belge

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Le signal de Zellik. (c) Prisme Editions.


Le mot sonne un peu bizarrement
aux oreilles des non-initiés, "brutalisme". Il s'agit tout simplement de l'appellation d'un courant architectural récent, 1950-1980, donné à des constructions réalisées entièrement en béton brut, structure et enveloppe. Elles sont plus nombreuses qu'on ne le croit dans notre petit royaume. On les connaît sans nécessairement les cataloguer de cette manière. Parmi les plus célèbres, l'immeuble Intégrale et la tour Kennedy à Liège, le musée de Mariemont, l'ancienne banque Lambert avenue Marnix, le Crédit communal et le Passage 44, l'immeuble CBR chaussée de la Hulpe, le buiding CGER rue du Marais ainsi que le signal de Zellik à l'entrée de l'autoroute de la mer à Bruxelles, le Singel à Anvers, le magasin C & A à Namur, le musée des Sciences à Louvain-la-Neuve...
  Pendant deux ans, ou plutôt pendant tous ses week-ends entre décembre 2022 et octobre 2024,  Pierrick de Stexhe, "architecte de formation, photographe par passion", a promené sa chambre technique aux quatre coins de la Belgique. Il en a ramené une formidable série de clichés en noir et blanc déclinant ce courant brutaliste. Quatre cents en tout dont cent cinquante apparaissent dans l'excellent beau livre "Brutalism in Belgium" (Pierrick de Stexhe, Aurélien Jacob, Jacinthe Gigou, Jean-Marc Basyn, Marc Dubois, Prisme Editions, bilingue français-anglais, 266 pages). Rien à voir avec un traité d'architecture classique. C'est un épais grand format qui initie à une forme de construction par la photo, qui est magnifiquement imprimé en un noir et blanc riche et superbement mis en pages. Il présente un intéressant contraste entre les photos argentiques sur fond blanc et les textes sur fond noir, avec la surprise de photos en négatif, dont un autoportrait du photographe en reflet dans une vitre, témoignant encore davantage de la pureté des lignes. De brefs textes rédigés par Aurélien Jacob et Pierrick de Stexhe disent brièvement l'histoire de ces cinquante et quelques constructions: immeubles de logement, banques, lieux culturels, universités, hôpitaux, magasins,  piscines, églises, sculpture... Elles sont situées à Bruxelles, Liège, Namur, Anvers, Gand, Louvain-la-Neuve, Louvain, Turnhout, Charleroi, Mons, Hasselt, Dilbeek, Harelbeke et Ostende. 

La surprise de photos en négatif. (c) Prisme Editions.


"J'ai choisi les bâtiments selon trois critères", nous explique Pierrick de Stexhe, "l'attrait personnel, le fait qu'ils ne soient pas mitoyens pour avoir du ciel gris et qu'ils aient été construits entre 1950 et 1980, durant tout le temps du brutalisme. Le brutalisme est un courant auquel je me suis intéressé après avoir visité le centre Barbican à Londres. J'ai été frappé par la puissance de cette architecture. Je me suis demandé si elle existait en Belgique aussi. La réponse est oui. J'ai voulu rendre hommage au patrimoine belge brutaliste à un moment crucial de son destin. Faut-il rénover ces bâtiments qui vieillissent, les démolir?" 

Parc de vacances au Coq. (c) Prisme Editions.


La chambre technique.

Pourquoi des bâtiments à quatre façades? Le photographe nous répond: "Je voulais qu'il y ait des nuages gris autour des constructions. Afin de faire ressortir leurs détails dans les photos en noir et blanc et pour donner une ligne graphique au livre." Si la météo est un élément incontrôlable en Belgique, elle a été très coopérante pour le projet, personne n'a oublié ce qu'elle nous a servi depuis deux ans. "Avant de faire les photos, je fais le tour du bâtiment en repérage. Puis je fais un premier point de vue et ensuite les autres. Je fais six scènes par bâtiment, une frontale, d'autres en angle afin de pouvoir faire une sélection. J'utilise une chambre technique, dispositif qui permet de supprimer le point de chute supérieur et j'évite ainsi les contre-plongées. Je développe la pellicule chez moi dans une chambre noire. Puis je scanne le négatif pour le travailler en vue de l'impression." Travail artisanal que la photo argentique, écho à l'artisanat que nécessite le béton.
  Des bâtiments d'une extrême puissance visuelle dont l'avenir est en effet incertain: abandonnés, transformés ou simplement démolis comme la piscine d'Ostende. Comment les isoler éventuellement en respectant le purisme de leur architecture?
 
Les trois séries chronologiques de photographies de Pierrick de Stexhe sont entrecoupées de textes abordant les principales caractéristiques architecturales et urbaines des constructions.
- "Images et magie du béton", par Jacinthe Gigou
- "Généalogie du brutalisme international" et "Ligne du temps du brutalisme", par Jean-Marc Basyn
- "Matérialité", par Marc Dubois Une abondante bibliographie termine ce splendide travail collectif.