Le cordonnier (Nocmyst)

Bonsoir,

Cela fait plusieurs jours que j'ai terminé cette lecture et je dois avouer que je l'ai dévoré ! La couverture est attirante avec cette paire de chaussons de danseurs qui fait envie, cette boutique de cordonnier un peu vieillot qui rappelle les boutiques d'antan et pour cause. Le récit se passe un siècle avant nous, voire encore un peu plus, dans un monde où les sorciers ne sont devenus que des ombres. La magie n'est plus qu'un mot, seul quelque irréductibles, des inquisiteurs en quelque sorte qui tente de découvrir le malin, mais qu'importe. Les sorciers n'ont plus la voix et encore moins une voie vers de verts pâturages.

C'est un récit intense, avec une plume riche en vocabulaire, parfois quelques pics de notre temps qui détonne un peu et puis nous retrouvons le phrasé de ce temps. Les pensées de notre sorcier, celles de ses proies également. J'ai adoré la manière de tourner les phrases, la façon de présenter les personnages par leur psychologie et leur façon de faire quelque chose pour eux ou une autre personne. Pour la gloire, ou rendre le sourire à une mère. Peu importe, si certains pensent être dans leur bon droit, il faut bien y voir que le blanc et le noir ne sont pas juste de leur côté. Ils se mélangent, ils s'apprivoisent pour apporter de l'ombre à la lumière et des parts de lueurs dans les ruelles sombres. L'auteur nous décrit ses personnages à la perfection, avec cette élégance du danseur, pas le petit rat sur scène, mais de l'étoile montante, de celle qui est déjà en haut et qui fait tout pour y rester. Un travail acharné, une passion dévorante. Nous ne pouvons que suivre ces hommes et femmes qui veulent réussir, quitte à en payer un prix bien trop élevé.

C'est une immersion dans le monde de la danse, celle qui forme les meilleurs. Une académie qui forme ceux qui seront perçus comme les plus grands et les médiocres peuvent aller se rhabiller. La jalousie, la perversité, l'envie de faire mal, la peur de ne pas réussir, les professeurs qui poussent toujours plus, le regard des autres... Tout cela est immense face à la compassion, l'amitié timide, l'amour. Les sentiments explosent, les rêvent de gloire s'éteignent face à la peur de ne pas avoir réussi, de ne pas avoir confiance en soi, ou au contraire, d'en avoir beaucoup trop. Les personnages ont leur propre trait de caractères et nous ne pouvons que suivre leurs actes. Certains sont répréhensibles, d'autres sont terribles et pourtant une part de vérité se cache en dessous. Il est vrai que la peur de se rater est présente, mais qu'en est-il lorsqu'elle est présente, cette peur, depuis l'enfance ? Est-ce que nous pouvons réussir à nous contrôler en tant qu'adulte responsable ou bien serait-il possible de devenir un monstre de cruauté par vengeance ?

Lananette est douce, agréable, effacée et une véritable danseuse en devenir. Elle veut réussir pour le sourire de sa mère. Séverin est un danseur né dans une famille où chaque faux pas lui vaut un rejet. Il est froid, exécrable et capable de piquer des colères profondes. Ludwig est doux, l'un des rares à contrer Séverin. Sa cousine, Mary-Lou est un ange cherchant à aider son prochain. Solène est une véritable vipère qui serait capable de tuer père et mère pour la gloire. Et Sergueï un homme qui n'a plus rien à perdre. Et si tout n'était que faux semblants ? Et si tous ces personnages ne montraient que ce qu'ils désirent ? Il est certain que la moitié d'entre eux sont ce qu'ils sont, quant aux autres, leurs émotions les étouffent tellement qu'ils ne sont que des zombies errants dans des corps trop grand, trop gauche pour comprendre que le chemin qu'ils prennent n'est rien qu'un tumulte de virages dangereux. Avoir un but c'est bien, ne pas en déroger aussi, mais jusqu'où peuvent-ils aller ?

En conclusion, je suis heureuse d'avoir pu découvrir ce livre et cette plume. Ce n'est pas un livre à mettre dans toutes les mains non plus, les scènes sont fortes en émotions, elles sont sombres et les pensées de notre cher Sergueï sont virulentes. Si au départ je me suis posée des questions sur lui et sa santé mentale, son développement au fil des pages m'a confirmé certains points. Je crois bien que le summum a été le final, cette apothéose sur scène telle une peinture jetée au gré du vent sur une toile vierge qui nous donne plusieurs sentiments : celui du désespoir d'être l'un d'entre eux et de ne pas voir la souffrance de l'autre, celui de ne pas être capable d'aider celui ou celle qu'on aime, celui de se retrouver sur une faille prête à nous engloutir au moindre faux pas. La danse est très importante, les pas sont maîtrisés, les gestes également. Soit l'auteur est un ancien de ce monde, soit les recherches sont importantes. L'un comme l'autre, nous ressentons le travail fourni, sans oublier que le livre est de qualité au niveau du papier (ce n'est pas un simple feuillet prêt à se détacher) Un grand merci pour cette lecture qui est capable de faire réfléchir sur de nombreux sujets.