Le monde de Gigi - William Maurer

monde Gigi William MaurerLe monde de Gigi, William Maurer

Editeur : Le lys bleu

Nombre de pages : 152

Résumé : Un pigeon et un chat nouent une amitié insolite à Paris, accusés de bouleverser l’équilibre naturel entre proie et prédateur. L’affaire est portée devant les tribunaux avec Gigi, une jeune fille précoce, comme avocate. Coupables ou innocents ? La question se complexifie lorsque les végétaux et les forces célestes s’en mêlent et qu’un ange nommé Hermès est appelé à témoigner…

 Un grand merci aux éditions Le lys bleu pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

«TOUT LE RESTE (en chœur) : Alors ? Tu votes ?

L’ÉCREVISSE : Oui ! Oui ! Pardon ! Pardon ! Mais oui ! Mais oui ! Mais bien sûr que je vote enfin ! Je vote maintenant, même ! Enfin, qui n’aime pas voter !? C’est très bien de voter ! Je fais toujours mon devoir de citoyen ! Je vote même tous les jours ; matin, midi et soir ! Je me lève vote, je mange vote, je me reproduis vote. Le vote, c’est ma grande passion dans la vie, je vote corps et âme ! …

Silence.

L’ÉCREVISSE (ferme les yeux et se concentre puis rouvre les yeux): C’est bon, j’ai voté. Vous avez besoin d’autre chose ?

LA COLOMBE (excédée mais avec un sourire hypocrite, à l’écrevisse) : Donc, mon cher ami, que votez-vous ?

L’ÉCREVISSE : Ah ! Euh ! … Moi, je vote toujours… pour la paix et l’égalité dans le monde ! Dans la pure tradition républicaine !

Désespoir de la colombe.

LE VER (à bout de nerfs) : Mais pour les accusés ! Coupable ou non-coupable !?

L’ÉCREVISSE : Ah ! Euh ! … Comme vous voulez ! Je ne suis pas difficile ! Ce qui est le moins dérangeant et surtout, ce qui vous fait plaisir ! »

- Mon avis sur le livre -

Depuis la nuit des temps, les chats et les pigeons sont ennemis jurés. Lorsqu’il se retrouve face à un pigeon, tout chat digne de ce nom ne peut résister à l’envie de lui sauter dessus. Et lorsqu’il voit un chat, tout pigeon qui se respecte ne tarde pas à s’enfuir à tire d’ailes. C’est l’ordre naturel, normal et immuable des choses, dit-on … Mais voilà, lorsque Mao le chat s’est retrouvé face à Meredith le pigeon, il n’a pas ressenti la moindre envie de l’étriper. Et lorsque Meredith le pigeon a vu Mao le chat, elle n’a pas ressenti le besoin de s’envoler loin de lui. À plusieurs reprises, désireux de bien faire, nos deux compères ont tenté de jouer le rôle qu’on attendait d’eux : le félin a tâché d’agir en prédateur féroce, le volatile en proie apeurée. Mais rien à faire : ils avaient beau essayer de toutes leurs forces, ils ne sont pas parvenus à se détester. Au contraire. C’était plus fort qu’eux : ils s’appréciaient. Ils avaient envie de devenir amis … Mais ce n’est pas du goût de leurs congénères respectifs : un chat et un pigeon qui deviennent amis, on n’avait jamais vu cela, c’est contre-nature, c’est forcément un crime, punissons sans tarder cet odieux outrage à la chaine alimentaire !

Avec ce petit roman, qui flirte très allégrement avec la pièce de théâtre et les fables animalières, l’auteur nous offre une délicieuse satire sociale pleine de rebondissements. Tout commence par une rencontre au détour d’une ruelle parisienne : un chat, un pigeon. Jusque-là, rien à signaler : c’est parfaitement banal, à Paris, de voir un chat et un pigeon se retrouver face à face. Mais voilà, ce chat n’a pas ressenti d’instinct de prédation vis-à-vis de cette proie, et ce pigeon n’a pas ressenti d’instinct de fuite vis-à-vis de ce prédateur. Ils en sont les premiers surpris, pour ne pas dire les premiers perturbés, mais les faits sont là : en se rencontrant, ils se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas envie de faire semblant de se détester. Car la vérité … c’est qu’ils ont pressentis qu’ils pouvaient s’apprécier. En dépit de toutes leurs différences, en dépit également de la haine millénaire qui existe entre leurs deux espèces. Au plus profond d’eux-mêmes, ils ont trouvé ça terriblement stupides, de devoir se détester car « on a toujours fait comme cela » : s’ils n’ont pas envie de se détester, pourquoi devraient-ils s’y forcer pour rentrer dans le moule de la « normalité » ? Après tout, ils ne font rien de mal : ils s’apprécient, ils s’aiment, ils sont amis. N’est-ce pas mieux que de se faire la guerre, de s’étriper mutuellement au nom d’une hostilité ancestrale dont nul ne connait plus vraiment l’origine ?

