Aux soirs de grande ardeur (Nicolas Puzenat – Editions Le Lombard)
L’histoire se passe il y a quelques milliers d’années, dans la cité de Miril. Nous sommes à la fin du Néolithique et les humains commencent à bâtir les premières villes, en abandonnant progressivement leur vie nomade. Cette nouvelle réalité bouleverse la société, qui devient de plus en plus hiérarchisée, avec d’un côté les dirigeants politiques et religieux et de l’autre le petit peuple et les servants. La jeune Manakor est l’une de ces servantes. Son maître s’appelle Kaal, et il est cuisinier. Elle est folle d’amour et de désir pour cet homme fort et séduisant, malgré sa personnalité brusque et irascible. Hélas, lui ne la regarde pas du tout du même oeil. Au contraire, il trouve cette servante bizarre et est persuadé qu’elle trame quelque chose contre lui. Pour tenter de capter son attention de manière plus positive, Manakor demande conseil à la voix de sa grand-mère, qu’elle est la seule à entendre. Comme tous les habitants de Miril, Manakor a une « chuchoteuse » dans sa tête, autrement dit une ancêtre qui lui dicte sa conduite. Tous accordent une grande importance à ces « chuchoteurs ». C’est une croyance profondément ancrée en eux. Mais en réalité, ces voix intérieures ont tendance à rendre les citoyens de la ville paranoïaques et schizophrènes. Loin de leur donner des conseils sages et avisés, leurs ancêtres passent leur temps à attiser les sentiments les plus négatifs: la jalousie, la cupidité, la colère… La grand-mère de Manakor, par exemple, l’incité à concocter d’étranges philtres d’amour pour tenter de gagner le coeur de Kaal, tout en lui demandant de préparer des poisons pour éliminer ses rivales potentielles. Pendant ce temps, des fumées noires s’élèvent au loin dans la forêt. Le feu ne cesse de se rapprocher de la cité de Miril. Et s’il s’agissait d’une menace annonciatrice d’un grand bouleversement à venir?
Après le succès de « Mégafauna », une uchronie dans laquelle Néandertal a survécu jusqu’à l’époque médiévale et se partage le monde avec Sapiens, Nicolas Puzenat était forcément attendu au tournant. L’auteur français surprend une nouvelle fois avec cet étonnant « Aux soirs de grande ardeur », un conte initiatique dans lequel on suit l’émancipation d’une jeune servante. Alors que le feu oblige tous les habitants à fuir pour sauver leur peau, celle-ci renonce petit à petit à ses croyances limitantes pour se révéler à elle-même. « Le personnage principal, Manakor, est une femme qui va peu à peu se libérer de ses chaînes », explique Nicolas Puzenat. « A travers son destin, je m’interroge sur la quête du bonheur, la place de nos ancêtres dans nos existences et le mode de vie idéal. » L’un des éléments intéressants dans cette BD, c’est le fait qu’elle se situe à la fin du Néolithique. Une époque assez peu utilisée dans la littérature et le cinéma, alors qu’il s’agit pourtant d’une période de bouleversements sociaux importants, durant laquelle les inégalités se sont renforcées et les violences se sont accrues. Nicolas Puzenat s’est beaucoup appuyé sur des travaux d’historiens pour construire son récit, mais sans perdre de vue son intrigue pour autant. « J’ai toujours les mêmes préoccupations: raconter une histoire, faire en sorte qu’elle soit lisible et donner envie aux lecteurs de tourner la page », dit-il. Les « chuchoteurs », ces êtres malfaisants qui parasitent les esprits des habitants de Miril, sont à coup sûr l’une des bonnes trouvailles de l’auteur, car ils ajoutent une dose bienvenue d’humour et de mauvaise foi au récit. Le graphisme flamboyant, qui met l’accent sur la luxuriance des forêts primitives et les couleurs des incendies, finit de faire de cette bande dessinée l’un des premiers albums incontournables de ce début d’année. Sa parution en librairie est prévue pour le 10 janvier 2025.