Deuxième livre lu de J. M. Erre en peu de temps, Les autres ne sont pas des gens comme nous est inclassable. Désigné roman par l'éditeur, je le vois plutôt comme un recueil de portraits-nouvelles. Entre deux portraits, une narratrice (Julie) à l'esprit pertinent et d'une acuité redoutable sur la société qui l'entoure, sa condition physique (elle est handicapée physique). Elle sert de présentatrice de chaque narration qui suit son intervention, narration qui sert à éclairer le parcours d'un natif ou d'une native du village de Margoujols, en Lozère.
J. M. Erre le reconnait en fin d'ouvrage la reprise d'histoires déjà parues dans le magazine Fluide glacial. J'aurais préféré qu'il le fasse en préface pour prévenir d'éventuelles divulgations, pour aussi rappeler ce contexte d'écrits pas complétement inédits. Et même si ces portraits-nouvelles ont été retravaillés par l'auteur, leur assemblage manque de cohérence pour en constituer un roman selon moi (mais peut-être manque-je d'ouverture littéraire ?). Je suis restée sur un sentiment de juxtaposition avec comme vecteur de liaison Julie. Les autres ne sont pas des gens comme nous aurait pu devenir un roman si les histoires présentées s'étaient interpénétrées plus directement, s'il y avait une sorte d'arche narrative entre elles, de boucles ou bien si certains personnages intervenaient dans la vie des autres. Ce n'est pas le cas. Bien entendu, les allusions ou interventions de personnages des romans précédents sont sciemment mobilisées par l'auteur, avec un risque de découvrir le devenir des héros des ouvrages précédents (et ce, avant même d'avoir lu lesdits romans).
Malgré ce gros bémol d'identification littéraire (mais qu'il me paraît bon de signaler parce que tout le monde n'aime pas forcément les textes courts, suffisants à eux-mêmes et indépendants les uns des autres), Les autres ne sont pas des gens comme nous m'a fait passer un bon moment. Indubitablement, J.M. Erre sait me faire rire (voire éclater de rire) et même si je suis un public facile, je ris rarement en cours de lecture (essayant d'être le plus attentive à ce que je découvre) : j'ai lu des scènes ou des punchlines qui m'ont fait glousser ! C'est dû à plusieurs éléments concomitants :
1) J.M Erre manie la langue française avec dextérité et engage son lecteur dans ses histoires (il veille voire surveille son degré de concentration !)
2) il est gentillement irrévérencieux, abuse d'humour noir (à la Delicatessen parfois) sans volonté de heurter pour heurter, et respecte son lecteur (mais ne néglige pas son attention non plus... voir mon 1)).
3) il a le sens de la répartie et des phrases choc : il nous immerge dans ces humanités, nous renvoie leur réflexion et leur modus operandi, leurs mésaventures, leurs déconvenues, leur itinéraire. Il étrille un peu (sans méchanceté) le monde du spectacle (avec quelques citations inspirantes.)
4) et surtout il maîtrise l'art de la nouvelle : quelques pages lui suffisent pour poser le cadre et l'histoire ; chaque chute finale est souvent réussie.
Entre les réflexions philosophiques et sociologiques de l'alerte Julie, vous découvrirez une galerie d'humains : Félix qui tente un changement de carrière, Pétronille & Barnabé ou la rencontre improbable, le scabreux Valère à l'hérédité artistique compliquée, Anissa une voix sans voie (remarquable), Jean-Yves à la malchance vengeresse (une excellente nouvelle tant le fond et la forme évoluent ensemble), un Ferdinand au courrier très obscur (là encore très réussi), un Gaspard machiavélique, un Ousmane plein d'empathie et hypersensible, un prêtre Saint-Freu qui a l'ultime révélation (j'ai bien aimé le contrepied final !), un Jean-Marie un monstre comme on les aime avec un petit côté plan-plan quand même, et puis le dernier personnage dont je tairai volontairement l'identité pour vous laisser la surprise. Et puis, il y a l'instantanée Mado qui ne m'a fait ni chaud ni froid.
À travers Les autres ne sont pas des gens comme nous, J.M. Erre provoque les réactions, questionne certains choix de société, nos comportements. Il s'amuse avec le lecteur. C'est généreux, pétillant et globalement sombre !
À vous de voir ou de lire !
page 116 : De la naissance à la mort, la destinée humaine est une ligne droite marquée par les grandes étapes de l'existence. Le passé est définitivement révolu, le futur toujours imprévisible. Plus on avance, plus on vieillit ; plus il y a d'avant, moins il y a d'après ; moins il y a de plus, plus il y a de moins (j'avais averti qu'on allait hausser le niveau.)
Petit message à l'auteur : écrivez des histoires gaies, on en a besoin !
Éditions Pocket
Du même auteur : Le bonheur est au fond du couloir à gauche