Mais on s’en doute bien, les autres animaux ne voient pas cette relation d’un très bon œil. Tout ceci est définitivement bien trop anormal pour être toléré : on ne peut tout de même pas laisser un prédateur et sa proie devenir amis, cela risquerait de créer des émules et de faire voler en éclat tout l’équilibre du monde animal ! Non, vraiment, il ne faut pas laisser passer cela : il faut sévir, le plus vite possible, le plus fort possible. Condamnons ces deux dissidents avant que d’autres ne suivent leur exemple ! Assurons-nous que plus personne n’aura plus jamais l’envie de remettre en question l’ordre naturel et immuable des choses : exécutons-les, et que ça saute ! Notons d’ailleurs l’ironie de la situation : les représentants des chats et ceux des pigeons reprochent à leur congénère respectif de s’entendre avec un membre de l’autre espèce … mais quand il s’agit de s’accorder sur le châtiment à exécuter, ils sont tout à fait disposés à s’entendre ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais, cela ne vous rappelle rien ? Figurez-vous que le doyen des chats propose à son homologue pigeon de s’inspirer de l’article 49.3 des bipèdes pour contourner le procès équitable demandé par la petite Gigi, 10 ans, avocate autoproclamée de la défense ! De la farce tragi-comique à la satire politique, il n’y a qu’un pas que ce « conte » n’hésite pas à franchir à quelques reprises !

C’est d’ailleurs pour cette raison que, personnellement, je ne pense pas qu’on puisse considérer cet ouvrage comme un « roman jeunesse » : il ne suffit pas de mettre des animaux qui parlent dans un roman pour que celui-ci soit adapté au jeune public. Qu’il le veuille ou non, l’auteur s’adresse ici à des adultes. Un enfant ne comprendrait pas pourquoi le poulpe se reprend et se corrige lui-même : on dit « haut-potentiel », et non plus « surdoué ».Un enfant ne comprendrait pas ce que la colombe entend par « lubie des wokistes ». Un enfant ne comprendrait pas non plus pourquoi l’araignée estime que cela « change » que l’intégriste soit une catholique … Vous l’aurez compris, l’humour de ce roman est résolument destiné aux adultes. Et même, il faut le signaler, aux adultes qui aiment l’humeur un peu lourd : pour ma part, j’ai trouvé que ça allait un moment, mais au bout d’un certain temps, je ne pouvais pas lire plus de deux pages d’affilée sans ressentir une forme de lassitude, et même de malaise. L’auteur, parfois, va un peu trop loin, et ça en devient presque irrespectueux et blessant vis-à-vis de certaines catégories de personnes. Pour un livre qui est supposé prôner la tolérance, le respect des tolérances et le libre choix de chacun … c’est un peu limite. Et c’est d’autant plus dommage que cela aurait très facilement pu être éviter : tous ces passages un peu « dérangeants » se trouvent dans des sous-intrigues totalement inutiles pour l’histoire « principale » qui est celle du fameux procès. L’auteur se serait abstenu d’ajouter toutes ces histoires d’anges, d’organistes tyranniques et de personnages de romans qui découvrent qu’ils en sont, le récit ne s’en serait que mieux porté !

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : sur le principe, je trouve l’idée de ce roman absolument géniale … mais je ne suis pas entièrement convaincue par les choix de l’auteur. J’ai savouré le côté très théâtral de cette farce animalière, riche en comiques de situation, de parole, de répétition, riche également en rebondissements, avec même quelques bribes d’émotions (la mort du papillon est une tragédie grecque à elle toute-seule) … Par contre, j’ai eu beaucoup de mal avec la ribambelle d’intrigues secondaires qui, à mes yeux, non seulement n’apportent rien de particulier à l’histoire, mais peuvent même rebuter plus d’un lecteur car c’est d’une irrévérence à la limite de l’irrespect. Il est parfaitement possible de rigoler sans blesser … d’autant plus ici où la joyeuse ménagerie suffit amplement à faire pleurer de rire, pas besoin d’en rajouter inutilement. Et même si j’aime beaucoup le Petit Prince, je trouve que tout ce pan de l’histoire où Gigi se questionne sur « la facticité » de son monde n’a finalement rien à faire là. Pour que cet ouvrage me plaise véritablement et me convainque au point que je puisse le conseiller sans hésitation, il aurait fallu que l’auteur se contente d’en rester à l’essentiel : un chat et un pigeon devienne amis, et se retrouvent pris au milieu d’un procès. C’était amplement suffisant, et c’était délicieux. Le reste ne l’est pas.